11-07-2025
Avenir incertain pour Les Débrouillards
Au grand dam de ses fondateurs québécois, le magazine jeunesse Les Débrouillards pourrait bientôt être racheté par une multinationale française. Dans les coulisses : un conflit d'actionnaires qui persiste depuis des années.
Le 10 juin dernier, le groupe français Bayard a formulé une offre d'achat de 999 000 $ à ses coactionnaires afin de devenir l'unique propriétaire des Publications BLD, éditeur des réputés magazines Les Débrouillards, Les Explorateurs et Curium, dont il détient déjà 50 %.
Deux choix s'offrent à ses partenaires. En vertu d'une clause spéciale, l'Agence Science-Presse et le réseau Technoscience, les deux organismes québécois fondateurs du mouvement des Débrouillards qui détiennent chacun 25 % de l'entreprise, sont dans l'obligation d'accepter l'offre dans un délai de 60 jours… ou de racheter la part de Bayard, aux mêmes conditions.
Pour ces derniers, il est inconcevable de vendre leurs parts au profit de la société française : cette « perte de contrôle » doit être évitée.
« Une cession de [nos] parts dans BLD aurait pour conséquence de mettre en péril l'avenir de cette entreprise comme foyer d'expertise de créativité solidement implanté au Québec », ont conjointement résumé les organismes, dans un document que La Presse a obtenu.
Mais l'enjeu ne réside pas uniquement dans l'avenir du populaire magazine. Selon le document, cette offre est l'aboutissement de plusieurs années de relations de travail détériorées par les actions de Bayard au sein de l'entreprise.
« Bayard s'est mise à de plus en plus souvent aborder la gestion de BLD comme si c'était une de ses filiales », rapporte Pascal Lapointe, rédacteur en chef de l'Agence Science-Presse, qui a participé à la rédaction du texte.
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE
Pascal Lapointe lors d'une entrevue avec La Presse plus tôt cette année
Il reproche entre autres à la société française d'avoir augmenté les tarifs liés aux services qu'elle facture à BLD – comme des services de marketing, de ressources humaines, d'informatique ou de comptabilité – en n'ayant fourni aucune facturation claire à ses partenaires. Aussi, Bayard aurait imposé des surcharges inattendues à quelques jours du budget, selon les coactionnaires.
« Nous nions vigoureusement les allégations formulées par l'Agence Science-Presse et Technoscience, a de son côté répliqué Sylvain Lumbroso, directeur général de Bayard Canada, dans un courriel envoyé à La Presse. La Société Bayard Presse Canada agit dans le respect de ces ententes [privées] qui s'imposent à toutes les parties. Les discussions et relations entre les parties sont de nature privée et devraient le demeurer », a-t-il poursuivi.
Depuis plusieurs années
En 2023, les représentants des deux actionnaires québécois ont rencontré les dirigeants du groupe Bayard pour leur faire part de leurs inquiétudes quant au climat de travail, explique M. Lapointe.
Quelques mois plus tard, la directrice générale par intérim de l'Agence Science-Presse, Noémie Larouche, aujourd'hui directrice éditoriale des Éditions La Presse, remettait sa démission.
Les conflits sur les refacturations, l'absence de communication du C.A. et l'incapacité de la direction à exercer son pouvoir décisionnel ont rendu la chaise de l'éditrice inconfortable. […] Je pense que, dans l'état des lieux, si rien n'est fait, ce siège ne sera pas plus agréable pour quiconque l'occupera dans l'avenir.
Extrait du courriel de démission de Noémie Larouche, en mai 2024
Dans l'éventualité où Bayard présentait une offre d'achat, la mise en place d'une coopérative a été envisagée comme solution par les deux organismes québécois pour donner un second souffle à Publications BLD.
Le journaliste Pierre Sormany, très impliqué à l'Agence Science-Presse depuis sa création, a d'ailleurs été sollicité il y a quelque mois pour agir à titre de président intérimaire de cette coopérative. Il a été chargé de sonder les employés quant à l'avenir de l'entreprise.
« Les employés préfèrent l'option [de la coopérative] à la vente à Bayard. Ç'a été assez unanime. Les gens trouvent que la situation avec Bayard est un peu tendue », explique-t-il.
Financement
Pascal Lapointe a bon espoir que la somme requise pour racheter la part de Bayard, soit environ 700 000 $, sera amassée d'ici le 9 août prochain. Mais l'été rend la tâche difficile aux coactionnaires, qui multiplient les démarches auprès d'organisations financières et de donateurs potentiels.
« L'offre d'achat de Bayard est arrivée beaucoup plus vite que prévu », explique M. Sormany, soulignant l'importance de préserver la marque de la grenouille Beppo, qu'il considère comme emblématique.
À l'heure actuelle, les publications Les Débrouillards, Les Explorateurs et Curium ont plus de 40 000 abonnements en vigueur.
À propos de Publications BLD
Publications BLD est née lorsque le groupe français Bayard s'est ajouté, en 1994, à l'association entre l'Agence Science-Presse et le réseau Technoscience, fondateurs de la marque québécoise du mouvement des Débrouillards. Ce partenariat, ayant pour objectif de faire rayonner la marque au-delà des frontières, a mené Les Débrouillards en France, en Belgique, au Maroc, en Tunisie et en Algérie.