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Visages de milliardaires

Visages de milliardaires

La Presse3 days ago
Lauren Sanchez, lors des célébrations entourant son mariage avec le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, à Venise, à la fin de juin
La semaine dernière, entre une déclaration intempestive du président américain et des conseils sur les camps de jour, quelques restes du mariage vénitien du fondateur d'Amazon traînaient encore ici et là sur les réseaux sociaux, dans la presse people et même dans les grands médias.
C'était souvent Champagne Showbizz, plus rarement hyper pertinent comme cette entrevue avec Dahlia Namian, auteure de l'essai La société de provocation1, à propos du mode de vie des milliardaires. Je vous en ai déjà parlé ici. Son analyse épingle un phénomène sensible de notre époque : la toute-puissance, l'outrecuidance, le sans-gêne absolu des ultrariches.
Ils sont quelques dizaines à graviter dans un monde exclusif et à circonscrire, symboliquement et réellement, le monde où nous vivons tous. Leurs goûts, leurs actions, leurs décisions ont un impact sur nos vies. Pire, certains aspirent à leur ressembler.
Il y a donc eu des restes de photos de mariage, puis de l'après-mariage. Lauren Sanchez et ses copines Kardashian crashant les défilés Haute-Couture à Paris. D'autres invités en ont profité pour prolonger leur séjour italien dans de somptueuses villas au lac de Garde, et poster des photos de leurs repas 12 services. Bezos a peut-être lancé une mode : se marier de façon ostentatoire en Italie…
Mais, dans cette débauche de photos de mariage amazonien, ce qui a frappé mon imagination est le visage troublant de la plupart des invitées, à commencer par celui de Lauren, la mariée.
Mâchoire sculptée, pommettes très hautes et rebondies, lèvres plus pulpeuses que celles d'une influenceuse, regard dur et tiré vers les tempes. Le visage est hyperdessiné, les seins bédéesques. Il se dégage de l'ensemble une impression de puissance et d'étrangeté. Comme si on avait caricaturé sa beauté, exagéré ses traits jusqu'à en faire un masque.
Je m'aventure ici sur un terrain glissant. Celui de la chirurgie esthétique.
Oui, les femmes ont le droit de faire de leur visage et de leur corps ce qu'elles veulent, si c'est consenti et voulu. D'un point de vue féministe, ça se défend et peut même être un outil d'empowerment.
Mais ce que je décris, le visage de Sanchez, celui des Kardashian et de plusieurs des invitées du couple milliardaire, n'a plus rien à voir avec la volonté d'améliorer son apparence ou de lutter contre les signes du vieillissement. Pas plus qu'avec l'estime de soi.
On est ailleurs, tant quantitativement que qualitativement.
Ça ne relève plus de l'esthétique, mais du pouvoir. Ce n'est plus du lifting, mais de l'ultracapitalisme. Ces visages parfaitement sculptés qui se ressemblent tous dans leur fronde et leur agressivité sont de manière voulue des marqueurs de classe. Des machines de guerre.
Car non seulement ces interventions chirurgicales coûtent très cher – ce qui n'est pas un enjeu pour le 1 % –, mais leur but n'est ni la beauté ni le rajeunissement. Les corps et les visages doivent clamer leur appartenance à la super élite et à ses standards corporels.
Le visage signature de Lauren Sanchez suinte la satisfaction, l'artifice revendiqué. Il est, paradoxalement, après les yachts, les jets, le signe extérieur le plus intime de l'appartenance à l'élite financière de la planète. On aura donc constaté, lors de ce mariage, un marqueur jusque-là sous-estimé de la ségrégation entre les millionnaires et nous : ils sont faits d'un autre matériau. Leurs chirurgiens sont des extraterrestres qui fabriquent des visages de mutants.
On est loin ici du lifting banalisé, qui aide des femmes à s'accepter, qui redonne confiance à plusieurs, qui leur permet de se « remettre sur le marché » du travail ou de la séduction. Très loin aussi de cette préoccupation générationnelle où de très jeunes femmes, souvent sous la pression des réseaux sociaux, se font refaire le visage. Ces interventions quasiment triviales appartiennent à une logique de conformisme, qui produit des visages lissés à la chaîne.
L'écrivaine Nelly Arcan avait lumineusement parlé de chirurgie esthétique dans son livre Burqa de chair. Elle a toujours eu le courage intellectuel de s'exprimer sur l'idée du corps à la fois prison et étendard. Dans le texte intitulé La Robe, elle écrit : « Une femme, c'est être belle. C'est un sort atroce parce que la beauté est à l'abri de toutes les révolutions. Pour être libre, il faut faire la révolution. Les femmes ne sont jamais libres ».
Les femmes ultrariches, les épouses de milliardaires, les femmes milliardaires elles-mêmes utilisent les artifices bien différemment de nous. Pour elles, la chirurgie esthétique n'est ni une consolation ni une prison, c'est le symbole de leur conquête du monde, affranchie et revendiquée.
Les milliardaires font leur révolution, à coups de rhinoplasties et de botox. Mais ce n'est pas une révolution pour le bien commun. Ce monde dont leurs visages durs sont la vitrine, le signe de richesse indécente, l'oriflamme aveuglant, raconte une société cassée en deux, mais qui pourtant fait rêver. Nous n'aurons jamais accès à cette vie, mais nous y tendons candidement avec nos redrapages de paupières.
Les milliardaires font baver les millionnaires, qui eux font saliver les quidams. Leur mode de vie ruisselle sur nous, leurs îles privées, leurs corps surréels s'imposent à nos imaginaires. Mais qu'on ne s'y trompe pas, leurs visages refaits sont des forteresses.
Pour être libre, il faut faire la révolution, écrivait Nelly. En cela aussi, elle avait raison. Car oui, Lauren Sanchez est insolemment libre. Mais à quel prix ?
1. Lisez notre grande entrevue avec Dahlia Namian
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