
Les États en reconquête de leur autonomie
Les États en reconquête de leur autonomie
Pour rester maître de son destin, le Québec ne peut se permettre de confier ses données aux entreprises étrangères ou de dépendre de leurs logiciels, explique l'expert Vaneck Duclair.
Vaneck Duclair
Expert en cybersécurité et directeur de la sécurité infonuagique chez Emyode
La souveraineté numérique est en train de devenir l'un des piliers fondamentaux de la stratégie des États modernes. Dans un monde où les infrastructures critiques reposent sur des services numériques, la question du contrôle des données, des logiciels et des infrastructures prend une dimension politique, juridique et économique majeure.
Entre la menace des cyberattaques, les dépendances technologiques envers des entreprises étrangères et des lois comme le Cloud Act, qui autorisent l'extraterritorialité des données, les gouvernements cherchent à reprendre le contrôle.
Un champ de bataille silencieux
Le numérique n'est plus un outil périphérique : c'est le système nerveux de nos sociétés. Santé, transports, éducation, fiscalité, justice : tous les secteurs reposent désormais sur des infrastructures informatiques, des logiciels et des services en ligne.
Mais ces outils sont souvent développés et hébergés par des entreprises étrangères, notamment américaines. En temps normal, cela passe inaperçu. Mais en période de tension géopolitique, de cyberattaques ou de conflit économique, cette dépendance devient un point de vulnérabilité majeur.
La loi qui a fait basculer la confiance
C'est l'une des raisons pour lesquelles la loi américaine Cloud Act (2018) a marqué un tournant. Cette loi autorise les autorités américaines à accéder aux données stockées par toute entreprise américaine, même si ces données sont hébergées à l'étranger.
Cela signifie concrètement que les données de l'État québécois, hébergées chez Microsoft Canada, peuvent être réclamées par le FBI ou la NSA. Une absurdité juridique, mais une réalité technique.
Cette prise de conscience a incité plusieurs pays à agir.
Le Québec, la France, l'Allemagne, le Danemark : les pionniers
Au Québec, le gouvernement a lancé en 2023 le Nuage gouvernemental du Québec (NGQ) : une infrastructure infonuagique (cloud) sécurisée, interne, centralisée, destinée à accueillir les systèmes informatiques des ministères et organismes publics. Objectifs : sécurité, mutualisation des coûts et indépendance.
En France, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a mis en place le label SecNumCloud, qui oblige les fournisseurs infonuagiques à ne pas être soumis à une juridiction extraterritoriale. Résultat : les géants américains sont exclus des services critiques.
En Allemagne, le projet Gaia-X vise à construire une infrastructure numérique européenne fédérée, interopérable, souveraine et sécurisée.
Au Danemark, l'État a décidé en 2024 de migrer vers des logiciels libres (open source) dans l'administration, notamment pour des raisons de transparence, de coût et de souveraineté.
Cybersécurité, économie et démocratie
Ce virage vers la souveraineté numérique n'est pas qu'une affaire technique. Il touche à trois dimensions majeures :
Cybersécurité : en ayant la maîtrise de ses systèmes, un État peut mieux se défendre contre les cyberattaques.
Économie : en réduisant les paiements de licences logicielles aux GAFAM, les États peuvent réinvestir dans l'innovation locale.
Démocratie : garantir que les données des citoyens ne soient pas exploitées à leur insu par des puissances étrangères ou des algorithmes opaques, c'est défendre leur souveraineté individuelle.
La souveraineté numérique n'est pas un luxe. C'est une condition pour rester maître de son destin. Les États qui l'ont compris ne cherchent pas à se couper du monde, mais à remettre la main sur des outils devenus trop critiques pour être externalisés sans condition.
Le Québec, comme d'autres, trace une voie possible. Encore faut-il que la volonté politique soit constante, que les compétences locales soient valorisées et que la stratégie soit inscrite dans le long terme.
Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


La Presse
3 days ago
- La Presse
Québec accorde une subvention de 8,8 millions à deux entreprises
Le gouvernement du Québec donne un solide coup de pouce financier à deux constructeurs locaux d'appareils de surveillance téléguidés. Québec accorde une subvention de 8,8 millions à deux entreprises québécoises qui produisent des drones et des hélicoptères téléguidés. Laflamme Aéro et Ara Robotique investiront cet argent pour perfectionner des systèmes d'intelligence artificielle à bord des appareils et leur permettre d'opérer en réseau. Ces drones améliorés sont destinés à surveiller la frontière, des mines, des infrastructures pétrolières ou la progression d'incendies de forêt. À terme, ils pourraient même remplacer certains hélicoptères utilisés par différents corps de police. Le ministère de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie rendra publique ce jeudi cette aide financière qui s'étale sur quatre ans. Il s'agit d'une « contribution financière non remboursable », indique le Ministère sur son site web. « La subvention va nous permettre d'augmenter de 50 % à 100 % notre budget de recherche et de développement », indique en entrevue à La Presse le cofondateur et président d'Ara Robotique, Pascal Chiva-Bernard, dont l'entreprise produit des drones. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Le cofondateur et président d'Ara Robotique, Pascal Chiva-Bernard L'entreprise cherche à s'établir en tant qu'acteur sur la scène internationale dans les prochaines années. Elle voit grand : de 30 employés, elle pourrait passer à 100 d'ici quelques années, selon les « scénarios les plus optimistes » de l'entreprise. Mais Pascal Chiva-Bernard le reconnaît lui-même, Ara Robotique joue gros avec une telle croissance. « L'appât du gain est intéressant, mais il faut être capable de s'y rendre. C'est une gestion du risque. » L'équipe de direction de Laflamme Aéro n'était pas disponible pour une entrevue. L'entreprise produit des hélicoptères téléguidés fonctionnant à l'essence, avec une plus grande autonomie et plus onéreux. Un marché à développer Le professeur de l'École nationale d'administration publique (ENAP) Stéphane Roussel, spécialisé dans les questions militaires, estime que le marché canadien a le potentiel de permettre le développement d'entreprises locales. « Il y a probablement une demande qui va se créer, c'est encore un domaine relativement nouveau, dit le professeur. Il n'y a pas d'entreprises établies depuis des décennies dans ce domaine-là. » « C'est cohérent avec le discours des derniers mois du gouvernement Legault », estime quant à lui le professeur-chercheur du Centre d'études et de recherche internationales de l'Université de Montréal, David Grondin. Pour l'heure, Ara Robotique vend principalement au secteur de la défense et aux compagnies minières. L'entreprise est aussi en discussion avec « plusieurs corps de police nationaux ». Des drones en réseau De différentes tailles et poids, les drones d'Ara Robotique partagent deux caractéristiques principales : voler et faire de la surveillance. L'entreprise cherche à perfectionner ces modèles existants, notamment les capteurs et l'intelligence artificielle opérée à bord de l'appareil, afin d'« améliorer la détection automatique ». « Ce qu'on veut développer, c'est le partage d'information pour les drones. Au lieu d'avoir un appareil qui est géré par une personne, on va avoir une personne qui va gérer dix appareils », explique Pascal Chiva-Bernard. Il explique que ce fonctionnement par réseau permettrait de couvrir de grandes surfaces, un important atout pour surveiller les incendies de forêt ou les frontières, par exemple. « On veut avoir une synergie de plusieurs types de drones qui travaillent ensemble. Les appareils plus gros de Laflamme Aéro peuvent être des points de relais ou même aller décharger des neutralisants pour feux », dit M. Chiva-Bernard. Frontière et police En plus des incendies de forêt, les drones comme ceux développés par Ara Robotique peuvent aussi servir à surveiller la frontière, important enjeu dans les relations canado-américaines. « La frontière est énorme, surveiller ça c'est à peu près impossible. Les drones vont certainement aider beaucoup à ce niveau-là », dit Stéphane Roussel de l'ENAP. Il soulève toutefois quelques questions quant à l'utilisation des drones par les corps de police pour surveiller la population : « C'est aussi toutes les informations qu'on va accumuler sur les déplacements des gens. C'est l'éternel débat entre le respect de la vie privée et le minimum de surveillance par l'État pour détecter les activités illégales. » Le professeur David Grondin croit qu'il y aurait un intérêt des corps de police pour une telle technologie : « Dans toutes les manifestations, c'est pratique de pouvoir observer les foules. » Les drones seraient dans la continuité des opérations de surveillance déjà en place, selon lui. « On a déjà des caméras de surveillance dans le métro et on les oublie », illustre David Grondin. Prendre la place de la Chine Le marché des drones est dominé par les acteurs chinois, qui en contrôlent environ 90 %, dit Pascal Chiva-Bernard. « Le contexte géopolitique nous donne un souffle intéressant », dit-il, alors que le secteur de la défense cherche à accroître son autonomie. « Il y a des craintes de l'espionnage chinois », dit David Grondin en mentionnant notamment le scandale des téléphones de la compagnie Huawei, accusée d'espionnage au profit de Pékin. « Le secteur de la défense est très sensible au contexte géopolitique, c'est intéressant pour eux que la propriété intellectuelle parte d'une initiative canadienne », estime le président d'Ara Robotique.


La Presse
3 days ago
- La Presse
Un important groupe de hackers prorusses démantelé
(La Haye) Les agences Europol et Eurojust ont annoncé mercredi le démantèlement du groupe de hackers prorusses NoName057(16), responsable de multiples attaques visant l'Ukraine et ses alliés, en ciblant notamment des infrastructures importantes en Europe. Charlotte VAN OUWERKERK Agence France-Presse « Lors d'une journée d'action le 15 juillet, le botnet, qui utilisait des centaines de serveurs à travers le monde, a été démantelé et plusieurs suspects ont été identifiés, dont les principaux instigateurs résidant en Fédération de Russie », ont déclaré les agences européennes dans un communiqué. Un botnet est un réseau de machines piratées pour mener des opérations malveillantes. L'opération a impliqué douze pays et entraîné l'arrestation de deux personnes, une en France et une en Espagne, ont précisé les agences. Par ailleurs, « l'Allemagne a émis six mandats d'arrêt contre des suspects résidant en Fédération de Russie. Deux d'entre eux sont accusés d'être les principaux instigateurs des activités de NoName057(16) », a indiqué Europol, l'agence européenne de coordination policière. Au total, les autorités ont émis sept mandats d'arrêt, visant six personnes basées en Russie. « Vingt-quatre perquisitions ont également été réalisées chez des affiliés du groupe dont une en France. De nombreuses preuves ont été saisies et sont actuellement en cours d'analyse », a déclaré le parquet de Paris dans un communiqué. L'infrastructure du serveur central du groupe a été découverte et mise hors ligne, a-t-il précisé. Les pirates informatiques ont procédé par déni de service distribué (DDoS), qui consiste à surcharger des sites web et des applications par des requêtes ciblées de telle sorte qu'ils ne soient plus accessibles. 230 organisations touchées Le groupe de hackers est responsable de multiples attaques visant des infrastructures importantes telles que des fournisseurs d'électricité et des transports publics en Europe, selon les agences européennes. « NoName057(16) a affiché son soutien à la Fédération de Russie depuis le début de la guerre d'agression contre l'Ukraine », a souligné Eurojust. « Le groupe a mené plusieurs attaques DDoS contre des infrastructures critiques lors d'évènements [politiques0 de premier plan », a ajouté l'agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale. Selon les agences européennes, le groupe a mené 14 attaques en Allemagne, certaines ayant duré plusieurs jours et ayant touché environ 230 organisations, dont des usines d'armement, des fournisseurs d'électricité et des organisations gouvernementales. « Les campagnes DDoS organisées peuvent avoir de graves conséquences, notamment sur le sentiment de sécurité de la population. Elles doivent donc être systématiquement poursuivies et, si possible, empêchées », a déclaré dans un communiqué Holger Münch, chef de la police criminelle allemande (BKA). Selon la BKA, l'objectif principal des attaques contre des cibles allemandes était « d'attirer l'attention des médias et d'influencer ainsi les décisions politiques ou sociales en Allemagne ». Des attaques ont également été menées partout en Europe lors des élections européennes. En Suède, des sites web d'autorités et de banques ont été ciblés, tandis qu'en Suisse, plusieurs attaques ont été menées lors d'un message vidéo du président ukrainien au Parlement européen en juin 2023 et lors du Sommet de la paix pour l'Ukraine en juin 2024. Plus récemment, les Pays-Bas ont été ciblés lors du sommet de l'OTAN fin juin selon ces mêmes sources.


La Presse
4 days ago
- La Presse
L'apprentissage de l'IA doit commencer le plus tôt possible
« Au Québec, les initiatives proposées pour ouvrir la discussion sur l'IA peinent encore à trouver leur place dans les cursus scolaires », écrit Noémie Girerd. Selon l'auteure, l'école a un rôle à jouer afin de permettre aux enfants de développer leur esprit critique face à l'intelligence artificielle (IA) Noémie Girerd Chargée de cours de français langue seconde en milieux universitaires et enseignante en francisation L'IA est entrée dans nos vies, bousculant nos habitudes de travail, notre façon d'apprendre et de concevoir. L'heure n'est plus à la censure, mais à l'encadrement de l'IA dans nos établissements scolaires. Elle doit devenir un objet d'étude à l'école pour éveiller l'esprit critique des apprenants. Notre génération a eu la chance de voir naître l'IA. Ce ne sera pas le cas des suivantes. Nous vivons un moment charnière de l'histoire1, mais nous négligeons l'essentiel : comment la nouvelle génération utilise-t-elle l'IA ? Jusqu'où lui ferait-elle confiance ? Derrière chaque question que l'on pose aux grands modèles de langage (LLM) comme ChatGPT, Gemini, Claude et les autres systèmes d'IA, il faut une personne bien formée pour comprendre la réponse, vérifier l'information et orienter correctement le prompt. L'IA n'a pas été entraînée à reconnaître son ignorance. Elle poursuivra la discussion, parfois jusqu'à l'hallucination. Il est donc crucial de continuer à former les élèves pour les aider à devenir des spécialistes de leur domaine de prédilection. Mais l'éducation doit-elle pour autant proscrire l'usage de l'IA ? Que se passera-t-il si l'on n'encadre pas son utilisation dès le plus jeune âge ? N'est-ce pas là ce qui devrait nous inquiéter, nous qui avons vu naître l'outil, compris son potentiel, mais aussi ses limites et ses dangers ? L'Institut canadien de recherches avancées (CIFAR) admet qu'il est urgent « de renforcer la littératie en matière d'IA de la maternelle à la 5e secondaire […] et au-delà ». Il décrit d'ailleurs les compétences numériques des enfants canadiens comme « faibles, inégales et largement corrélées aux niveaux de compétences […] de leurs parents » et de leur « situation socio-économique »2. Dans un reportage de Chloé Sondervorst, Yoshua Bengio, l'un des plus grands experts mondiaux en matière d'intelligence artificielle, souligne l'importance de cultiver l'esprit critique face à l'IA dès l'enfance3. Un vide dans la formation Pourtant, au Québec, les initiatives proposées pour ouvrir la discussion sur l'IA peinent encore à trouver leur place dans les cursus scolaires. Il existerait même, selon Andréane Sabourin Laflamme, cofondatrice du Laboratoire d'éthique du numérique et de l'IA, « un vide dans la formation actuelle »4. L'expression n'est pas anodine, elle souligne une carence dans notre encadrement pédagogique. En Finlande, des initiatives éducatives comme Generation AI proposent a contrario d'aider les élèves du primaire à comprendre ce qu'est une IA, comment elle fonctionne, mais aussi où elle peut se tromper. Les enfants sont invités à repérer les biais, à interroger les résultats des algorithmes et à réfléchir aux enjeux éthiques de cet outil5. Au Royaume-Uni, en réponse aux émeutes qui ont suivi l'attaque au couteau survenue à Southport, plusieurs projets pédagogiques ont vu le jour. Ces interventions suscitent des réflexions cruciales autour de l'IA : images qu'elle génère, désinformation qui en découle, rôle des algorithmes dans nos choix quotidiens. Le contraste est flagrant. Là où le Canada et le Québec traitent encore ces questions en marge des programmes de cycles supérieurs, d'autres pays en font un véritable enjeu pédagogique dès la fin du primaire… Or, de plus en plus de scientifiques, de pédagogues et d'économistes à travers le monde s'accordent sur l'urgence d'introduire la littératie en IA plus tôt dans le parcours scolaire. Face à la montée en puissance de l'IA, il est urgent de développer l'esprit critique de nos enfants, de leur apprendre à croiser les informations, à les confirmer ou à les infirmer à l'aide de sources fiables. Et si nous osions, nous aussi, initier les élèves à l'IA, former les maîtres pour aiguiser les esprits de demain ? 1. Écoutez « Yoshua Bengio : AI's risks must be acknowledged » (en anglais) 2. Lisez « Une IA responsable envers les enfants : perspectives, implications et pratiques exemplaires » 3. Écoutez « Chloé Sondervorst et l'avenir de l'intelligence artificielle : rencontre avec Yoshua Bengio » 4. Écoutez « Chloé Sondervorst et l'avenir de l'intelligence artificielle : apprendre avec l'IA » 5. Lisez un texte sur le site de la University of Eastern Finland (en anglais) Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue