
«Non, le Musée Guimet n'a pas cédé à de quelconques pressions chinoises»
Yannick Lintz est présidente de Guimet - musée national des arts asiatiques. Pierre Baptiste est directeur de la conservation et des collections. Anne Yanover est directrice de la programmation et du public. Lise Mesz est directrice de la Villa Guimet, centre international de recherche sur les arts asiatiques.
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La tentation est grande de penser le musée comme un lieu replié sur lui-même, qui serait par nature hermétique aux vicissitudes du monde. Depuis son invention, le musée a toujours été une chambre d'écho des enjeux qui traversent les sociétés. Depuis le mois de septembre 2024, le musée Guimet, à Paris, fait l'objet d'une polémique qui se traduit aujourd'hui par un recours porté devant le tribunal administratif par quatre associations en faveur de l'indépendance du Tibet basé sur des arguments plus politiques que culturels et scientifiques.
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Si nous entendons les revendications de ces associations, nous voulons leur rappeler que ces accusations ne sont pas fondées et n'ont aucun lien avec notre rôle et nos missions. Ce n'est pas la première controverse qui bouscule une institution culturelle, et ce ne sera, hélas, pas la dernière. Souvenons-nous de celle qui visait à instrumentaliser le Palais de Tokyo et son exposition de Miriam Cahn à des fins tristement idéologiques. Que reproche-t-on, au juste, au musée Guimet ? De vouloir invisibiliser la culture tibétaine et effacer le Tibet de la carte. Pour ses contempteurs, le musée national des arts asiatiques serait coupable d'avoir supprimé le nom « Tibet » de ses murs et de ses supports de médiation.
Autant d'accusations qui ne sont pas fondées. En 2022, le musée Guimet a en effet entamé un vaste chantier de modernisation de ses salles. Outre améliorer la mise en valeur et la médiation des chefs-d'œuvre de la collection, ce chantier, toujours en cours, ambitionne de rendre plus lisibles et plus compréhensibles les collections, notamment auprès des jeunes visiteurs venus du monde entier. Porté par les équipes scientifiques et pédagogiques du musée, il consiste à mettre en lumière, au-delà des zones géographiques, des aires culturelles (le Monde himalayen, le Gandhara, le Champa…) qui ont façonné les arts asiatiques, en prenant soin de les contextualiser. C'est dans cet esprit que le musée Guimet a inauguré, en 2024, ses salles rénovées dédiées à l'art du Tibet et du Népal, en les renommant « Monde himalayen ». Un choix strictement scientifique, dans lequel certains voudraient voir la marque de pressions exercées par Pékin.
Indépendance scientifique
S'il est vrai que les musées ne sont jamais à l'abri de pressions politiques extérieures, y compris, parfois, de gouvernements étrangers, ces pressions plus ou moins subtiles peuvent également émaner de groupes qui voient dans l'institution culturelle la possibilité de médiatiser leurs revendications. Face à cela, le musée Guimet réaffirme son indépendance scientifique. C'est le cas ici : le musée national des arts asiatiques n'a cédé ni à la pression ni à la censure, ni même à leur corolaire, l'autocensure. En choisissant de parler de « Monde himalayen », il reprend une terminologie largement admise par les historiens des arts asiatiques depuis de nombreuses décennies, et qui est employée par de prestigieuses institutions, à l'instar du British Museum et du Victoria and Albert Museum à Londres, du Metropolitan Museum of Art et du Rubin Museum of Art à New York, du Smithsonian Museum à Washington et du San Francisco Asian Art Museum, ou encore de l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) à Paris, où les études tibétaines relèvent du département « Asie du Sud Himalaya ».
Le patrimoine d'une civilisation ne s'arrête pas aux frontières politiques, actuelles ou anciennes d'un pays.
Cette terminologie est d'ailleurs employée de longue date au musée Guimet qui, déjà en 1977, programmait une exposition sur les « Dieux et démons de l'Himalaya », avant de présenter en 1990 l'exposition « Art ésotérique de l'Himalaya », inaugurée à l'époque par le Dalaï-Lama. Parler de « Monde himalayen » ne vise donc, ni ne conduit aucunement, à invisibiliser la culture et l'identité tibétaines. Cette appellation souligne, au contraire, la richesse des interactions au sein d'une aire culturelle vaste et complexe, qui englobait le Tibet, l'Inde, la Chine, le Népal, le Bhoutan et la Mongolie, de l'antiquité au XIXe siècle et au sein de laquelle le Tibet, précisément, jouait un rôle considérable.
Le patrimoine d'une civilisation ne s'arrête pas aux frontières politiques, actuelles ou anciennes d'un pays. Et c'est bien pour mettre en valeur la richesse des échanges artistiques et culturels que le musée a choisi d'intégrer dans ses salles des œuvres émanant du Bhoutan, de la Mongolie et, prochainement, du Ladakh, du Kashmir et du Sikkim. Toutes appartiennent au « Monde himalayen », cette aire historiquement et culturellement fondée. Le nom « Tibet » a-t-il été effacé de Guimet ? Le mot « Tibet » n'a jamais disparu de nos salles. Chacun peut le constater simplement, en visitant le musée. De même, le guide des collections du musée, réédité en avril 2025, mentionne bien « Tibet central » ou « Tibet méridional » pour replacer une œuvre dans son aire culturelle, et « Chine, région autonome du Tibet » pour préciser sa provenance géographique.
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Des pressions chinoises ?
L'art tibétain a-t-il été relégué dans les réserves du musée ? Il est non seulement toujours présenté au public mais continue également d'enrichir la collection, grâce à l'acquisition, en novembre 2024, d'une remarquable sculpture du 5e Dalaï-Lama, ou, plus récemment, en juin 2025, d'un couple de divinités protectrices du XVe siècle. Le Tibet a-t-il disparu de la programmation culturelle ? En 2024, en pleine célébration du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine, le musée national des arts asiatiques présentait une exposition-dossier sur le centenaire de l'entrée d'Alexandra David-Neel à Lhassa, capitale du Tibet, complétée d'une journée d'étude à l'auditorium. La boutique du musée, gérée par la RMN, a-t-elle cessé de vendre les ouvrages sur le Tibet et l'art tibétain ? Plus de 185 livres sur le sujet y ont été vendus entre septembre 2024 et juin 2025.
Le musée Guimet aurait-il cédé à des pressions chinoises pour recevoir des financements de ce pays ? Ces accusations sont sans aucun fondement et tout simplement mensongères : le musée Guimet a certes reçu du mécénat de personnalités privées chinoises mais elles ne sont aucunement intervenues sur les propos scientifiques. Ouvert au dialogue, le musée Guimet a décidé de recevoir, en décembre 2024, des représentants d'associations tibétaines et la représentante du Dalaï-Lama en Europe, afin de leur présenter le chantier scientifique engagé par le musée. À cette occasion, le musée a rappelé l'importance qu'il accorde à la valorisation, au respect et à la reconnaissance de l'art et de la culture tibétains. Malheureusement, et nous le regrettons, cette rencontre, n'a pas suffi à convaincre les associations, dont l'agenda et les objectifs sont éloignés du travail d'une institution respectée pour son intégrité, sa rigueur et son expertise. Ceci nous rappelle que le musée, « à la fois inutile et indispensable », comme l'écrit Krzysztof Pomian dans son Musée, une histoire mondiale (Gallimard), traite d'un matériau sensible : l'Histoire. C'est en son nom qu'il faut défendre l'intégrité scientifique et l'indépendance du musée.
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