
Un petit vélo rouge sur la route verte
La piste, une ancienne voie ferrée, longe la rivière Massawippi. Quatorze kilomètres tout plats, entre North Hatley et le campus de l'Université Bishop's à Lennoxville, maintenant un quartier de Sherbrooke. Pas mon genre de vélo ni de parcours surtout. Si l'idée me vient d'aller rouler dans les Cantons-de-l'Est, et elle me vient parfois, je prends une carte des Cantons-de-l'Est, je me fais un parcours au marqueur et je vais le rouler. Pas compliqué.
Si je n'avais pas été l'invité de la Route verte, de North Hatley j'aurais sûrement rejoint Sherbrooke par les côtes de la route 108. Je suis d'abord un cycliste de paysages et j'ai au paysage une relation de conquête : il me faut le monter, le conquérir, entrer dedans sans condom. Je ne veux pas seulement rouler le paysage, je veux le sentir sur ma peau.
La Route verte est-elle un foutu condom de 4300 kilomètres à travers le Québec pour ne pas sentir le Québec ? Je n'ai pas dit ça. Ou si je l'ai dit, c'est pour contester au moins une des statistiques de Vélo Québec qui énonce qu'il y aurait 200 000 cyclotouristes au Québec plus ou moins concernés par la Route verte. Je ne conteste pas le nombre, mais la façon de compter. Les cyclistes, contrairement aux moutons, se comptent un à la fois sans s'additionner. Je suis un des 200 000, mais je vous défends bien de m'ajouter à quiconque.
Par exemple, vous ne pouvez pas m'ajouter à ce couple de Saint-Lambert qui cherchait l'entrée de la piste et qui m'a reconnu : Ah, M. Foglia ! Connaissez-vous la piste qui va à Sherbrooke par le bord de la rivière ?
Je viens juste de la faire.
Ils avaient des hybrides de bonne qualité, mais avec des pneus exagérément larges comme s'en font poser les gens qui croient que plus le pneu est large, plus il est sécuritaire. On fait du vélo pique-nique, m'a expliqué la dame. À l'aller ça creuse, au retour ça digère.
Sont partis pépères. Rien à voir avec le coup de pédale énergique de la dame croisée un peu plus tôt et dont le petit garçon dormait sur le siège arrière.
Vous faites la piste souvent, madame ?
Tous les après-midis quand il fait beau. Sauf les fins de semaine, trop de monde. Deux petites heures pour la forme et pour le bol d'air du petit.
Rien à voir non plus avec les trois petits vieux (mais plus jeunes que moi) qui montaient à pied la côte du campus Bishop's (quand j'ai dit que c'était tout plat, j'ai oublié la côte assez raide dans le bois qui mène au campus). J'ai marché avec eux par solidarité. Un médecin et deux profs à la retraite. Roulent ensemble une ou deux fois par semaine.
Vous parlez de quoi en roulant ?
C'est drôle, on ne parle presque pas, a dit le médecin.
Pourquoi drôle ?
Parce que quand on se rencontre chez l'un ou l'autre on chiale tout le temps ; tout ce qui va mal dans le monde. Faut croire qu'à vélo, on garde notre souffle pour pédaler.
À la vitesse à laquelle ils pédalent – on pourrait presque les suivre en joggant – je ne pense pas que ce soit pour économiser leur souffle. C'est juste qu'à vélo, on sent le monde autrement. On a beau être assis, on bouge dedans. On en est partie. Et il y a cette petite douleur au genou, cette raideur dans le dos… Certes le monde ne va pas très bien, mais nous non plus on n'est pas au top ; cela nous rend circonspects.
Pour revenir à cette Route verte que l'on a inaugurée officiellement à Québec hier, elle n'a qu'un assez lointain rapport avec le cyclotourisme. C'est cette maman avec son bébé qui dodeline du casque sur le siège arrière. Ces trois retraités qu'un petit vent contraire porte à se taire. Ce couple de Saint-Lambert assis dans la mousse sur la rive de la Massawippi. C'est encore une petite fille sur un vélo rouge qui mouline derrière son papa. Je lui tire la langue en passant.
Papa ! Papa ! Le monsieur me fait des grimaces.
Me suis défendu auprès du papa en ôtant ma casquette : Franchement monsieur, voyez mes cheveux blancs. Même, constatez que par grands bouts je n'ai plus de cheveux du tout. M'amuserais-je, à mon âge, à tirer la langue à un bébé de même pas deux ans et demi ?
J'ai pas deux ans et demi, j'ai cinq ans.
La Route verte, c'est d'abord cette petite fille sur son premier vélo et son papa, mardi après-midi sur la piste entre North Hatley et Sherbrooke. La Route verte, ce n'est pas 200 000 cyclotouristes, même pas 100, même pas 10, même pas un seul, avec des sacoches avant et arrière, tapis de sol roulé sur le porte-bagages, qui partira un jour de Ville-Marie au Témiscamingue pour arriver un mois plus tard à Bonaventure en Gaspésie, en passant par Val-d'Or, la piste du P'tit Train du Nord, Montréal, Lévis, La Pocatière, la vallée de la Matapédia.
La Route verte est d'abord et avant tout les sections urbaines et suburbaines du réseau des pistes de Montréal, Québec, Sherbrooke, Victoriaville, Shawinigan. Avant que d'être cyclotouriste, la Route verte est familiale.
On l'a beaucoup écrit ces jours-ci, la Route verte est l'aboutissement d'un projet mené rondement par Vélo Québec depuis 1995 (Jean-François Pronovost, s'il vous faut un héros), en très étroite collaboration avec le ministère des Transports, qui y croit très fort.
Le projet est né avec l'appui des libéraux alors au pouvoir, les péquistes ont poursuivi ; de retour, les libéraux de M. Charest, après un instant d'hésitation, ont vite redonné le feu vert, étonnés par la popularité du projet au sein même de la machine gouvernementale. Je me suis laissé dire par une amie qui roule avec elle que Mme Julie Boulet, l'actuelle ministre des Transports, pédale ma foi fort sportivement sur des parcours exigeants ; fervent cyclotouriste, Marc Panneton, coordonnateur vélo à ce même ministère, va travailler à vélo jusqu'aux premières neiges. Bref, on est là devant un exemple je crois unique – et quasi miraculeux – de partenariat enthousiaste et fructueux entre un gouvernement de droite et un organisme de gauche, en tout cas très « citoyen ».
Mais j'ai envie de rappeler avant de terminer que la Route verte est surtout née d'une culture vélo implantée il y a tout juste 40 ans par les pionniers de Vélo Québec, les Guy Rouleau, Louise Roy (oui, oui, celle-là même qui s'est plantée avec les Outgames), et ce n'est pas pour me vanter, mais j'étais là aussi. Pas comme bâtisseur, comme fouteur de merde. Voulez-vous bien me dire, les tannais-je, voulez-vous bien me dire pourquoi diable des pistes cyclables ?
Quarante ans plus tard, c'est la petite fille au vélo rouge qui a enfin répondu à ma question sans le faire exprès quand je lui ai lancé : Tu roules tout croche, Juliette !
Pas grave, m'a lancé la gamine, y'a pas d'autos. Avant d'ajouter : Pis tu sauras que je ne m'appelle même pas Juliette.
Pas grave, je ne m'appelle même pas Roméo.
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