
Pas de téléphone, mais des jeux vidéo
Le téléphone cellulaire sortira des écoles du Québec dès la prochaine rentrée, mais des programmes de sport électronique (souvent appelé « e-sport ») qui permettent à des jeunes de jouer pendant plusieurs heures par jour continuent d'être implantés. Une pratique qui soulève certaines préoccupations.
Dans la métropole, l'école secondaire Édouard-Montpetit offre une telle concentration depuis 2019. Sur le site internet de l'établissement affilié au centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), on la présente comme une « concentration sportive » au même titre que le basketball, la boxe, l'escrime ou la natation.
Or, « l'e-sport, c'est un ajout de temps d'écran », a répondu d'entrée de jeu Fanny Lemétayer, conseillère scientifique à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), quand le député Enrico Ciccone lui a demandé en septembre 2024 son avis sur ces programmes scolaires, dans le cadre de la commission sur les impacts des écrans chez les jeunes.
Le psychologue Antoine Lemay l'a lui aussi constaté dans le cadre de sa thèse de doctorat. Il a comparé des élèves qui étaient dans un programme parascolaire de sport électronique avec d'autres jeunes qui jouaient aux jeux vidéo, sans faire partie d'un programme. L'échantillon de filles était si petit que ces rares joueuses ont dû être exclues de l'étude.
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE
Antoine Lemay a étudié le sport électronique en milieu scolaire dans le cadre de sa thèse de doctorat.
Premier constat : les garçons qui sont inscrits au programme « consacrent beaucoup plus de temps aux écrans que les jeunes qui ne font pas de sport électronique », dit le psychologue.
En moyenne, les jeunes inscrits au programme consacraient 50 heures par semaine aux loisirs sur écrans, contre une trentaine d'heures chez ceux qui s'adonnaient à la pratique de jeux vidéo en loisir, sans faire partie d'un programme parascolaire.
« Nos données n'indiquent pas que les jeunes jouent moins à la maison. Le temps de sport électronique s'est ajouté : les jeunes faisaient du sport électronique 14 heures par semaine », explique Antoine Lemay.
Environ le tiers des adolescents « e-sportifs » présentent un profil de joueur potentiellement problématique, comparativement à 12 % chez leurs pairs.
Québec ne tient pas de liste
Dans son rapport déposé en mai dernier, la commission sur les écrans ne recommande pas de mettre fin à ces programmes scolaires, mais suggère que le ministère de l'Éducation soit informé de la décision d'une école, privée ou publique, « de mettre en place ce type de programme et que celui-ci fasse l'objet d'une surveillance accrue de la part du ministère ».
Le ministère de l'Éducation confirme qu'il ne détient pas la liste des écoles qui offrent ce type de programme, mais on nous écrit qu'il « prend acte de ce rapport ».
La Fédération québécoise de sports électroniques (FQSE) estime que 900 jeunes du secondaire et du cégep sont dans des ligues scolaires.
Son président est lui aussi d'avis qu'il faut mieux encadrer les sports électroniques dans les écoles « pour offrir quelque chose d'optimal aux jeunes ».
Encore faut-il avoir les moyens, dit Louis-David L. Renaud, qui rappelle que la « mesure 15028 » du ministère de l'Éducation interdit spécifiquement de financer toute activité parascolaire liée aux jeux vidéo.
« Ils ne seront pas assis toute la journée »
Loin d'être une activité marginale, le sport électronique gagne de plus en plus en popularité et les prix remis lors des tournois internationaux se chiffrent en millions de dollars pour les équipes victorieuses.
Le Comité international olympique (CIO) a donné son assentiment à l'Arabie saoudite pour que, dès 2027, le pays organise les premiers « Jeux olympiques » de sport électronique, en partenariat avec la Esports World Cup Foundation. Il s'agit de « combler le fossé entre l'e-sport et les sports traditionnels », a déclaré le CIO au début de l'année.
L'an prochain, de nouvelles écoles offriront un programme de sport électronique. C'est le cas de l'école secondaire de l'Achigan, à Saint-Roch-de-l'Achigan. Un peu plus de 25 élèves de 1ère secondaire s'y sont inscrits.
L'école secondaire Cardinal-Roy, à Québec, offrira le sport électronique comme programme de sport-études à compter de la prochaine rentrée, au même titre que ceux qui sont inscrits en cirque ou en ski. Ils feront leur discipline le matin et seront en classe l'après-midi.
Ancien joueur vedette de football du Rouge et Or et coordonnateur du programme Sport-Arts-Études de l'école, Francesco Pepe Esposito dit qu'il avait ses « idées reçues » sur le sport électronique.
« Ils ne seront pas assis toute la journée. Il y a de la nutrition, de saines habitudes de vie, de la préparation physique et mentale », explique M. Pepe Esposito, qui a été convaincu que le sport électronique « peut s'apparenter à du sport » par l'Académie Esports de Québec, qui est responsable de la concentration.
PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE
Les programmes de sport électronique ne se limitent pas au jeu, explique le CSSDM.
Francesco Pepe Esposito dit que les enfants qui s'inscrivent à ces concentrations vont « jouer chez eux de toute façon, et de manière non encadrée ».
« Peut-être qu'ils vont manger des sacs de chips, mal s'alimenter, passer des heures devant leurs jeux au lieu d'aller dehors », illustre-t-il.
Au moins, on propose une alternative encadrée avec des professionnels, qui se concentrent sur l'humain qui joue au jeu, et pas juste sur le jeu.
Francesco Pepe Esposito, coordonnateur du programme Sport-Arts-Études de l'école secondaire Cardinal-Roy
Chaque année, environ une douzaine d'élèves s'inscrivent au programme de sport électronique de l'école secondaire Édouard-Montpetit, à Montréal. Environ deux heures sont consacrées chaque jour à la concentration.
« Les élèves ne sont pas toujours devant des écrans pendant cette période, ils ont des formations, des discussions, etc. », écrit Alain Perron, porte-parole du CSSDM.
PHOTO KATARINA PREMFORS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES
Compétition dans le cadre de la Coupe du monde d'e-sport 2024, à Riyad, en Arabie saoudite
Le président de la FQSE prend son propre exemple. « J'ai été un geek, j'ai toujours eu de la misère avec le sport, l'entraînement. J'ai trouvé ma façon de me garder en forme : marche rapide, vélo, course. Mais j'ai 42 ans et j'ai des maux de dos parce que j'étais devant les écrans. C'est quoi, la solution, si ce n'est pas d'aider ces jeunes à être mieux et de prévenir ce que j'ai vécu ? », demande Louis-David L. Renaud.
Le programme crée un lien avec des jeunes qui sont peut-être parfois « plus fragiles », dit Philippe Gauthier, directeur général de l'Académie Esports de Québec.
Rentrer en contact, c'est la première ligne, parce qu'un des problèmes de la cyberdépendance, c'est l'isolement. S'ils sont avec nous et qu'ils échangent, ils ne [s'enlisent pas].
Philippe Gauthier, directeur général de l'Académie Esports de Québec
Le psychologue Antoine Lemay reconnaît qu'un certain « effet protecteur » de ces programmes peut exister, par exemple en « captant des jeunes qui vivent peut-être des difficultés ».
Malgré tout, ces jeunes « sont plus à risque, ils passent pas mal plus de temps [à jouer], et ce, malgré le fait qu'on travaille activement [à l'école] pour mitiger les méfaits ».
« L'étude, ce qu'elle nous disait, ce n'est pas nécessairement que c'est l'enfer et qu'il faut interdire ça. Mais le minimum, c'est qu'il faudrait bonifier les structures mises en place », dit Antoine Lemay.
Qu'est-ce que le sport électronique ?
Le sport électronique est encore méconnu. « C'est de la compétition au niveau des jeux vidéo. C'est un joueur contre un autre joueur, sur un jeu vidéo qui est dédié à ça », explique Philippe Gauthier, directeur général de l'Académie Esports de Québec, qui cite les jeux Rocket League, Overwatch et League of Legends.
On a trop souvent une vision du sport qu'on réduit à « dépense calorique », dit Louis-David L. Renaud, président de la Fédération québécoise de sports électroniques.
« Personne ne va dire qu'il fait du plongeon pour perdre du poids. Mais c'est un sport. Pour l'exécuter, il faut de l'entraînement, il faut de la mise en forme, des exercices. C'est la même chose avec le sport électronique. Pour moi, le côté compétitif est important », dit M. L. Renaud.
Il n'y a pas beaucoup d'avenues professionnelles pour les joueurs de sport électronique au Québec, reconnaît Philippe Gauthier, à part être entraîneur dans une école ou dans un club. « Mais les jeux vidéo, c'est bon pour le travail d'équipe : la cohésion, la prise de décision rapide, l'analyse de ce qui se passe. Ça donne de bonnes habitudes », dit-il.
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2 minutes ago
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Le commerce au cœur des préoccupations
La plupart des sujets de discussion des premiers ministres porteront probablement sur les droits de douane imposés par le président américain Donald Trump. (Toronto) Les droits de douane et le commerce sont au cœur des préoccupations des premiers ministres du pays qui arrivent en Ontario pour une réunion de trois jours, à un moment crucial pour les relations canado-américaines et nationales. Allison Jones La Presse Canadienne La réunion estivale des premiers ministres à Muskoka comprendra également une rencontre mardi avec le premier ministre Mark Carney alors que les négociations commerciales avec les États-Unis devraient s'intensifier. La plupart des sujets de discussion des premiers ministres porteront probablement sur les droits de douane imposés par le président américain Donald Trump : les négociations commerciales, l'impact direct sur des industries comme l'acier et l'aluminium, les pressions accrues pour supprimer les barrières commerciales interprovinciales et accélérer les grands projets d'infrastructure et de ressources naturelles afin de contrer les effets des droits de douane, ainsi que les préoccupations des communautés autochtones à leur égard. La première journée de la réunion des premiers ministres sera consacrée à des discussions avec des dirigeants autochtones, notamment l'Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis et l'Association des femmes autochtones du Canada. Mark Carney lui-même vient de rencontrer des centaines de chefs des Premières Nations, dont plusieurs ont exprimé leurs inquiétudes quant à la mise à l'écart de leurs droits alors que le premier ministre cherche à accélérer des projets dans l'« intérêt national ». PHOTO SPENCER COLBY, LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre Mark Carney a pris la parole lors du Sommet des Premières Nations au Musée canadien de l'histoire à Gatineau, au Québec, le 17 juillet 2025. Parmi les priorités des premiers ministres figurent les pipelines et l'exploitation minière dans la région du Cercle de feu de l'Ontario. Les chefs ont déclaré que cela ne doit pas se produire si les gouvernements se soustraient à leur devoir de consultation. Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, qui a présidé le Conseil de la fédération l'année dernière, est l'hôte de la réunion. Il a mentionné dans un communiqué que la protection des intérêts nationaux serait une priorité. « Cette réunion sera l'occasion de collaborer sur la façon de répondre à la dernière menace du président Trump et de libérer le plein potentiel de l'économie canadienne », a écrit M. Ford. MM. Trump et Carney ont convenu en juin, lors du Sommet du G7, de tenter de conclure un accord commercial d'ici le 21 juillet, mais le président américain a récemment repoussé cette date au 1er août, tout en annonçant à M. Carney son intention d'imposer des droits de douane généralisés de 35 % au Canada le même jour. Mark Carney a affirmé que le Canada cherchait à obtenir un accord sur les exportations de bois d'œuvre résineux, inclus dans les négociations avec les États-Unis. Le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, a souligné qu'il comptait soulever cette question et d'autres particulièrement importantes pour la Colombie-Britannique lors de la rencontre. « Nous souhaitons bénéficier du même niveau d'attention, par exemple, pour le bois d'œuvre résineux que celui accordé à l'Ontario pour le secteur des pièces automobiles, et de la même attention accordée aux projets d'immobilisations que celle accordée actuellement à l'Alberta par rapport à ses propositions », a soutenu M. Eby la semaine dernière à Victoria. La première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, a fortement encouragé la construction de nouveaux pipelines, mais a indiqué vendredi, lors d'une conférence de presse, qu'elle se concentrerait également sur la collaboration entre les premiers ministres pour faire face à la menace tarifaire, notamment en matière de commerce interprovincial. PHOTO JEFF MCINTOSH, LA PRESSE CANADIENNE La première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, et le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, ont signé des accords pour construire de nouvelles infrastructures énergétiques et commerciales, le 7 juillet 2025 à Calgary, en Alberta. « J'ai été très heureuse de signer [un protocole d'entente] avec Doug Ford lors de son passage ici pendant le Stampede, et d'autres provinces travaillent sur des accords de collaboration similaires, a-t-elle mentionné. Nous devons intensifier nos échanges commerciaux, et j'espère que c'est l'esprit de la discussion. » Mme Smith et M. Ford ont signé un protocole d'entente plus tôt ce mois-ci pour étudier de nouveaux pipelines et lignes ferroviaires entre les provinces. Les deux premiers ministres ont également exprimé leur souhait que M. Carney abroge plusieurs réglementations énergétiques, comme les cibles de carboneutralité, l'interdiction des pétroliers sur la côte ouest et le projet de plafond d'émissions. Doug Ford a également joué un rôle de premier plan dans l'augmentation du commerce interprovincial, en signant des protocoles d'entente avec plusieurs provinces et en promulguant une loi supprimant toutes les exceptions de l'Ontario au libre-échange entre les provinces et les territoires. Tim Houston, de la Nouvelle-Écosse, est un autre premier ministre qui prône le commerce interprovincial, affirmant que la guerre commerciale l'oblige à agir. « Nous constatons l'intérêt de travailler ensemble pour répondre aux menaces économiques des États-Unis en éliminant les barrières commerciales intérieures et en créant des possibilités d'expansion sur d'autres marchés internationaux », a-t-il écrit dans un communiqué. D'autres points à discuter Selon M. Ford, les premiers ministres discuteront également de gestion des urgences, de sécurité énergétique, de souveraineté et de sécurité nationale, de santé et de sécurité publique. Les premiers ministres ont également fait pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il réforme les lois sur la libération sous caution. M. Carney a déclaré la semaine dernière que le projet de loi serait présenté à l'automne et qu'il comptait aborder la question avec eux mardi. La réunion estivale des premiers ministres marque également une relève, la présidence du Conseil de la fédération changeant chaque année d'une province à l'autre. Mais une fois que M. Ford ne sera plus président, il ne devrait pas trop s'éloigner de toutes les questions susmentionnées. Il demeure premier ministre de la province la plus peuplée, a bâti une relation solide avec M. Carney, dont il vante souvent les mérites, et a accordé de fréquentes entrevues à la télévision américaine pour plaider en faveur d'un renforcement des échanges commerciaux plutôt que des droits de douane. Ces apparitions sur les chaînes de télévision lui ont en partie valu le surnom de « Capitaine Canada », un personnage dont il a tiré un immense profit politique. M. Ford a placé la lutte contre les droits de douane et Donald Trump au cœur de sa campagne de réélection. Les électeurs l'ont réélu au gouvernement avec une troisième majorité consécutive. Avec des informations de Wolfgang Depner à Victoria, Keith Doucette à Halifax et Lisa Johnson à Edmonton.


La Presse
3 hours ago
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Leaders européens : Keir Starmer
Abandonné par son allié le plus proche, les États-Unis, le Canada est à la recherche d'un nouveau meilleur ami parmi les dirigeants européens. Qui sera l'élu ? Probablement pas le premier ministre britannique, conclut notre chroniqueuse dans ce premier portrait d'une série estivale. Des rumeurs persistantes collent à la peau du premier ministre britannique, Keir Starmer, depuis des années. Selon la légende, l'ancien avocat spécialisé en droits de la personne, qui, avant de se lancer en politique, a défendu la veuve et l'orphelin contre les grandes sociétés pétrolières et le géant McDonald's, aurait inspiré un des personnages les plus connus de la comédie romantique Le Journal de Bridget Jones, Mark Darcy. Taciturne, un peu coincé, Mark Darcy, joué par Colin Firth, est le bon gars qui défend des causes justes à travers le monde tout en ne laissant jamais tomber la Londonienne maladroite, et ce, même si cette dernière lui brise le cœur à répétition. Il est l'incarnation de l'homme droit. L'auteure de la série à succès, Helen Fielding, a toujours entretenu le flou sur l'origine du personnage, mais n'a pas hésité récemment à comparer Keir Starmer au personnage fictif. « [Keir Starmer] est un homme bon, honnête et intelligent, mais il est tellement coincé. J'ai toujours envie de lui dire de desserrer sa cravate », a dit l'auteure le mois dernier. Ces jours-ci, Keir Starmer doit s'accrocher à cette comparaison largement flatteuse. Élu il y a un an à la tête d'un véritable raz-de-marée travailliste après 14 ans de règne tumultueux du Parti conservateur, l'actuel locataire du 10, Downing Street est aujourd'hui le premier ministre le moins populaire de Grande-Bretagne depuis que les sondages de popularité existent. Selon le site YouGov, qui a publié ses derniers résultats le 16 juillet, tout juste 23 % des Britanniques sondés voient d'un œil favorable le premier ministre, soit 20 points de moins qu'à la même date l'an dernier. Une majorité d'électeurs considèrent que le gouvernement qu'il dirige est tout aussi chaotique, sinon plus, que les gouvernements des tories qui l'ont précédé. Les dernières semaines ont été particulièrement ardues pour le premier ministre qui s'est cassé les dents en tentant de faire passer une réforme de l'aide sociale qui aurait amputé de 5 milliards de livres sterling les allocations aux personnes handicapées. La mesure d'austérité a créé une véritable levée de boucliers et d'épées dans les rangs du Parti travailliste – qui regroupe à la fois des élus centristes et de gauche – et ébranlé le leadership du chef du parti. En tout, 47 députés d'arrière-ban se sont opposés à la mesure. Cette semaine, Keir Starmer a tenté de rétablir son autorité, montrant la porte du caucus à quatre députés rebelles et en dépouillant trois autres d'une tâche honorifique. « Ridicule », « petit ». « vengeur » et « faible » ont été parmi les qualificatifs attribués à M. Starmer par les députés éconduits, qui se sont confiés aux journalistes qui couvrent Westminster. Certains songeraient déjà à le remplacer à la tête du gouvernement. S'il a la vie dure à la maison, Keir Starmer mise davantage sur la scène internationale. Depuis son arrivée au pouvoir, il a enchaîné 32 voyages à l'étranger. Il a notamment été le premier dirigeant mondial à conclure une entente commerciale avec l'administration Trump alors que les autres s'arrachent les cheveux. Il a aussi réchauffé passablement les relations entre le Royaume-Uni post-Brexit et l'Union européenne. « Beaucoup de gens se demandent cependant si vous ne passez pas trop de temps avec vos amis Donald [Trump], Volodymyr [Zelensky] et Emmanuel [Macron], et pas assez avec [vos amis en Grande-Bretagne] », a dit Nick Robinson, de la BBC, à Keir Starmer lors d'une entrevue marquant sa première année au pouvoir. « C'est important d'avoir une bonne relation avec le président Trump. C'est dans l'intérêt national », a répondu le premier ministre, affirmant que l'amitié personnelle qu'il a avec le chef de la Maison-Blanche a aidé son pays. Cette amitié entre les deux hommes en sidère plus d'un. Fils d'un ouvrier et d'une infirmière, ayant gravité dans les cercles socialistes et défendu des accusés en Afrique pour leur éviter la peine de mort, Keir Starmer n'a à première vue pas grand-chose en commun avec le magnat de l'immobilier américain, né de la cuisse de Jupiter. « Nous sommes des gens très différents, mais je comprends ce qui ancre le président Trump. La première fois que je lui ai parlé, on venait de lui tirer dessus. Je voulais savoir comment ça avait affecté sa famille. L'an dernier, j'ai perdu mon frère le jour du Boxing Day [26 décembre] et il m'a appelé le surlendemain », fait valoir le premier ministre qui dit partager les « valeurs familiales » de l'élu américain. Beaucoup de critiques, notamment parmi ses anciens collègues du milieu des droits de la personne, lui reprochent plutôt de sacrifier ses véritables valeurs sur l'autel de la vanité de Donald Trump afin d'éviter les droits de douane et de démontrer que la Grande-Bretagne est le principal allié des États-Unis. « En se précipitant pour conclure un 'accord' commercial avec les États-Unis – sans doute dans l'intérêt immédiat de l'industrie britannique –, le Royaume-Uni a semblé cautionner une violation majeure du système commercial mondial », note Jill Rutter, une analyste senior à l'Institute for Government de Londres. « De même, en refusant de dénoncer la rhétorique du 51e État de l'administration Trump concernant le Canada, le Royaume-Uni a failli à son devoir de soutien envers l'un de ses plus proches alliés », continue l'ancienne haute fonctionnaire. On se rappellera notamment que lorsqu'un journaliste a interrogé Keir Starmer sur les menaces d'annexion que le président américain fait planer sur le Canada, le premier ministre britannique l'a accusé de vouloir « trouver une division [entre lui et le président américain] qui n'existe pas ». Et tant pis pour la souveraineté canadienne ! Mark Carney, qui a dirigé la Banque d'Angleterre avant de devenir premier ministre, n'a pas été impressionné non plus quand son vis-à-vis britannique, par l'entremise du roi Charles III, a convié le président américain à une seconde visite d'État qui doit avoir lieu en septembre. Et tant pis pour la solidarité au sein du Commonwealth. Keir Starmer a peut-être des traits du Mark Darcy de Bridget Jones, mais il n'a décidément pas grand-chose en commun avec un autre personnage légendaire de la plus célèbre des comédies romantiques britanniques. Dans Love Actually, le premier ministre du Royaume-Uni, incarné par Hugh Grant, envoyait promener le président américain qui débordait d'arrogance. Et voyait sa popularité grimper d'un coup.


La Presse
4 hours ago
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En terrasse avec… Yvette Mollen
Cet été, nos journalistes invitent chaque semaine en terrasse une personnalité pour une petite jasette en toute convivialité. Louise Leduc a rencontré Yvette Mollen, qui consacre sa vie à la sauvegarde de la langue innue. « Je regarde les enfants qui ont 3 ou 4 ans aujourd'hui et je me dis : ce sont les derniers qui parleront innu. Au moins, moi, je vais mourir avant la langue », lance Yvette Mollen. Elle le dit comme un constat, mais sans s'y résoudre d'aucune façon. Car gardienne de la langue innue elle sera, jusqu'à son dernier souffle. Qu'on en juge : sans relâche, elle est en train d'écrire rien de moins qu'un dictionnaire innu. Cet été, elle se promet bien, aussi, d'avancer à fond dans sa traduction du Petit Prince. « J'en suis au tiers, ce n'est pas facile de traduire de la poésie. » Tout ça en travaillant aussi sur un jeu vidéo pour que les enfants de 4, 5 ou 6 ans apprennent l'innu. Le prototype est terminé, il ne reste qu'à le peaufiner un peu pour tenir compte des commentaires et des expériences des enfants qui l'ont testé. Il ne sera pas dit qu'Yvette Mollen n'aura pas tout fait pour éviter à sa langue la disparition qui touche tant de langues autochtones. Le dictionnaire innu compte maintenant 30 000 mots. « Je ne suis pas seule à le faire, je suis aidée par une équipe de linguistes non autochtones », précise-t-elle. D'où lui vient cette détermination à préserver l'innu ? Par une enfance tout entière baignée dans cette langue et dans les activités traditionnelles, à Ekuanitshit (Mingan), là où elle a grandi. Sa mère étant tombée malade quand elle-même n'avait que 4 ans, elle a été en bonne partie élevée par son père et par ses grands-parents. PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE Louise Leduc et Yvette Mollen s'entretiennent sur la terrasse de l'Hôtel Nelligan. Mon père n'est pas parti étudier au pensionnat, il n'avait qu'une base de français, si bien qu'on ne parlait qu'innu chez nous. Yvette Mollen Il était aussi « l'un des derniers nomades de la communauté ». « Ma sœur et moi, on a aussi fait partie du dernier voyage de notre famille. Je nous revois, mon père marchant devant le traîneau, tiré par mon oncle. Ma sœur lançait à répétition sa poupée hors du traîneau, mon oncle avait fini par la prendre avec lui en lui disant qu'il la lui rendrait à destination. » Et quelle était cette destination ? « Quelque part dans la forêt, mais je ne saurais plus dire où nous allions. Je n'ai plus que quelques flashs de cette époque. Mon père connaissait toutes les techniques de chasse », raconte Mme Mollen. Yvette Mollen raconte le territoire de son enfance, sa vie de nomade, le traîneau, les tirant, sa sœur et elle, parmi les bagages. Et le temps de son récit, on oublie la terrasse à Montréal, on oublie l'espace et le temps, on est dans la forêt, à une époque où les caribous n'étaient pas en voie d'extinction. Dans une vie, ça doit quand même faire toute une rupture, de vivre tout cela puis d'arriver en ville ? Pas tant, dit-elle. « Parfois, je perds conscience de l'endroit où je suis, que ce soit à Montréal, à Chicoutimi ou à Sept-Îles. Je m'absorbe dans mon travail. » Selon les données de 2021, il n'y aurait plus que 28 000 locuteurs innus au Québec et au Labrador. Et même quand on parle la langue, sa richesse se perd. La langue dépérit, du seul fait, à la base, qu'on ne connaît plus le vocabulaire du territoire. Comme on ne vit plus dans le bois, on perd les mots de la chasse, de la pêche. Yvette Mollen Son grand regret, c'est de ne pas pouvoir revenir en arrière et de savoir à 15 ans ce qu'elle sait aujourd'hui, à 60 ans. « Je prendrais un petit appareil et j'enregistrerais mon grand-père et mon père, j'enregistrerais tous leurs mots et toutes ces légendes qu'eux connaissaient et que nous perdons. » Même quand Mme Mollen voit sa fille, à qui elle parle en innu, elle se désole qu'elle lui réponde souvent en français. Et si certains d'entre eux la comprennent, « jamais je n'entendrai mes petits-enfants parler innu entre eux ». Au fil des ans, Mme Mollen a mis sur pied un programme d'enseignement de la langue innue au primaire. Elle a été l'instigatrice d'un important corpus de publications scolaires, de matériel didactique et de publications jeunesse en innu-aimun. Et pendant le confinement pandémique, Mme Mollen s'est étonnée d'entendre sa petite-fille, tablette dans les mains, prononçant des mots dans une langue étrangère. « Elle apprenait le mandarin ! Elle prononçait les noms des animaux et le jeu la félicitait ! » Mme Mollen a tout de suite pensé qu'il lui fallait reproduire l'idée pour l'innu. Il fallait être créatif, et de toute urgence. Les enfants autochtones d'aujourd'hui parlent français ou anglais. À l'école, on n'enseigne l'innu qu'une heure par cycle de huit ou neuf jours en raison d'une pénurie de personnes capables de la transmettre. Dans les communautés, on ne se rend pas compte que nos langues sont au bord du précipice. Yvette Mollen À son avis, ce sont toutes les langues autochtones qui le sont. « Même les Mohawks, [chez qui] il y a une renaissance, ont failli perdre leur langue avant qu'une prise de conscience soit faite et qu'on l'enseigne à l'école. » Yvette Mollen assure qu'elle ne prendra jamais sa retraite. « Le jour où j'arrêterai de travailler, je vais commencer à mourir. » Questionnaire estival À quoi ressemble votre été idéal ? Mon été idéal, c'est d'être avec mes deux filles et mes petits-enfants, réunis dans un chalet en pleine forêt, près d'un lac où l'on peut pêcher. Aller faire du canot, allumer un feu le soir et surtout écouter le silence. Le bruit incessant de la ville agace les oreilles, et ce, le jour comme la nuit. Quel a été le plus beau voyage de votre vie ? Les plus beaux voyages étaient ceux que je faisais à l'intérieur des terres avec mes parents et ma grand-mère paternelle. Nous pêchions la truite. Mon père chassait, pas très loin, et nous profitions de la nature immense, d'un lac ou d'une rivière. C'était magnifique de se retrouver dans le « nutshimit », l'intérieur des terres. On pouvait entendre la respiration des arbres, voir le soir tomber sur l'eau à la lueur de la lune. L'été, quel est le plat innu dont vous ne pouvez pas vous passer ? J'aime manger de l'outarde, du gibier tel que le canard. Il y a aussi le saumon qui est délicieux. Il faut pour cela aller dans ma communauté. Il ne faut pas oublier le pain qu'on appelle en innu « kaianauakauakanit » : de la bannique cuite dans le sable. J'aime en faire, c'est délicieux. Êtes-vous plus mer, lac ou montagne ? Je suis pour là où le silence règne, là où la paix existe. À Ekuanitshit, il y a une île en face de la communauté : l'île du Havre de Mingan. Souvent, l'été, nous voyons des baleines et des loups-marins le soir. Tant que c'est la forêt, c'est extraordinaire !