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«Une puissance sanguinaire était lâchée»: un roman-fleuve sur la Révolution française

«Une puissance sanguinaire était lâchée»: un roman-fleuve sur la Révolution française

Le Figaro12-07-2025
Dans un roman de 3000 pages, l'écrivain Robert Margerit (1910-1988) reconstitue les évènements qui ont bouleversé la France à partir de 1789 avec un réalisme historique saisissant.
C'est par une radieuse journée de fin d'été, celui de 1788, dans un hameau champêtre près de Limoges, que débute ce roman-fleuve de 3.000 pages consacré à la Révolution française. Bientôt la petite société de bourgeois aisés et de modestes commerçants limougeauds qui se mêlaient les uns aux autres dans ce village où ils avaient des attaches sera engloutie par le tsunami révolutionnaire. Au printemps suivant, l'un d'entre eux, Claude, avocat acquis aux idées nouvelles, fils d'un commis enrichi, ira à Versailles pour les représenter aux États Généraux. Un jeune homme honnête qui va devenir le héros de cette fresque historique dont l'auteur, Robert Margerit, née en 1910 à Brive, limougeaud d'adoption, voulait faire le «roman vrai» des années révolutionnaires.
À lire aussi Jacques de Saint Victor : «Ce que furent vraiment les cahiers de doléances de 1789»
Les trois premiers tomes de la Révolution qui s'achèvent par la chute de Robespierre, parus en 1963 chez Gallimard, reçurent un accueil critique élogieux, notamment dans le Figaro, et furent couronnés par le Grand Prix du roman de l'Académie française. Un quatrième tome, poursuivant le récit du destin de Claude et de la France jusqu'à la chute de la IIe République, sortit en librairie en 1968, et c'est l'ensemble qui est réédité aujourd'hui en poche.
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«La vie quotidienne de ce temps»
Entre-temps, Robert Margerit aura publié dans la célèbre collection des «Trente journées qui ont fait la France » chez Gallimard : Waterloo : 18 juin 1815. Car Margerit, s'il était d'abord romancier, récompensé par le Prix Renaudot en 1951 pour Le dieu nu, (l'histoire d'une passion provinciale pleine d'érotisme contenu), n'était pas un historien du dimanche. Véritable fanatique des archives, qu'elles soient familiales, régionales ou nationales, obsessionnel du détail vrai, il avait pour ambition dans sa Révolution de «recréer l'histoire telle que les gens l'ont vécue». Même les quelques personnages fictifs qu'il met en scène au premier plan au milieu de dizaines d'acteurs historiques sont inspirés de personnes réelles.
De son «écriture au pinceau», qui reconstitue les décors provinciaux et parisiens avec une puissance d'évocation saisissante, il s'efforce de dépeindre les événements de la Révolution telle que les Français les ont vus, de les raconter telle qu'ils se la racontaient eux-mêmes entre eux, s'attachant à traduire ce qu'ils ont pu ressentir, et pas seulement leurs idées, multipliant les personnages pour croiser les points de vue. «J'ai écrit ce livre avec l'intention de mettre l'Histoire dans la vie quotidienne de ce temps», disait-il dans une interview. Avec ses hésitations et ses tiraillements.
Ainsi Claude, en juin 1789, malgré les préventions qu'il avait contre Marie-Antoinette, est-il ébloui et subjugué par la reine lorsqu'il la voit apparaître à Versailles. Il ne prête en revanche aucune attention au falot député d'Arras qu'on lui présente et dont il entend mal le nom qui se termine en – ierre – loin d'imaginer qu'il deviendra l'un de ses proches. Le jour du Serment du Jeu de Paume, où il pleuvait des hallebardes, l'auteur insiste sur la chaleur qui règne dans la salle où s'entassent les députés trempés, «les têtes dépoudrées, les cravates en chiffon, les faces suantes». On s'y croit, on y est. Robert Margerit réussit si bien à nous plonger dans le lent déroulement des événements, à la hauteur des hommes et des femmes qui les ont faits ou traversés, dans l'ignorance de ce qui se passera le lendemain, avec toutes les questions qu'ils se posaient, qu'on est tenu en haleine, pris par un réel suspens… comme si on ignorait comment les choses ont tourné.
Claude, époux de la belle Lise qui finira par l'aimer bien qu'elle l'ait épousé par raison et qu'elle soit éprise du modeste Bernard, futur général de la révolution aux côtés de Jourdan, est un héros modéré. Député législateur vertueux, horrifié par les violences et par les luttes d'ego et de pouvoir, il guide le lecteur dans les assemblées, les clubs, les comités. Jusqu'au comité de salut public, où il siégera avec son ami Robespierre, dont il finira par se désolidariser après qu'il eut instauré le culte de l'Être suprême, considérant comme beaucoup d'autres révolutionnaires que cela signait le retour de l'obscurantisme, du fanatisme et de la superstition. «C'est son esprit obstinément et despotiquement religieux, c'est son caractère de prêtre manqué qui ont tué Maximilien (…) Il a voulu perpétuer l'antique esclavage des âmes.»
Les racines du mal
Le romancier Georges Emmanuel Clancier, grand ami de Robert Margerit, a dit qu'il avait été la dernière victime de la Révolution. C'est vrai qu'il ne publiera plus aucun autre roman pendant vingt ans, jusqu'à sa mort en 1988. Est-ce un sentiment d'échec qui l'aura abattu, au regard de son ambition initiale qui était de «traduire l'histoire par la fiction pour atteindre la vérité historique complète» ? Il en fait part dans le passionnant journal qu'il a tenu au cours des années où il a rédigé la Révolution (Journal de la Révolution, éditions des Amis de Robert Margerit).
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Il est vrai qu'il y a des angles morts dans le roman de Margerit, et non des moindres. La question religieuse, par exemple, ou les guerres de Vendée. Il est à peine fait allusion à la fermeture des monastères en 1789 et les quelques pages sur la constitution civile du clergé sont bien maigres au regard de ses conséquences énormes.
Pourtant, dès le début, on sent que l'auteur s'interroge sur les racines du mal qui a dévoré les bonnes intentions humanistes de départ. Déjà, en juin 1789, Claude, témoin d'un massacre au faubourg Saint-Antoine avait «eu le sentiment qu'une puissance sanguinaire était lâchée». Et si Margerit avait cessé d'écrire par tristesse, parce qu'à force d'étudier et de vivre la Révolution par l'intermédiaire de ses personnages, il s'était convaincu qu'en fait aucun progrès moral ou historique n'était possible ?
Les Français versent leur sang pour la liberté, cependant ils ne l'aiment pas, au fond.
Écoutons ce qu'il fait dire à son héros, à l'ultime page du dernier volume, après le coup d'État de Napoléon III : «Décidément, l'épreuve n'apprend rien. Ces fous veulent encore un Empire (…) Faut-il donc toujours recommencer ! La France ne se guérira pas des individus. Nous nous sommes efforcés de lui donner des serviteurs quasi anonymes, mais elle a besoin de personnalités ; il faut à sa passion des Louis XVI, des Necker, des Mirabeau, des Danton, des Robespierre, des Louis XVIII et des Napoléon, pour les idolâtrer ou les haïr – les idolâtrer et les haïr.»
Plus sévère encore, il poursuit : «Les Français versent leur sang pour la liberté, cependant ils ne l'aiment pas, au fond ; il leur convient de dépendre. Ils n'aiment pas les régimes parlementaires, car les citoyens n'ont guère confiance en eux-mêmes, et la démocratie exige trop de leur paresse. Ils trouvent plus commode de s'en remettre à un homme, quitte à lui couper le cou ensuite, ou le renverser, le bannir.» Il semblerait qu'à l'issue de ce colossal travail historique, Margerit avait perdu foi en l'homme. Un roman passionnant pour ceux qui veulent mieux comprendre l'histoire de la France depuis 1789.
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