6 days ago
« Montréal doit devenir une ville éponge »
Les parcs éponges, c'est bien. Mais une ville éponge, ce serait mieux. Des spécialistes des infrastructures de l'eau estiment que pour diminuer le nombre d'inondations, Montréal devra aller plus loin qu'aménager des parcs drainants et des rues capables d'absorber l'eau de pluie. À leurs yeux, la métropole doit dès maintenant entamer un virage à 180 degrés en matière de gestion des eaux.
Qu'est-ce qui cloche avec le réseau d'égouts ?
Ce ne sont pas tant les infrastructures que la logique, qui ne tient plus, d'après Scott McKay, spécialiste de l'eau et des sciences de l'environnement. « En ville, on s'est toujours débarrassé des eaux usées en les envoyant le plus loin, le plus vite possible. Mais avec les changements climatiques, qui augmentent la fréquence et l'intensité des pluies, on ne peut plus penser comme ça », résume cet ex-chef du Parti vert du Québec de 2006 à 2008 et ancien député du Parti québécois de 2008 à 2014. « On ne peut pas penser être en mesure de récolter toute cette eau et s'en débarrasser comme on l'a fait par le passé », ajoute celui qui a signé un livre documentant les enjeux liés aux égouts, L'aventure du caca, en 2020.
Comment s'attaquer au problème ?
En changeant nos façons de faire dès maintenant, dit M. McKay. « Ce que fait la Ville avec les parcs éponges, c'est un bon début, mais il faut dépasser ça. Montréal doit devenir une ville éponge », soutient-il. « Ça veut dire d'arrêter de minéraliser les surfaces. Je demeure à Ahuntsic et je vois encore des gens qui asphaltent de grandes parties de leur terrain. Ça fait autant d'endroits qui ne peuvent pas capter l'eau », soutient l'expert. Selon lui, les exemples de mesures immédiates sont nombreux. « Les saillies de trottoir doivent toutes être drainantes, puis il faut utiliser les stationnements, les grands toits des édifices pour récupérer les eaux. Même les ruelles, qui représentent beaucoup d'espace, il faudrait dès que possible y arracher l'asphalte, casser le béton et remplir ça de verdure », ajoute l'ancien élu.
PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, ARCHIVES LA PRESSE
Le parc Pierre-Dansereau, à Outremont, est un parc éponge comprenant une « rivière » qui se remplit lors de fortes pluies.
Comment une « ville éponge » se construit-elle ?
Par de nombreux petits gestes, affirme Sophie Duchesne, chercheuse au Centre Eau Terre Environnement de l'Institut national de la recherche scientifique. « Le citoyen, par exemple, s'il a un toit en pente avec une gouttière, il peut la diriger vers une surface perméable comme du gazon, plutôt que de l'asphalte. Il faudrait aussi arrêter de construire des garages en sous-sol en pente, mais en attendant, on doit multiplier les portes étanches ou les bosses qui redirigent l'eau vers la rue », note-t-elle. De façon plus globale, ajoute l'experte, « il faut aussi reprofiler les rues et réaménager nos quartiers pour envoyer les excédents d'eau quelque part où ça ne dérange pas le quotidien. Ça peut certes être un parc éponge, mais aussi tous les secteurs moins utilisés en temps de pluie ».
Combien de temps une telle transition peut-elle prendre ?
Établir un échéancier est difficile, puisqu'il dépend de la volonté politique, mais cela prendra certainement des dizaines d'années, affirme Mme Duchesne. Dans l'intervalle, « on peut encourager des choses comme une taxe à l'imperméabilité en ville », selon elle. « Il faut que les gens comprennent bien à quoi ça sert, qu'on ait de l'acceptabilité sociale, mais ça veut dire qu'un propriétaire de terrain avec une grande cour en asphalte et en béton paierait plus que quelqu'un qui n'a que des aménagements verdis. On n'a pas le choix d'aller vers ça, avec les évènements extrêmes qui s'intensifient », soutient la chercheuse. L'important, à ses yeux, sera de « prioriser les interventions sans trop perturber la circulation et le quotidien des gens ». « Il faut accompagner les citoyens là-dedans, puis s'assurer que le milieu privé y participe activement. »
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE
Déminéraliser les ruelles fait partie des modifications qui favorisent l'infiltration de l'eau de pluie dans le sol.
Existe-t-il des comparables dans le monde ?
Tout à fait, affirme Scott McKay, qui cite le cas de New York. « Ils ont ciblé un secteur autour du port où il y avait un problème de débordement très fréquent du réseau d'égouts. Et par des aménagements, ils ont réussi à réduire les débits », note-t-il. Selon lui, la solution à long terme n'est pas simplement de construire des égouts plus gros. « Ça ne sera pas viable. On a déjà un déficit d'entretien des infrastructures au Québec qui est de l'ordre de milliards de dollars. On n'est déjà pas capables d'entretenir le réseau tel qu'il est, alors ce serait rêver en couleurs de penser qu'il puisse prendre à lui seul l'ensemble des pluies torrentielles dans les prochaines années. On n'a pas le choix, politiquement, de changer la ville », conclut M. McKay.