07-07-2025
Ce gratte-ciel de 63 étages aidera-t-il la crise du logement ?
Un nouveau gratte-ciel de 63 étages qui abrite plus de 600 logements et un hôtel est en construction au centre-ville.
Ce gratte-ciel de 63 étages aidera-t-il la crise du logement ?
C'est un immeuble que j'ai regardé pousser avec curiosité ces dernières années. Une structure filiforme, haute de 200 mètres, à cheval entre le quartier des affaires de Montréal et Griffintown.
Sa couleur très pâle, son revêtement texturé et ses 63 étages lui permettent de sortir du lot, dans le paysage de plus en plus dense du centre-ville.
Mais ce gratte-ciel se démarque aussi pour une autre raison : sa fonction.
Il ne contient aucun condo : la demande est au point mort, ou presque. On n'y trouve pas de bureaux non plus : le taux d'inoccupation frôle toujours les 19 % dans le cœur de Montréal.
Cette nouvelle tour est plutôt dans l'air du temps. C'est-à-dire : locative. Elle proposera 662 appartements, une quantité gigantesque pour un seul et même immeuble.
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
La tour ne contient aucun condo ni bureau, seulement des appartements et un hôtel.
Avec une telle concentration, on peut presque parler d'une ville verticale.
Les centaines d'unités sont offertes depuis peu en location, alors qu'une crise sans précédent fait rage dans la métropole. Cette manne contribuera-t-elle, au moins un peu, à résorber la pénurie ?
Épineuse question, que j'ai abordée avec le promoteur Marc Varadi, de RIMAP Construction, pendant une visite de son plus récent projet.
Notre rencontre a commencé sur une note vertigineuse : une montée de plusieurs minutes dans un ascenseur de chantier, boulonné à la paroi du gratte-ciel. L'engin nous a menés en vrombissant jusqu'au toit, d'une altitude équivalant à 66 étages.
C'était la première fois que Marc Varadi montait aussi haut dans son propre immeuble, achevé aux trois quarts. Il a été soufflé, tout comme moi, par la vue. Nez à nez avec le 1000 De La Gauchetière, et presque à égalité avec le sommet du mont Royal, qu'aucun gratte-ciel ne peut dépasser en vertu de la réglementation municipale.
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
Le nouvel édifice surplombe à peu près tous les autres immeubles du centre-ville.
Si époustouflant soit le panorama, je voulais surtout l'entendre parler de son modèle d'affaires. Pour essayer de comprendre quel rôle son mégaprojet jouera – ou pas – dans la situation actuelle du logement à Montréal.
Premier constat : ses unités sont loin d'être abordables.
Le complexe locatif, appelé Skyla, se targue d'être « haut de gamme », avec piscines, gym, sauna, portier, station de lavage de chien, salle de « podcasts », etc. Ses futurs résidants auront accès aux luxueuses installations de l'hôtel Moxy, qui occupe les étages inférieurs.
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
Une des piscines auxquelles auront accès les locataires
Les appartements d'une chambre se louent à partir de 1810 $ par mois, ceux de deux chambres, à 3470 $, et ceux de trois chambres, à 3900 $. Des prix corsés, même pour le centre-ville.
En quoi de tels loyers contribueront-ils à apaiser la crise, donc ?
Deux écoles de pensée s'opposent. Celle qui dit qu'on doit construire le plus possible, dans toutes les gammes de prix, peu importe le type d'habitation, pour doper l'offre.
Et celle qui dit qu'on devrait d'abord et avant tout miser sur le logement social et abordable.
Vous vous en douterez : Marc Varadi se trouve dans le premier camp. Son entreprise compte déjà plusieurs projets semblables au Skyla à son actif à Montréal, qui ont bien fonctionné.
Tout le monde a une théorie, mais ça revient toujours à la même chose : l'offre et la demande. Pas besoin d'un professeur d'université pour écrire une thèse là-dessus, c'est très simple.
Le promoteur Marc Varadi
Plusieurs économistes, dont ceux de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), pensent de même. Ils misent sur le phénomène du « filtrage », généré par la construction massive de logements en tous genres. Une stratégie à long terme, et non instantanée.
« Le filtrage a lieu lorsque des logements deviennent progressivement accessibles aux ménages à faible revenu, à mesure que des logements neufs sont construits et que des ménages à revenu élevé y emménagent », explique la SCHL dans un rapport de 20241.
Cette théorie est contestée par bien du monde, dont l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), qui penche à gauche. Elle est aussi difficile à avaler pour les locataires montréalais, qui ont vu les loyers moyens exploser de 71 % depuis cinq ans.
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
Quelque 40 000 logements locatifs ont été construits depuis trois ans dans le Grand Montréal. Ils sont occupés à 95 %, selon la SCHL.
Un professeur de l'Université de Montréal, qui a soupesé les arguments des deux camps, conclut toutefois que le phénomène du « filtrage » (ou « ruissellement ») produirait à terme des effets bien réels2.
Faudra le voir pour le croire…
Environ 40 000 logements locatifs ont été construits depuis trois ans dans le Grand Montréal, selon la SCHL. Ils sont occupés à 95 %, ce qui démontre la robustesse de la demande, croit-elle3.
Mais comme dans tout marché en croissance, l'offre pourrait devenir excédentaire. Des dizaines de projets locatifs sont en chantier, sur le point d'aboutir, ou nouvellement offerts en location dans la métropole. Les prix se ressemblent – plus de 2000 $ par mois pour un quatre et demie –, et la concurrence devient de plus en plus rude.
Je suis inondé de publicités de ces projets neufs sur les réseaux sociaux, depuis quelque temps. La promotion classique : « deux mois de loyer gratuits ».
Ça rappelle une autre époque… Une époque où l'offre de logements dépassait la demande à Montréal.
Dans l'immédiat, l'effet de « filtrage » n'a pas encore percolé jusqu'aux locataires les plus démunis. Loin de là, même. Aux dernières nouvelles, ils étaient à peu près 2000 à se chercher un nouvel appartement au lendemain du 1er juillet, à l'échelle du Québec.
1. Consultez le rapport de la SCHL
2. Lisez « On a posé la question pour vous : construit-on des logements inutiles contre la crise ? »
3. Lisez « Marché locatif : l'offre en hausse… les prix aussi »