23-07-2025
Quand l'agrotourisme devient du récréotourisme
Le syndicat d'agriculteurs déplore un glissement de genre, de l'agrotourisme vers des activités purement touristiques, en milieu agricole.
L'UPA veut que le tourisme en milieu agricole fasse la promotion de l'agriculture. Un point, c'est tout.
Mario Pelchat reprend ses spectacles dans son vignoble cette semaine, malgré un refus de la Commission de protection du territoire agricole du Québec. L'UPA s'en indigne et demande que l'on respecte le concept d'agrotourisme en milieu agricole.
« L'agrotourisme, le vrai, c'est quand l'activité vient soutenir l'agriculture ; quand elle met en valeur le travail de la ferme, le produit, le terroir, le savoir-faire. C'est une activité complémentaire à l'agriculture », a lancé vendredi dernier Philippe Leroux, président du Syndicat UPA Deux-Montagnes, lors d'une conférence de presse à laquelle participait le président de l'Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), Martin Caron.
Le syndicat d'agriculteurs déplore un glissement de genre, de l'agrotourisme vers des activités purement touristiques, en milieu agricole.
Si l'UPA dit ne pas viser directement un exploitant agricole, tous les regards sont tournés vers le chanteur Mario Pelchat, qui est aussi vigneron à Saint-Joseph-du-Lac, dans les Basses-Laurentides.
PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE
Le Domaine Pelchat Lemaître-Auger propose six vins et produit une cuvée spéciale, le Pelchat. Ici, le vigneron dans ses plants de vigne, en 2016.
Mario Pelchat a redemandé cette année à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) de pouvoir présenter des spectacles dans une salle aménagée sur ses terres.
Le Domaine Pelchat Lemaître-Auger connaît bien la CPTAQ pour avoir fait plusieurs demandes au fil des ans – le vignoble fêtait son 15e anniversaire l'année dernière. Celle d'y présenter des spectacles est récurrente. Mario Pelchat a plusieurs fois défendu le caractère agricole de son entreprise qui compte aujourd'hui 60 000 pieds de vignes hybrides.
Dans son jugement du 27 mai 2025, la CPTAQ refuse la demande du vigneron Pelchat de produire des spectacles, de lui et d'autres artistes, sur ses terres zonées agricoles. Le chanteur a tout de même repris ses spectacles mardi, selon le calendrier affiché sur le site de l'entreprise.
L'offre est présentée comme « une dégustation de vins, assiette gourmande de produits du terroir incluant une prestation musicale ». On peut toutefois acheter le billet sans dégustation, pour 100 $.
L'UPA s'en désole.
« On demande de faire respecter la loi en vigueur, tout simplement », précisait en entrevue mardi matin le représentant de l'UPA locale, Philippe Leroux, producteur de maïs, de soya, de seigle et de sirop d'érable à Saint-Placide.
« On a un tribunal administratif qui reçoit les demandes, qui étudie les demandes et qui rend des décisions dans les cas où c'est plus difficile à déterminer, précise-t-il. Quand la Commission rend une décision, on souhaite juste que ça soit appliqué. Tout simplement. »
Au cœur de ce bras de fer, ce qui est compris dans le concept d'agrotourisme.
Les spectacles à grand déploiement comme ça, c'est jugé – et c'est très clair – que ce ne sont pas des activités d'agrotourisme.
Philippe Leroux, président du Syndicat UPA Deux-Montagnes
Le vignoble de Mario Pelchat et Claire Lemaître-Auger n'est pas la seule entreprise en milieu agricole qui étend ses activités, bien au contraire.
« On le voit, les projets du genre se multiplient : des salles de spectacle, des activités de divertissement ou du camping, sans mise en valeur réelle du produit agricole. Ce n'est plus de l'agrotourisme, c'est un détournement de la mission des terres agricoles », a aussi déclaré Philippe Leroux, qui a toutefois refusé de donner des exemples concrets.
Ils sont pourtant nombreux et très diversifiés : on peut faire du yoga et recevoir des massages dans un champ de lavande ou aller pique-niquer dans un verger. D'autres cabanes à sucre reçoivent des hordes de visiteurs au printemps et offrent différentes activités à leur clientèle.
« Si c'est des activités complémentaires à l'agriculture, on va les appuyer, précise Philippe Leroux. On le fait depuis toujours. »
L'agriculteur craint toutefois qu'à force de tolérer des projets à gauche et à droite, on fasse des brèches qui vont devenir trop grandes. « C'est pour ça que c'est très important de définir ce qu'est de l'agrotourisme [par rapport à] ce qui ne l'est pas, dit-il. Il faut que ça soit une ligne assez solide et assez dure. »
Vers un œnotourisme québécois
Daniel Lalande est lui aussi vigneron dans la région des Basses-Laurentides. Il possède deux grands vignobles, Rivière du Chêne et La Cantina.
« Les lois sont complètement archaïques », laisse tomber Daniel Lalande à propos de cette mésentente sur la définition de l'agrotourisme, particulièrement celle qui s'intéresse aux activités dans les vignobles.
À Saint-Eustache, son vignoble Rivière du Chêne a une boutique et un bistrot. À Oka, pour La Cantina, il a déposé à la CPTAQ un projet de pizzeria où les repas seraient préparés avec les produits qui poussent au vignoble. L'entrepreneur compte même ajouter des animaux à son exploitation pour que la viande provienne aussi de chez lui.
« C'est tout le concept du farm to table [de la ferme à la table] », dit-il, donc l'agrotourisme dans sa plus pure forme.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
Le vignoble Rivière du Chêne, à Saint-Eustache, au temps des vendanges en 2016
Selon lui, des projets comme ceux-là créent de l'emploi et des retombées économiques non négligeables dans la région.
« Le tourisme québécois, ce n'est pas que la Gaspésie », dit-il en écho à cette saison où les Québécois voyagent beaucoup ici. Selon Daniel Lalande, le temps est venu de soutenir le développement d'un réel œnotourisme comme il y en a ailleurs dans le monde.
« Il y a une grosse réflexion à faire sur ça », dit-il.
Le Conseil des vins du Québec, qui représente la majorité des vignerons du Québec, appuie aussi le développement de l'œnotourisme.
« L'agrotourisme représente un aspect important du modèle d'affaires de plusieurs vignobles du Québec et permet aux vignerons de mettre en valeur leur travail et de faire découvrir leurs produits aux clients », indique la directrice générale du Conseil, Mélanie Gore.
PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE
Mélanie Gore
« Il est important que les vignerons puissent continuer de développer ce volet de leur entreprise dans un cadre légal qui favorise l'accès aux vins d'ici tout en respectant le caractère profondément agricole des vignobles du Québec. »
C'est peut-être de Québec que viendra la nouvelle définition de l'agrotourisme.
Le mois dernier, le ministre de l'Agriculture, André Lamontagne, a annoncé son intention d'élargir l'encadrement des activités agrotouristiques. Un projet de règlement sera présenté à l'automne.