
Le Valais ferme la porte à la vente légale de cannabis
Les autorités valaisannes rejettent fermement l'expérimentation de vente légale du cannabis.
Getty Images
L'essai pilote de vente légale de cannabis en Valais se heurte à un refus catégorique des autorités cantonales. Alors que plusieurs villes suisses comme Lausanne, Berne, Bienne et Zurich ont déjà lancé des projets similaires dans le cadre d'études scientifiques encadrées par la législation fédérale, le Canton du Valais refuse de s'engager dans cette voie, selon des informations du «Walliser Bote» et du «Nouvelliste» .
Le projet valaisan, en préparation depuis plusieurs années, devait être mené conjointement par la HES-SO et BergBlüten AG, une entreprise haut-valaisanne spécialisée dans le CBD. Toutefois, dans un échange que le «Walliser Bote» a pu consulter, le conseiller d'État Stéphane Ganzer a fermé la porte de façon abrupte au projet, déclarant: «Dans mon département, il n'y a actuellement aucun intérêt pour votre projet.» L'élu PLR a rappelé son opposition constante à toute forme de libéralisation du cannabis.
Le commandant de la police cantonale valaisanne, Christian Varone, a également exprimé son refus «sans équivoque» de participer à cet essai pilote. Figure du Parti libéral-radical comme Ganzer, Varone qualifie le cannabis de «fléau» contre lequel il faut lutter. Selon lui, une telle légalisation entraînerait une augmentation significative de la consommation.
Malgré l'investissement conséquent de la société BergBlüten AG, qui aurait consacré plus de sept cents heures de travail au développement de ce projet pilote sur trois ans, l'absence de soutien politique et des forces de l'ordre semble condamner définitivement l'initiative. Cette situation contraste avec l'ouverture manifestée par d'autres cantons suisses qui participent activement aux essais autorisés par la Confédération pour étudier les effets d'une distribution contrôlée de cannabis.
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Claude Béda est journaliste à la rubrique vaudoise de 24 heures. Licencié en sciences sociales et politiques, passionné par les sujets de société et la vie des gens d'ici, il a couvert plusieurs régions du canton, avant de rejoindre la rédaction lausannoise. Plus d'infos
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24 Heures
13 minutes ago
- 24 Heures
La moitié des loups valaisans tués ne sont pas les «bons»
Grand prédateur – La moitié des loups valaisans tués ne sont pas les «bons» Les loups abattus n'appartiennent pas toujours aux meutes problématiques, selon des analyses génétiques. Le débat sur l'utilité de la régulation est relancé. Delphine Gasche - Berne Dès que les loups entrent sur le territoire d'une meute pouvant être régulée, ils prennent le risque de se faire tirer dessus. FLORIAN CELLA/VQH Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk En bref : L'analyse génétique révèle que la moitié des loups éliminés en Valais n'appartenaient pas aux meutes ciblées. À gauche, on remet en question le système actuel de régulation. Le camp bourgeois pointe, lui, les résultats positifs, malgré les victimes collatérales. Les loups valaisans doivent faire attention où ils mettent leurs pattes. Dès qu'ils entrent sur le territoire d'une meute pouvant être régulée, ils prennent le risque de se faire tirer dessus. Et beaucoup se font avoir, si l'on peut dire ainsi. La moitié des 34 loups abattus entre septembre 2024 et janvier 2025 n'appartenaient pas à une meute catégorisée comme problématique par l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) – et donc pouvant être éliminée – selon les analyses de parenté réalisées par l'Université de Lausanne, révélées par SonntagsBlick. Le Valais fait ainsi beaucoup moins bien que les Grisons, l'autre grand canton à loups. Cinq des 48 loups qui y ont été tirés n'appartenaient pas à la «bonne» meute. Il faut dire que les pratiques diffèrent. Les Grisons ont opté pour une régulation dite partielle: seuls les jeunes peuvent être abattus, selon le dominical alémanique. Les tirs sont interrompus dès qu'ils atteignent la taille et le poids de leurs parents. En Valais, certaines meutes sont déclarées comme problématiques et leurs territoires sont délimités. Tout individu y pénétrant peut être tiré. Les tirs de régulation, vraiment utiles? Le Valais devrait-il revoir sa manière de réguler les loups? «La question mérite clairement d'être creusée, estime Fabien Fivaz (Verts/NE). L'objectif de la régulation proactive est de circonscrire les meutes pour éviter les pertes pour les éleveurs. Si on tire les mauvais loups, on passe complètement à côté. L'utilité même des tirs de régulation est remise en cause.» Le sénateur ne s'étonne toutefois pas des nombreux dommages collatéraux valaisans. «Quand les gardes-faunes et les chasseurs autorisés peuvent juste prendre leur fusil, monter à l'alpage et abattre le premier individu venu, c'est clair qu'on augmente le risque de tirer les mauvais individus. C'est presque un massacre généralisé.» Mathilde Crevoisier Crelier (PS/JU), sénatrice NICOLE PONT Mathilde Crevoisier Crelier (PS/JU) refuse de faire la leçon de but en blanc au Valais. La Jurassienne s'interroge toutefois sur la pertinence du système actuel. «Les tirs préventifs sont une science inexacte. Les individus problématiques sont rarement éliminés. On contribue juste à éclater les meutes.» La sénatrice se demande s'il ne serait pas plus efficace de renforcer la protection des troupeaux. Loups tirés légalement Dans le camp bourgeois, c'est un tout autre son de cloche. Sidney Kamerzin (Centre/VS) défend la méthode valaisanne. «Qu'on tire les «bons» ou les «mauvais» n'est pas important. Les dommages collatéraux sont secondaires. Ce qui compte, ce sont les résultats. Les attaques de loups sur les troupeaux ont diminué. On en entend presque plus parler. La régulation valaisanne est une réussite.» Et le conseiller national de souligner que le loup est un animal intelligent. «Quand il sent un danger, il change son comportement. Il va chercher sa nourriture ailleurs.» Jean-Luc Addor (UDC/VS), conseiller national MADELEINE SCHODER Jean-Luc Addor (UDC/VS) rappelle, de son côté, que le Valais a tout fait juste. «Ces analyses génétiques sont instrumentalisées abusivement par les associations proloup pour faire croire que le Valais aurait agi illégalement. Or, tous les loups ont été tirés par des personnes autorisées dans les périmètres et durant les périodes autorisés.» L'OFEV a d'ailleurs validé tous les tirs. Le conseiller national juge en outre que les analyses génétiques ne permettent pas forcément de s'assurer que l'individu éliminé appartenait à la meute. «La composition des meutes est déterminée mi-août. Mais les loups sont des animaux sauvages. Certains quitteront la meute, d'autres la rejoindront au fil des mois.» Nicolas Bourquin, chef du Service chasse, pêche et faune du Valais, ajoute que certains loups ont pu passer inaperçu pendant des années. «Si on ne trouve pas de crottes ou de traces sur les moutons tués, on n'a pas de matériel génétique.» Changer de stratégie et s'aligner sur celle des Grisons n'apporterait, à ses yeux, pas grand-chose. «Quand on tire le loup la nuit, qu'on soit aux Grisons ou chez nous, il est impossible de savoir quel individu on a en face de nous. L'année prochaine, les résultats pourraient très bien être inversés entre nos deux cantons.» Newsletter «La semaine valaisanne» Découvrez l'essentiel de l'actualité du canton du Valais, chaque vendredi dans votre boîte mail. Autres newsletters Se connecter Delphine Gasche est correspondante parlementaire à Berne depuis mai 2023. Spécialisée en politique, elle couvre avant tout l'actualité fédérale. Auparavant, elle a travaillé pendant sept ans pour l'agence de presse nationale (Keystone-ATS) au sein des rubriques internationale, nationale et politique. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
an hour ago
- 24 Heures
L'Ukraine et les leçons oubliées de la Première Guerre mondiale
Grand entretien – «Nous sommes dans le déni de la défaite de l'Ukraine, car c'est aussi la nôtre» Historien de la Première Guerre mondiale, fervent soutien de Kiev, Stéphane Audoin-Rouzeau se désole des leçons oubliées de 1914-1918. Alexis Feertchak - Le Figaro Des pompiers en intervention à Dobropillia, en Ukraine, après l'attaque russe du 16 juillet 2025. HANDOUT/UKRAINIAN STATE EMERGENCY SERVICE/AFP Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk En bref : L'historien Stéphane Audoin-Rouzeau affirme que l'Ukraine a perdu la guerre depuis l'été 2023. La guerre de position en Ukraine révèle une supériorité défensive similaire à 1914-1918. Les drones russes dominent désormais le champ de bataille avec 1000 frappes quotidiennes. L'Occident n'a pas su adapter son soutien militaire au tempo des besoins ukrainiens. Directeur d'étude à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales) à Paris et président de l'Historial de la Grande Guerre, Stéphane Audoin-Rouzeau est l'un des grands historiens français de la Première Guerre mondiale. Sa vingtaine d'ouvrages dessine une vaste anthropologie de la violence, qui s'appuie sur une étude des mentalités, tant des soldats que des opinions publiques. Fervent soutien de l'Ukraine, il dénonce depuis longtemps un déni de guerre occidental dont les conséquences sont lourdes pour Kiev puisqu'il considère que les Ukrainiens ont déjà perdu la guerre. Les raisons de cette défaite encore invisible se révèlent dans la nature de la guerre de position: pour Stéphane Audoin-Rouzeau, les leçons du premier conflit mondial sont aussi utiles que cruelles. Vous parlez d'un déni de guerre. Mais de quand datez-vous ce déni? On en débattra longuement entre historiens dans le futur, mais il existe un déni ancien, qui dépasse la guerre d'Ukraine. Nos sociétés croient encore à la disparition de la guerre. Collectivement, nous ne sommes pas sortis de cette sorte de parousie de la paix définitive, en Europe occidentale du moins. C'est moins vrai en Europe orientale, où l'inquiétude a été précoce. Dans son cas, le déni est tombé au moins dès 2014, à partir de l'invasion de la Crimée. Plus à l'ouest, nous n'avons absolument pas entendu l'avertissement lancé dès l'invasion de la Géorgie en 2008, puis confirmé par l'intervention russe en Syrie en 2015. L'un des signes les plus étonnants de ce déni a été l'invitation de Poutine à Brégançon (ndlr: résidence d'été des présidents français) en 2019. Et il s'est poursuivi jusqu'aux semaines qui ont précédé l'entrée en guerre de la Russie le 24 février 2022. En tant qu'historien de la Grande guerre, c'est ce qui m'a le plus marqué. Pourquoi? En 1910, le député travailliste britannique Norman Angell a écrit un livre, qui a été un best-seller, traduit en français sous le titre «La grande illusion». Angell était un pacifiste, certes, mais de tendance libérale, non pas un socialiste ou un internationaliste. Pour lui, la guerre entre grandes puissances européennes était irrationnelle puisque leur interpénétration économique et financière ferait que chacun combattrait ses propres clients, au risque que tout le monde finisse ruiné. Par certains côtés, il avait parfaitement raison: la guerre était absurde. Cela n'a pas empêché qu'elle ait lieu, et aucun des arguments de Norman Angell n'est arrivé à la conscience des dirigeants au moment de la crise de la fin juillet 1914. Nous avons été dans une situation comparable avant le 24 février 2022, quand presque tous les experts – universitaires, services de renseignement, militaires, journalistes – se rassuraient en considérant qu'il serait irrationnel pour Poutine d'attaquer. Oui, c'était irrationnel, ils avaient totalement raison. Mais il a attaqué. Ce n'est pas nouveau, le philosophe Henri Bergson écrivait que la veille du déclenchement de la Première Guerre mondiale, celle-ci lui apparaissait «tout à la fois comme probable et impossible». Absolument, c'est ce fameux texte des années 1930 où Bergson décrit l'entrée du temps de la guerre dans la pièce, telle une ombre… La guerre paraît inconcevable jusqu'à ce qu'elle ait lieu. Pour la concevoir, il faut accepter que le temps de la guerre ne soit pas le temps de la paix. Excusez-moi de ce truisme ridicule, mais c'est en réalité difficile à comprendre et à faire admettre: pris dans chacun de ces temps radicalement différents, les acteurs sociaux réagissent également différemment. Or, du point de vue du pouvoir russe, ce temps de la guerre avait déjà commencé avant le 24 février 2022. Nous n'avons pas réussi à concevoir ce basculement. La propagande russe, loin de reconnaître ce temps de la paix en Europe, considérait au contraire que la Russie était menacée militairement par ce qu'elle nommait l'«Occident collectif»… Cela fait déjà très longtemps qu'en Europe, la guerre est perçue comme toujours défensive, y compris chez l'attaquant! C'est en cela que ce conflit est extrêmement intéressant à lire au prisme de 1914-1918. À l'époque, absolument tout le monde, déjà, se défendait! Chacun en était profondément persuadé, qu'il s'agisse des dirigeants ou des opinions publiques. Bien sûr, c'est vraiment l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne qui ont la responsabilité primaire (mais non pas exclusive) du conflit, mais elles vivaient leur déclaration de guerre comme purement défensive. Jusqu'à la fin, les soldats allemands ont le sentiment, très intériorisé, qu'ils se défendent, alors qu'une illégitimité profonde, vécue par tous, s'attache au fait d'être l'attaquant. Si l'on considère la subjectivité des acteurs sociaux, ce sont deux patriotismes défensifs qui s'affrontent. Vous notez une autre similarité entre la Première Guerre mondiale et l'Ukraine, car il s'agit dans les deux cas d'une guerre de position… Il y a peu d'exemples historiques de cette forme de guerre, très récente, car elle exige des armements qui n'ont été disponibles qu'à la fin du XIXe siècle. Structurellement, il s'agit d'une guerre de siège, mais menée en rase campagne sur des centaines de kilomètres. Il n'y a eu que trois conflits de ce type: la Grande Guerre (de la fin 1914 jusqu'au printemps 1918, pas au-delà); la guerre Iran-Irak (de 1980 à 1988); la guerre d'Ukraine (à partir d'avril 2022, pas avant). Quels sont les invariants d'une telle guerre? Le point principal est la supériorité de la défensive sur l'offensive. Si cela n'avait pas été le cas, l'Ukraine aurait été battue depuis longtemps. Pendant la Première Guerre mondiale, déjà, il fallait franchir un no man's land saturé de barbelés, l'une des armes les plus efficaces du début du XXe siècle. Puis, il y a eu les champs de mines, qu'on a vus en Iran-Irak et que l'on voit aussi en Ukraine. C'est une barrière d'interdiction d'une compacité extraordinaire. Les Ukrainiens s'y sont heurtés à l'été 2023 lors de leur contre-offensive ratée, et les Russes depuis 2024. Ainsi, on ne peut pas percer sur des dizaines de kilomètres de large et briser le front adverse. On observe une sorte de régression dans les trois conflits. En Ukraine, les hélicoptères et les avions volent très peu au-dessus et au-delà de la ligne de front. Il n'y a pas non plus de grandes offensives blindées. Jamais on n'a observé quelque chose de similaire à la bataille de Koursk de 1943. Ainsi le combat repose-t-il massivement sur l'infanterie. Et en même temps sur la puissance de feu… Oui, c'est encore un autre invariant de ce type de guerre. Au départ, cette puissance de feu était liée à l'artillerie, avec le canon comme arme de domination du champ de bataille pendant la Première Guerre mondiale. On retrouve cette domination écrasante du canon en Ukraine, jusqu'en 2024. Malheureusement, la Russie a toujours eu une très bonne artillerie et elle a eu, contrairement aux Ukrainiens, les moyens de l'alimenter, là où ces derniers se sont retrouvés à court de munitions pendant une bonne partie de l'année 2024. Mais le drone n'a-t-il pas pris le relais? Les drones ont pris l'ascendant sur l'artillerie au cours de l'année dernière, vérifiant cette vieille règle clauzewitzienne que la guerre est un caméléon et que la vitesse d'adaptation est cruciale dès lors que les économies industrielles sont lancées à plein régime. C'est en considérant ces invariants que vous en êtes arrivé à une conclusion radicale, exposée lors d'une audition au Sénat en avril: selon vous, l'Ukraine a déjà perdu la guerre… Effectivement, au moment où nous parlons, l'Ukraine semble malheureusement avoir perdu la guerre, probablement dès l'été 2023, quand il a été manifeste que sa contre-offensive, très attendue, avait échoué. On pourrait imaginer un retournement spectaculaire, mais on ne voit pas bien comment. Bien sûr, lorsque l'on dit cela, les gens sont choqués, car il est insupportable de se dire que l'Ukraine a perdu la guerre. Ça l'est aussi pour moi. Mais voilà: il est inutile de rester dans l'incantation, il faut sortir d'un nouveau déni, celui de la défaite, après celui de l'éventualité de la guerre elle-même. Car j'ajouterai une autre caractéristique de la guerre de position: on ne discerne pas immédiatement la défaite quand elle se profile. Elle est longue à apparaître. Ce n'est pas comme à Stalingrad, où il y a un vaincu qui quitte le champ de bataille et un vainqueur qui l'occupe. Ce n'est pas comme la Blitzkrieg de mai-juin 1940. Dans une guerre de position, ce sont deux corps de bataille qui, l'un contre l'autre, s'usent lentement. À la fin seulement, il apparaît que l'un s'est usé plus vite que l'autre. Ça a été le cas en 1918? Justement, faisons une petite expérience de pensée. Imaginons qu'au début du mois d'octobre 1918 on ait réuni dans un pays neutre un ensemble d'experts militaires, de journalistes et d'historiens pour leur demander leur avis sur la situation. Et supposons maintenant que quelqu'un a alors avancé que l'Allemagne avait déjà perdu la guerre. Eh bien, tout le monde aurait poussé des hauts cris! À cette date, le Reich occupe encore d'immenses territoires à l'est au détriment de la Russie, depuis le traité de Brest-Litovsk. Elle occupe toute la Belgique et encore de larges fractions du territoire français. Certes, l'armée allemande recule depuis l'été, c'est une chose entendue, mais nulle part le front n'a cédé. Les Allemands infligent des pertes importantes aux Alliés puisque ce sont ces derniers qui sont à l'offensive et ce sont donc eux qui prennent les risques les plus lourds. Où est donc la défaite allemande? En réalité, la défaite allemande est certaine depuis juillet-août 1918. Elle a eu lieu, mais n'est pas encore apparente. Depuis l'été, l'état-major allemand le sait très bien et demande le lancement de négociations. Sauf que le pouvoir politique ne le comprend pas, l'opinion publique allemande non plus et ne le comprendra jamais. Cette non-compréhension de la défaite de 1918 sera l'une des raisons de la poussée du nazisme. Le risque dans une guerre de position, c'est qu'à force d'usure, celui qui tient le plus longtemps relance une guerre de mouvement. En Ukraine, ce n'est pas le cas à ce stade: les Russes continuent leur grignotage territorial, mais les Ukrainiens ne s'effondrent pas. Là encore, pensons à la Première Guerre mondiale. Quand les Alliés lancent leur contre-offensive en juillet 1918, celle-ci est générale, mais en dehors des Américains, les soldats ne sont plus capables d'attaquer. Ils ont tellement l'habitude de se jeter au sol au premier danger que tout le monde fait montre d'une extrême prudence. Mais on aurait pu imaginer qu'une partie du front soit percée et en ce cas, l'Allemagne n'avait plus de réserves pour boucher les trous. C'est pourquoi les risques d'une offensive russe en Ukraine, cet été, m'inquiètent: compte tenu de la disproportion des forces, pourrait-elle briser le front? On entrerait alors dans une autre configuration, car toute rupture du front risquerait de produire un effet moral puissant sur les forces armées ukrainiennes, sur le pouvoir politique et sur l'opinion publique. Rien n'est écrit encore! Absolument, car dans une guerre de position, pour rompre le front, il ne suffit pas de faire un petit trou dans le dispositif adverse, il faut une percée de plusieurs dizaines de kilomètres de large. Sinon, les forces s'engagent dans la brèche, mais sont aussitôt cernées, puis attaquées sur leurs flancs. À une moindre échelle, les Russes pourraient malgré tout réussir à prendre certaines villes qu'ils ambitionnent depuis longtemps, comme Pokrovsk, et cela pourrait porter un coup au moral ukrainien. Oui, mais Pokrovsk est sur la ligne de front. Pour l'instant, Vladimir Poutine est très loin de pouvoir prendre Kiev, Dnipro, Zaporijia, Kherson, Mykolaïv ou Kharkiv. Ce sont pourtant de grandes villes qu'il a attaquées en février 2022… La bonne question n'est pas de savoir si l'Ukraine a perdu la guerre, ça me paraît malheureusement trop évident, mais de savoir jusqu'où elle va la perdre. Sur la base du rapport de force actuel, ou bien sur celle d'un rapport de force plus défavorable encore? Cela déterminera si la défaite ukrainienne représente, ou non, une victoire russe sur le plan stratégique. Car la situation de la Russie au sortir de la guerre, même si elle est victorieuse tactiquement, pourrait s'avérer extrêmement difficile. C'est le plus long terme qui nous le dira, comme toujours avec les guerres. La position de vainqueur et de vaincu s'inverse parfois de manière étonnante… Vous parlez beaucoup de la Première Guerre mondiale, mais moins de la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988. Quelles leçons en tirer? J'ai visité l'ancien front Iran-Irak à deux reprises. La morphologie de ce conflit était assez différente, car les forces en présence ne pouvaient pas construire de tranchées en raison du terrain. À la place, ils construisaient des talus au bulldozer. Mais c'était bien une guerre de position, avec les mêmes invariants. Les Iraniens attaquaient massivement et constamment à travers les champs de mines irakiens, de façon absolument sacrificielle, lors des offensives de Kerbala! Mais, à la fin, l'armée iranienne s'est tellement usée qu'elle n'avait plus la possibilité d'attaquer. L'ayatollah Khomeyni n'a pas eu d'autre choix que de signer la paix et d'accepter de «boire la coupe de poison» que lui a tendue l'Irak, selon sa propre expression. Le défenseur peut donc épuiser l'attaquant. Cet exemple peut-il être un motif d'espoir pour l'Ukraine? Il est vrai que, dans une guerre de position, la force vive d'une attaque diminue progressivement. C'est ainsi que le défenseur épuise l'attaquant. En 1916, pendant la bataille de la Somme, les Allemands ont érigé six lignes de défense face aux Alliés! Mais en Ukraine, n'oublions pas que ce sont les Ukrainiens qui se sont épuisés lors de leur offensive de l'été 2023 face à de très puissantes défenses russes. Ils ont alors perdu cet avantage qu'ils avaient acquis, notamment à l'automne 2022 pendant lequel ils avaient mis en difficulté les Russes, dont les forces n'étaient pas encore proportionnées pour une guerre d'une telle intensité. Mais, depuis, les Russes sont repassés à l'offensive. Dorénavant, la balance des forces est en leur faveur, et de plus en plus semble-t-il. Ils ont pour eux leurs terribles bombes planantes, mais aussi des drones filoguidés qu'ils maîtrisent mieux et plus intensément que les Ukrainiens. Quant aux drones à longue portée, à l'origine, iraniens, ils en tirent désormais plusieurs centaines par jour. Kiev craint qu'ils franchissent le chiffre quotidien du millier! Les défenses ukrainiennes, en face, sont saturées. Surtout, il y a la puissance démographique de la Russie qui compte 144 millions d'habitants quand l'Ukraine en comptait 40 millions avant-guerre et aujourd'hui beaucoup moins. C'est terrible à dire, mais quand le négociateur russe à Istanbul a demandé aux Ukrainiens combien de temps ils étaient prêts à se battre, en ajoutant que les Russes pouvaient se battre un, deux, trois ans, voire éternellement, il y avait malheureusement quelque chose d'assez exact dans cette déclaration. Ne faites-vous pas le jeu du Kremlin? Ayant énormément travaillé sur la question de l'opinion publique durant la Première Guerre mondiale, ce qui m'intéresse est justement le fait que personne ne puisse tenir ce discours dans l'espace public. Pourquoi, selon vous? Si les politiques – ce serait à eux de le dire – reconnaissaient que l'Ukraine a perdu la guerre, il faudrait logiquement qu'ils ajoutent un codicille: «Elle l'a perdue à cause de nous.» C'est très pénible à dire, mais à dire vrai, nous l'avons d'une certaine manière perdue plusieurs fois. D'abord, avant la guerre, car nous avons été incapables de comprendre que la Russie allait attaquer. Ensuite, pendant la guerre, car nous avons été dans le déni de l'inadaptation de notre soutien à l'Ukraine: tout ce que nous avons livré à Kiev, en armes et en équipements, est arrivé trop tard, à contretemps par rapport à la situation sur le champ de bataille. En particulier à cause de l'Allemagne, l'Ukraine s'est battue avec une main dans le dos, voire les deux. On se raccroche à l'héroïsme des Ukrainiens et à leur habileté pour compenser la supériorité de la Russie, qui a aussi connu des échecs flagrants durant ce conflit. A-t-on pris nos désirs pour des réalités? L'héroïsme ukrainien, qui nous a été profondément sympathique – et à juste titre! –, nous est apparu comme une promesse de victoire, comme si la victoire obéissait à une forme de morale. Mais la guerre n'a strictement rien à voir avec la morale! Quant à la Russie, oui, Dieu sait qu'on a moqué ses échecs initiaux, absolument spectaculaires. Mais on a oublié que c'était le pays de Stalingrad et de Koursk, et qu'il existe dans ce pays une capacité d'adaptation absolument extraordinaire. La Russie a gravi la learning curve militaire assez lentement, mais elle l'a gravie: les forces russes auxquelles les Ukrainiens se sont heurtés à l'été 2023 n'étaient plus du tout celles de 2022, et celles d'aujourd'hui moins encore. C'est cette réalité que nous ne voulons pas voir. Nous n'avons pas non plus voulu admettre que la propagande poutinienne – toutes ces références à la Grande guerre patriotique et à la soi-disant dénazification de l'Ukraine – pouvait être profondément intériorisée par de larges couches de la population russe. Pour reprendre une très intéressante expression de l'historien Nicolas Werth, en tant qu'«historien en chef», Poutine a réalisé une mobilisation du souvenir historique russe très probablement efficace. On n'est pas devant une population fondamentalement sceptique sur le bien-fondé de la guerre, même si les Russes ne se réjouissent pas, évidemment, de la poursuite de l'affrontement. Mais l'historicité particulière de la société russe demeure un socle très puissant d'un effort de guerre russe qui se poursuit sans difficultés majeures. Déni avant la guerre, déni pendant la guerre, déni face à la défaite… Voyez-vous un déni au-delà? La capacité historienne à analyser le présent est parfois pertinente, mais la capacité d'anticipation de l'histoire, en tant que science sociale, est égale à zéro. En revanche, d'ores et déjà, nous n'arrivons pas à imaginer qu'une fois que la Russie aura gagné la guerre d'Ukraine – et on ne sait pas exactement en quels termes et jusqu'où elle va la gagner –, elle pourrait décider de la poursuivre. Cette hypothèse reste en dehors, pour l'instant, de notre horizon d'attente. Qu'il y ait des stratèges, des militaires qui y réfléchissent, c'est heureux, mais il me semble que d'un point de vue collectif, nous n'arrivons pas à concevoir que la Russie pourrait commencer à tester l'article 5 de l'OTAN en s'attaquant, par exemple, à l'Estonie ou à la Lituanie. On sait que c'est possible, mais c'est, en tout cas en Europe occidentale, une pure hypothèse théorique. Le déni de guerre domine, encore et toujours. Jusqu'à quand? Le contenu qui place des cookies supplémentaires est affiché ici. À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe. Autoriser les cookies Plus d'infos Cet article sur la guerre en Ukraine a été écrit par Le Figaro, membre du réseau d'information LENA. 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24 Heures
3 hours ago
- 24 Heures
Pourquoi les meilleurs poissons disparaissent de nos lacs
Les restaurants ont de plus en plus de peine à proposer des filets de perche et des féras. À qui la faute et que mangerons-nous demain? Les réponses des experts. Publié aujourd'hui à 19h23 De nombreux établissements proposent du poisson de lac au lieu des filets du lac qu'ils ne trouvent plus chez le pêcheur. UNSPLASH-GETTY IMAGES-MONTAGE TAMEDIA En bref: Les cartes des restaurants au bord du lac, c'est comme les contrats d'assurance: chaque lettre a son importance. Car désormais, de nombreux établissements proposent du poisson de lac au lieu des filets du lac qu'ils ne trouvent plus chez le pêcheur. Les assiettes de perches, qui restent très appréciées en terrasse, viennent souvent d'un lac situé à la frontière entre la Russie et l'Estonie. Et le problème se pose désormais à l'identique pour les corégones (féras, palées, bondelles) dont les captures s'effondrent. Sur la trentaine d'espèces qui nagent dans un grand lac comme le Léman, les clients des restaurants n'en mangent que quelques-unes, en très grande quantité. «Les cinq espèces les plus consommées sont la perche, le corégone, le brochet, l'omble chevalier et la truite», précise Amandine Bussard, au Bureau suisse de conseil pour la pêche FIBER. Les pêcheurs le confirment. «Le début de l'année 2025 a été compliqué tant pour les perches que pour les féras. Maintenant, dans la pêche, il y a toujours des hauts et des bas, donc il faut rester prudent», dit Alexandre Fayet, président du Syndicat intercantonal des pêcheurs professionnels du Léman. Depuis les records des années 1986 (perches) et 1990 (corégones), les captures sur l'ensemble des lacs suisses sont passées de 15 millions à 1,6 million de perches, et de 8 à 2 millions de corégones, selon les statistiques de la pêche de l'Office fédéral de l'environnement (voir infographies) . Le coquillage qui change tout Comment expliquer cette chute des populations de poissons de lac préférés des gastronomes? «L'arrivée de la moule quagga provoque une révolution écologique majeure dans le Léman, comme dans les autres lacs suisses», répond Jean-François Rubin, professeur honoraire de l'Université de Lausanne, directeur de la Maison de la rivière et grand spécialiste des ombles chevaliers. Si les cormorans font beaucoup parler, l'impact des moules quagga sera probablement beaucoup plus important. Ce petit coquillage, venu de la mer Noire, s'est rapidement répandu dans les eaux suisses depuis une dizaine d'années. Jean-François Rubin, professeur honoraire de l'Université de Lausanne, directeur de la Maison de la rivière et grand spécialiste des ombles chevaliers. DR Le mollusque invasif modifie l'ensemble de la chaîne alimentaire, explique Jean-François Rubin. «Il faut imaginer que chaque quagga filtre un litre d'eau par jour. Comme il y en a des milliards dans le Léman, son impact sera majeur. Elle va nous donner des eaux plus claires, mais elle se nourrit aussi de phytoplancton et de zooplancton, donc du plancton végétal et animal. Son arrivée va modifier toute la chaîne alimentaire, et elle va faire évoluer toute la pyramide des espèces qui nagent dans le Léman.» Ce qui est une bonne nouvelle pour les baigneurs (la propreté des eaux s'améliore) se transforme en catastrophe pour de nombreuses espèces lacustres. «Comme il y a de moins en moins de nourriture, les poissons grandissent plus lentement. C'est notamment un problème pour les perches, qui mangent du plancton végétal durant les premières années de leur vie avant de devenir piscicoles et de se nourrir de poisson», précise le directeur de la Maison de la rivière. Le malheur des uns faisant souvent le bonheur des autres, cette invasion de moules attire également de magnifiques canards qui se nourrissent de quagga en hiver, notamment les fuligules morillons. Depuis les records des années 1986 (perches) et 1990 (corégones), les captures sur l'ensemble des lacs suisses sont passées de 15 millions à 1,6 million de perches. UNSPLASH-GETTY IMAGES-MONTAGE TAMEDIA Les perches n'aiment pas l'eau propre L'arrivée en force de la moule quagga n'aura pas le même effet sur toutes les espèces. C'est d'abord une très mauvaise nouvelle pour les perches, parce que ces poissons préfèrent nager dans des eaux moins propres. Les filets que nous mangeons actuellement viennent principalement d'un lac en Europe de l'Est qui a des eaux peu profondes (7 mètres en moyenne) et passablement vaseuses. La baisse des populations de perches était d'ailleurs programmée dès les années 80, quand nous avons interdit les lessives aux phosphates qui polluaient les lacs. «Ces produits chimiques provoquaient de l'eutrophisation, précise Jean-François Rubin. Ils favorisaient le développement des algues et des plantes aquatiques. Les perches avaient ainsi d'énormes quantités de nourriture à disposition, et elles grandissaient si vite que les pêcheurs attrapaient des poissons adolescents qui n'avaient pas encore eu le temps de se reproduire.» Les populations se sont effondrées en quelques années. «Il a fallu limiter la pêche en imposant des filets avec de plus grandes mailles pour laisser la possibilité aux poissons survivants de reconstituer le cheptel.» Le temps d'arriver à ce résultat, et les conditions du lac avaient changé. L'interdiction des lessives aux phosphates et l'augmentation des stations d'épuration ont tellement amélioré la qualité des eaux que les populations de perches n'ont jamais retrouvé leur niveau précédent. «Certaines espèces, comme le gardon et la perche, ont profité de ces quantités élevées de phosphore et ont vu leurs populations exploser dans ces années-là, alors que l'omble chevalier et les corégones ont souffert de cette situation, ajoute Amandine Bussard. Les salmonidés (truites, ombles, corégones) aiment les eaux fraîches et bien oxygénées, et ils sont sensibles à la qualité de l'eau. Lorsque la situation s'est améliorée, leurs populations ont à nouveau augmenté.» C'est à cette époque que se produit une révolution gastronomique dans les restaurants des bords de lacs. Des campagnes de promotion proposent de remplacer les filets de perche importés par des assiettes de féras du lac à la carte. Les amateurs de poissons se sont adaptés, mais cette époque touche à sa fin, car les corégones souffrent à leur tour, à cause du réchauffement des eaux. Alors que l'épuration des eaux aurait pu profiter aux corégones, voilà que les captures de cet excellent comestible s'effondrent à leur tour. UNSPLASH-GETTY IMAGES-MONTAGE TAMEDIA Les féras n'aiment pas l'eau chaude et deviennent stériles Alors que l'épuration des eaux aurait pu profiter aux corégones, voilà que les captures de cet excellent comestible s'effondrent à leur tour. Cet été, comme l'année dernière, la féra du lac vient à manquer un peu partout. Dans le Léman, cette espèce risque même de disparaître une deuxième fois. Car techniquement, la féra s'est déjà éteinte dans les années 50. L'espèce de corégone nommée Coregonus fera, en latin, était un poisson endémique du Léman où elle nageait depuis l'époque glaciaire. «Les féras ont été victimes de la surpêche, de la saleté du lac et elles ont été remplacées dans les années 60 par d'autres corégones puisés dans le lac de Neuchâtel, où on les appelle des palées et des bondelles. Si vous parlez à des féras vaudoises, vous verrez qu'elles ont l'accent neuchâtelois», sourit l'expert de la Maison de la rivière. Ces poissons font depuis lors le bonheur des pêcheurs, mais cette époque dorée touche à sa fin. Comment expliquer la baisse des populations de corégones, alors que les eaux propres lui sont théoriquement favorables? Le réchauffement des lacs est une première explication, parce que «les salmonidés préfèrent les eaux fraîches. Puis le réchauffement des eaux n'a pas permis de brassage complet des eaux depuis 2012, alors que ce mélange des eaux entre la surface et la profondeur est bénéfique pour cette famille, notamment pour la reproduction», dit Amandine Bussard. À cela s'ajoute une autre explication. Jean-François Rubin enquête actuellement sur l'influence des perturbateurs endocriniens, polluants chimiques qui joueraient aussi un rôle dans ce grand dépeuplement des corégones. Après avoir été accusées de changer le sexe des grenouilles, ces molécules (résidus de médicaments avalés par des humains et rejetés dans les urines, avant de finir dans les lacs et rivières) pourraient rendre stériles les poissons mâles, notamment les corégones. «Nous suivons actuellement cette piste, qui semble sérieuse», précise le chercheur. Quand les truites et les ombles remplissaient le lac Quand on remonte le fil du temps, on découvre que les restaurants servaient d'autres poissons avant que la perche et la féra ne deviennent incontournables. «Il y a des cycles», dit Jean-François Rubin. À la fin du XIXe siècle, les espèces dominantes dans le Léman étaient les ombles chevaliers et les truites. Ces deux espèces historiques nagent encore dans le lac, avec des destins différents. Les ombles chevaliers tirent leur épingle du jeu. Ce qui est une bonne nouvelle pour Jean-François Rubin, qui était déjà allé surveiller leur ponte, dans les années 90 avec le bathyscaphe du professeur Piccard, et qui leur a consacré une bonne partie de sa carrière. «Nous retournons actuellement sur les omblières que j'avais étudiées à l'époque. Comme elles sont à plus de 100 mètres de profondeur, elles sont moins impactées par les changements observés à la surface. Apparemment, dès que vous recréez des conditions favorables à la ponte, les poissons reviennent. Nous avons donc bon espoir de pouvoir maintenir leur population.» Le pronostic est moins optimiste pour les truites, confrontées à un double problème. «Cette espèce cumule les difficultés: elle vit dans les lacs, mais se reproduit dans les rivières. Elle a donc besoin que ces deux milieux lui soient favorables et il faut qu'elle puisse passer librement de l'un à l'autre pour se développer.» Le brochet est aussi un poisson qui apprécie les eaux chaudes et claires. UNSPLASH-GETTY IMAGES-MONTAGE TAMEDIA Qui sera le prochain à passer à la casserole? L'arrivée de la moule quagga va changer la donne dans les lacs suisses, c'est entendu, mais qui profitera de ce nouveau cycle qui s'ouvre dans nos lacs? «Les populations de cyprinidés (carpes, chevaines…) qui se nourrissent en partie de moules quagga sont plus tolérantes et elles pourraient profiter du réchauffement climatique ces prochaines années, répond Amandine Bussard. Le brochet est aussi un poisson qui apprécie les eaux chaudes et claires. Il est donc possible que ces populations augmentent à l'avenir. C'est du moins ce que semblent montrer les statistiques de la pêche au niveau suisse», estime Amandine Bussard. Un tel scénario provoquerait une nouvelle révolution de palais, puisque la friture de carpes et sa sauce tartare sont actuellement un classique de la gastronomie dans le Jura. Quant au brochet, il a une belle marge de progression devant lui. «Nous n'en avons jamais assez à proposer en vente directe, confirme Alexandre Fayet. Les gens sont enchantés de ce poisson depuis qu'on enlève ses grandes arêtes en Y et la peau. Évidemment, ça demande un peu plus de travail, mais c'est un produit de grande qualité.» Autre gagnant possible, le vengeron, considéré comme un comestible médiocre de ce côté du lac, «mais qui est à la carte côté français sous le nom de gardon, note Jean-François Rubin. À ce sujet, nous avions tenté de revaloriser les poissons oubliés du lac, il y a quelques années, en associant les pêcheurs et l'École hôtelière.» Il faudra probablement renouveler des efforts de ce genre dans les années qui viennent. Enfin, un scénario permettrait à une espèce de s'imposer. Ici, tout le monde pense au silure. Ce géant venu d'Europe de l'Est, invasif, doit obligatoirement être mis à mort quand il est capturé. Or cette espèce vorace semble s'installer. «À Genève, par exemple, des silures géants (les plus gros font 2,75 m) nagent à quelques mètres des nageurs, aux Bains des Pâquis. C'est un bon candidat pour profiter du réchauffement des eaux, confirme Jean-François Rubin. Il mange de tout, il vit la nuit et n'est pas sensible à la pollution. Et puis, quand vous en pêchez un, vous avez assez de filets pour remplir 300 assiettes. En revanche, je ne mangerais pas son foie.» Cette espèce vorace augmente la pression sur de nombreuses autres espèces locales menacées, et il n'a pas de prédateur, hormis les humains quand ils se décident à empoigner le problème. Le silure est un bon candidat pour profiter du réchauffement des eaux, confirme Jean-François Rubin. UNSPLASH-GETTY IMAGES-MONTAGE TAMEDIA «Les captures augmentent, et c'est aussi un poisson que nous essayons de promouvoir, confirme Alexandre Fayet. Contrairement au brochet, il a très peu d'arêtes. La chair est un peu plus fine et un peu moins goûteuse. C'est un peu comme de la lotte du lac, fondant en bouche et vraiment savoureux. Comme il y a moins de perches et de féras, certains restaurants s'y mettent; ça prend gentiment.» De fait, dans de nombreuses régions de France, où ce poisson tente aussi de s'installer, les chefs multiplient les recettes pour cuisiner ce qui est en train de devenir un autre poisson du lac. Le scénario qui fait rêver les biologistes, c'est que les cuisiniers de la région trouvent une recette pour mettre le silure au menu et pour transformer le glouton qui menace de nombreuses espèces locales en prochain équivalent des filets de perches. Servi avec une bisque d'écrevisse (généralement américaines), cela ferait deux espèces invasives en moins dans le lac, et deux espèces du lac en plus à la carte. Lire davantage sur la pêche Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Jocelyn Rochat a travaillé pour le Nouveau Quotidien, le Journal de Genève, L'Hebdo et Télétop Matin. Il écrit désormais dans Le Matin Dimanche, la Tribune de Genève et 24 Heures. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.