
Les avocats des Vénézuéliens expulsés vers une prison du Salvador face à un mur
Les avocats des Vénézuéliens expulsés vers une prison du Salvador face à un mur
(Santa Tecla) Ni droit de visite, ni recours, ni preuves de vie, ni même une liste. Les avocats et militants qui défendent les 252 Vénézuéliens expulsés par les États-Unis et emprisonnés sans jugement dans une prison géante du Salvador font face à un mur juridique.
María Isabel Sánchez
Agence France-Presse
C'est en voyant les images de ces hommes entravés, crâne rasé, à genoux dans le Centre de confinement du terrorisme (CECOT), prison de haute sécurité construite par le président salvadorien Nayib Bukele pour les membres de gangs, qu'une poignée d'avocats et de militants ont décidé de les défendre. Mais cette bataille indispensable à leurs yeux est inégale.
Le président américain Donald Trump et son homologue salvadorien gardent le silence sur ces Vénézuéliens expulsés en mars, qu'ils accusent de faire partie du gang criminel vénézuélien Tren de Aragua sans fournir de preuves, se refusant même à dévoiler leur identité.
Dans une ancienne école de Santa Tecla près de San Salvador, l'avocat René Valiente raconte le combat à la David contre Goliath de l'ONG Cristosal, les journées passées à solliciter en vain la direction des centres pénitentiaires, la présidence, les ministères et les tribunaux… « Nous avons demandé des informations et elles nous ont été refusées à plusieurs reprises », témoigne-t-il.
Sur environ 70 recours pour contester la légalité de la détention des migrants vénézuéliens, « aucun n'a abouti », se désole M. Valiente, chef des enquêtes au sein de ce groupe de défense des droits humains qui offre une assistance psychologique et juridique à distance aux familles des expulsés.
Cristosal a mis sur pied une base de données avec l'aide des familles ayant vu les noms des expulsés sur une liste non officielle publiée par la presse américaine ou reconnu leurs proches dans des vidéos lors du transfert des Vénézuéliens vers le Cecot.
L'avocate Ruth Lopez, responsable anticorruption de Cristosal, travaillait à orienter juridiquement ces familles lorsqu'elle a été arrêtée le 18 mai et accusée de détournement de fonds par le parquet salvadorien.
Quelques jours auparavant, cette critique virulente de la politique sécuritaire du président Bukele, qui enquêtait sur des soupçons de corruption au sein du gouvernement, avait parlé à l'AFP de son travail destiné à documenter ces « disparitions forcées ».
« Silence total »
Son arrestation a laissé sous le choc avocats critiques, militants et ONG.
« Parler, demander quoi que ce soit qui n'est pas validé par le gouvernement, signifie risquer d'être arrêté », affirme le directeur de Cristosal, Noah Bullock.
Assis dans un café, Salvador Rios, avocat d'un cabinet engagé par le gouvernement vénézuélien, montre des documents et énumère les articles des traités internationaux et de la Constitution sur lesquels repose la défense des expulsés.
« Nous avons demandé l'accès à l'accord entre M. Bukele et Trump, la liste des prisonniers, demandé à savoir de quoi ils sont accusés et à pouvoir entrer au Cecot. En tant que défenseurs, nous en avons le droit. Ce sont des détentions illégales et ils gardent un silence total. Les portes sont restées closes », déplore-t-il.
Walter Marquez, président de l'ONG vénézuélienne Fundacion Amparo, fait part des mêmes difficultés.
En fauteuil roulant, il a accompagné en juin au Salvador les proches de certains de ces migrants vénézuéliens, pas représentés par le cabinet engagé par Caracas car critiques envers le président Nicolas Maduro.
L'une de ces proches, Reina Cardenas, a fait partie du voyage, financé par des tombolas, de la vente de nourriture et des dons. Le groupe est rentré au Venezuela sans avoir pu voir les détenus ni même obtenir une « preuve de vie ».
Selon le vice-président salvadorien Félix Ulloa, son pays fournit aux 252 Vénézuéliens un service d'« hébergement carcéral » pour lequel Washington verse six millions de dollars au Salvador. Aucune autre information n'a filtré.
Les demandes de l'AFP pour des entretiens avec des responsables du gouvernement salvadorien sont pour l'instant restées sans réponse.
Une voix « gênante »
Ruth Lopez a déclaré à la police avoir été arrêtée parce qu'elle appartient à une « organisation gênante » : Cristosal dénonce régulièrement le régime d'exception mis en place par le président Bukele, pierre angulaire d'une « guerre » anti-gangs que l'ONG accuse de violer les droits humains.
L'état d'urgence en vigueur depuis 2022 dans le pays supprime certaines libertés. Environ 87 000 personnes ont été incarcérées depuis, sans mandat judiciaire ni droit à des appels ou des visites, pas même celles de leurs avocats.
Les expulsés vénézuéliens sont dans la même situation. « Dans un trou noir juridique », affirme René Valiente de Cristosal.
Les données collectées par Cristosal racontent « une histoire complètement différente » de celle déroulée par les présidents Trump et Bukele, dit-il.
Elles ont permis d'identifier 152 expulsés jusqu'à présent, dont 90 % sont sans antécédents criminels selon leurs proches.
« Nous cherchons à documenter la grave violation des droits humains, laisser une trace. Les voies nationales sont en train de s'épuiser », souligne M. Valiente.
Les militants et avocats jugent cette étape essentielle pour pouvoir ensuite saisir des instances internationales.
Walter Marquez de la Fundacion Amparo, l'assure : « Le Salvador est obligé de répondre. Ne pas le faire devient un crime contre l'humanité et ouvre la voie à un jugement international ».
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