Les coulisses du succès The Promised Neverland, vendu à 4 millions d'exemplaires en France
Ne vous fiez pas aux bouilles craquantes des personnages de The Promised Neverland... Le titre de ce manga fait référence au destin cruel d'enfants destinés à ne jamais atteindre l'âge adulte. Ils mènent une vie heureuse et insouciante dans un orphelinat dirigé par leur « maman » Isabella, sans savoir qu'ils seront ensuite livrés à des monstres. Sauf qu'un jour, trois brillants pensionnaires – Emma, Norman et Ray – découvrent la vérité et décident d'organiser une périlleuse évasion.
Best-seller écoulé à 42 millions d'exemplaires dans le monde, dont 4 millions en France, The Promised Neverland a été prépublié au Japon entre 2016 et 2020. Après avoir sorti les 20 tomes originaux en français, Crunchyroll (ex-Kazé) republie actuellement la série dans une nouvelle édition double augmentée de bonus et dotée de couvertures en similicuir.
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De passage dans l'Hexagone à l'occasion du Japan Tours Festival 2025, le scénariste Kaiu Shirai et la dessinatrice Posuka Demizu sont revenus sur la genèse de The Promised Neverland et sur leur relation professionnelle.
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Deux ans de recherche pour trouver un dessinateur
La dessinatrice Posuka Demizu est autant à l'aise avec les enfants qu'avec les démons et les décors.
YAKUSOKU NO NEVERLAND copyright 2016 by Kaiu Shirai, Posuka Demizu/SHUEISHA Inc.
Employé de bureau malheureux, Kaiu Shirai démissionne puis tente sa chance dans l'écriture de mangas au début des années 2010. Après avoir essuyé de nombreux refus, il dessine un copieux story-board de 300 pages et tape enfin dans l'œil d'un éditeur du mythique Shônen Jump (Dragon Ball, Naruto, One Piece), Suguru Sugita. Jackpot ? Pas du tout, car il s'agit désormais de trouver un dessinateur à la hauteur de ce scénario exigeant. Une recherche qui durera... deux ans. « Cette histoire ne suivait pas du tout la théorie des récits typiques du Shônen Jump, explique Kaiu Shirai au Figaro. Les dessinateurs ne voulaient pas se lancer dans cette aventure, d'autant plus que personne ne me connaissait car je n'avais jamais gagné de prix. » Au moins sept artistes seront néanmoins testés mais aucun ne fera l'affaire, jusqu'à l'arrivée de Posuka Demizu.
Pourquoi l'avoir choisie ? « Demizu-sensei est capable de créer un univers, elle est douée pour dessiner à la fois les enfants et des monstres qui font peur, mais aussi de la nourriture appétissante, ce qui est très important dans The Promised Neverland », analyse aujourd'hui Kaiu Shirai, rappelant l'une des caractéristiques de son manga : la représentation de l'innocence d'enfants confrontés à la cruauté du monde. Il fallait donc un artiste capable de saisir la joie de vivre des gamins mais aussi de dépeindre leur terreur. « Si on se trompait au sujet d'un détail dans l'expression d'un visage, tout le sens de la scène changeait », insiste le scénariste. « Quand j'ai vu le story-board de Shirai-sensei, j'étais très intriguée... Avant même de réfléchir à la possibilité de la dessiner, je voulais connaître la suite de l'histoire, assure Posuka Demizu au Figaro. Je n'avais aucune raison de refuser cette offre ! »
En tant que scénariste, je suis quelqu'un d'assez compliqué, je le reconnais, donc il fallait qu'on teste ensemble si cela fonctionnait en termes de méthode de travail ou de feeling Kaiu Shirai
Pour autant, pas question de commencer immédiatement la réalisation de The Promised Neverland. « Dans le milieu du manga, quand deux personnes ne se connaissent pas, elles ne se lancent jamais tout de suite sur une série », rappelle Posuka Demizu. Après avoir étudié les projets de one-shots de Kaiu Shirai, elle décide d'illustrer Le Souhait de Poppy, sympathique variation SF de Pinocchio. « En tant que scénariste, je suis quelqu'un d'assez compliqué, je le reconnais, donc il fallait qu'on teste ensemble si cela fonctionnait en termes de méthode de travail et de feeling, raconte Kaiu Shirai. Demizu-sensei a su s'adapter à moi, elle a vraiment respecté mes intentions et elle a fait des dessins incroyables… Mais il y avait un décalage entre ce que je cherchais et ce qu'elle avait fait. J'ai compris que les story-boards que je lui donnais n'étaient pas assez précis en termes de nuances, de taille des bulles ou des cases. » La moitié des planches du Souhait de Poppy devront ainsi être corrigées avant sa diffusion sur la plateforme Shônen Jump + en 2016. Une période de rodage qui allait s'avérer très utile pour la suite...
Deux artistes sur la même longueur d'onde
Deux autoportraits dessinés de Posuka Demizu (à gauche) et Kaiu Shirai.
Posuka Demizu - Kaiu Shirai
Les deux artistes se vouent une admiration réciproque. Mais la publication hebdomadaire d'une vingtaine de pages demande une organisation irréprochable. Dans le cas de The Promised Neverland, tout s'est déroulé par échanges de mails entre 2016 et 2020. La méthode est simple mais laborieuse : le story-board du chapitre de la semaine de Kaiu Shirai est envoyé à l'éditeur Takushi Sugita, qui le fait suivre à Posuka Demizu afin qu'elle en tire un crayonné. Ce « brouillon » repasse ensuite par M. Sugita et atterrit dans la boîte mail du scénariste, qui peut ensuite livrer ses commentaires pour que la dessinatrice fasse des ajustements. « Chaque fois que je demandais une modification à Demizu-sensei, elle allait toujours au-delà de mes attentes, elle se l'appropriait », loue le scénariste, qui laisse une certaine liberté à son illustratrice. « Je voulais concrétiser les intentions de Shirai-sensei. Certaines étaient bien claires mais beaucoup de choses n'étaient pas définies, par exemple les décors : là, c'est moi qui devais tout décider, se souvient-elle. Idem pour le placement des personnages, leurs positions dans chaque scène, les angles de caméra, etc. » Finalement, entre les deux, l'alchimie opère !
Sur les réseaux sociaux, j'ai été contactée par des gens de pays que je ne connaissais même pas. En France, beaucoup de personnes m'ont envoyé des messages ! Pozuka Demizu
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Et le public est au rendez-vous : « Je ne pensais pas que The Promised Neverland allait cartonner tout en m'attendant à un certain succès, confie Kaiu Shirai. J'ai pris confiance dès que Demizu-sensei a accepté ce travail, qu'elle a fait le design des personnages et les crayonnés des trois premiers chapitres. » Pour Pozuka Demizu, la popularité de la série aura des conséquences bien concrètes : « J'ai commencé à recevoir de plus en plus de commandes de dessins et de lettres de fans étrangers. Sur les réseaux sociaux, j'ai été contactée par des gens de pays que je ne connaissais même pas. En France, beaucoup de personnes m'ont envoyé des messages ! Ma vie personnelle n'a pas changé pour autant. Je suis beaucoup plus occupée qu'avant mais c'est inévitable… En tout cas, ce qui me fait très plaisir, c'est que, grâce au succès, notre éditeur nous invite parfois dans de grands restaurants. » (Rires.)
Un élégant triptyque inspiré par Coco Chanel
Miroirs est un recueil de trois histoires courtes inspirées par Coco Chanel.
MIROIRS 2021 by Kaiu Shirai, Posuka Demizu/SHUEISHA Inc.
The Promised Neverland s'est achevé en 2020 mais le binôme ne s'est pas séparé pour autant. Plusieurs brefs récits de Kaiu Shirai, écrits avant 2016, ont été mis en images par sa complice et réunis dans un Recueil d'histoires courtes (avec Le Souhait de Poppy évoqué précédemment). Plus étonnant, un élégant triptyque inspiré par Coco Chanel, Miroirs, a été publié en 2021. « J'ai essayé de projeter un aspect différent de Gabrielle Chanel sur chacun des personnages, explique en postface le scénariste. Et puis, faute d'avoir pu me rendre en France (à cause du Covid, NDLR), j'ai choisi le Japon contemporain comme cadre. » L'illustratrice explique de son côté s'être plongée dans des shôjo mangas tels que Candy Candy et La Rose de Versailles pour représenter les personnages, en recourant peu aux trames : « Quelque part, je trouve que ça se rapproche un peu de l'esprit de Chanel, qui a sublimé la féminité en composant avec le noir et le blanc. »
Kaiu Shirai et Posuka Demizu ont depuis emprunté des chemins différents. Le premier a scénarisé deux récits courts avec d'autres artistes et la seconde se charge actuellement du dessin de Beyblade X, une licence jeunesse très populaire mettant en scène des compétitions de toupies. « J'aimerais faire plein de one-shots singuliers, sauf qu'on me propose surtout des story-boards de séries plutôt longues, explique Kaiu Shirai. Je voudrais retravailler avec Demizu-sensei, mais elle a aussi d'autres projets... J'ai vraiment la sensation de former un duo avec elle ! » Pas de doute que Posuka Demizu sautera sur l'occasion si elle se présente. Pour le moment, la dessinatrice a surtout « très envie de lire les 'one-shots singuliers' de Shirai-sensei ! ».
Un grand merci à Shoko Takahashi pour l'interprétariat français-japonais.
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