
«Tout le sud de la France est menacé si on n'apporte pas suffisamment d'eau» : l'appel du vigneron Gérard Bertrand après l'incendie dans l'Aude
Gérard Bertrand a beau passer le plus clair de son temps à voyager à travers le monde, il reste enraciné dans les Corbières. Il dit avoir été pris «aux tripes» face au spectacle de désolation du département de l'Aude, où un incendie a ravagé 16.000 hectares de végétation et coûté la vie à une personne. Il y est né, y vit, et en porte encore fièrement l'accent. Le géant des vins du Languedoc, à la fois vigneron et négociant – 17 domaines, 500 collaborateurs et 25 millions de bouteilles écoulées par an – n'en perd pas moins sa verve et sa volonté de se saisir d'un problème pour lequel il milite depuis dix ans. Son ambition pour éviter des incendies d'ampleur : mieux gérer l'approvisionnement en eau avec un plan Marshall ambitieux pour faire renaître une dynamique de viticulture vertueuse et prospère. Alors qu'une prise de conscience semble apparaître sur la nécessité de maintenir l'activité viticole pour contenir les flammes – ces fameuses vignes coupe-feu – Gérard Bertrand s'explique auprès du Figaro.
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De mémoire de vigneron, est-ce la première fois que vous constatez un incendie aussi violent ?
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De cette ampleur, oui. Des incendies, il y en a tous les deux ou trois ans, mais le problème tient en deux choses. Il y a le réchauffement climatique, mais surtout, il y a l'entretien du territoire qui pose question. Historiquement, les Corbières ont toujours été entretenues parce qu'il y a toujours eu une agriculture, un pastoralisme et, surtout, une viticulture. Et depuis cinq à dix ans, on n'arrête pas d'alerter sur le fait que déjà, il fait plus chaud qu'auparavant, et ensuite, que le travail n'a pas été fait sur l'approvisionnement à l'eau. Elle déborde le long du Rhône, mais elle n'arrive pas dans nos territoires. En tout cas pas en quantité suffisante.
Comment, concrètement, la vigne constitue-t-elle un allié contre les incendies ?
Parce que la vigne est un végétal vert sur lequel les incendies ont un impact limité. Mais attention, elle fait office de coupe-feu quand elle est entretenue. Pourquoi le feu a-t-il sauté d'un territoire à l'autre ? Parce que tous ces terrains où il y a eu des vignes arrachées et ces champs avec des herbes qui font un mètre de haut, représentent des accélérateurs de feu. Donc quand vous avez des milieux entretenus, vous arrivez à fixer et à étouffer les flammes rapidement. C'est ce qui se passait auparavant : les feux brûlaient 50 ou 100 hectares et c'était terminé.
Mais comment ne pas arracher des vignes alors que la consommation baisse continuellement ?
On a commencé à arracher des vignes car il y a eu l'effondrement des rendements agronomiques, c'est le sujet numéro un. Après, il a été question de garder le potentiel intrinsèque de notre région, qui est la première productrice dans le monde. La consommation baisse, mais pas partout. Le vin reste un marché de 200 milliards de chiffre d'affaires par an ! La viticulture s'est adaptée, elle a développé des clientèles internationales. Et puis dans le Languedoc, la crise d'aujourd'hui n'est rien par rapport à celle des années 1960 et 1970. Aujourd'hui on est dans l'excellence qualitative. La consommation baisse, certes, mais nous sommes résilients, on a un vrai savoir-faire et une identité désormais. Et puis il y a des thématiques à défricher comme l'œnotourisme, qui est encore peu présent chez nous.
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Alors comment gérer ces campagnes d'arrachage ?
L'arrachage a son utilité quand les gens sont en bout de parcours et qu'ils ne trouvent pas de repreneurs. Mais l'arrachage financé à 4000 euros l'hectare constitue une sortie par la petite porte. Aujourd'hui, c'est un pis-aller, mais c'est souvent la seule solution pour beaucoup de personnes. Et quand on a travaillé toute sa vie, la différence fondamentale, c'est que quelqu'un qui vend une terre sans eau, ça n'a pas de valeur. Quelqu'un, qui vend un hectare de terre avec de l'eau, ça vaut 10 fois plus cher.
On va investir 5 milliards et demi dans le TGV, ce qui est une très bonne nouvelle, mais quand on met cette somme sur la table, je pense que l'on peut mettre 500 millions dans les infrastructures d'eau. Gérard Bertrand
Vous militez pour revoir complètement la gestion de l'eau.
Ce qui se passe aujourd'hui dans l'Aude et les Corbières va se passer demain ailleurs. Tous les territoires du sud sont menacés si on n'apporte pas suffisamment l'eau partout il faut l'avoir. Cela fait 10 ans que Météo France a identifié la zone entre Sète et la frontière espagnole comme étant en semi-aridification, donc ce n'est pas nouveau. Mais ce n'est pas comme si on était dans une région où il n'y avait pas d'eau. Elle est disponible avec le Rhône. 70 milliards de mètres cubes finissent à la mer. Et on en pompe seulement 200 millions, soit seulement 0,2%.
Pourquoi si peu ?
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C'est un problème de volonté et de hiérarchie de priorité. L'eau permet de maintenir une activité agricole dans toute sa diversité, ce qui est bon pour la souveraineté alimentaire. Elle maintient l'équilibre écologique et économique dans un territoire. Donc, le problème, c'est que comme il y a une divergence de point de vue, l'eau n'a pas été intégrée comme la priorité numéro une. Un acheminement convenable a été budgétisé à hauteur de 500 millions d'euros. On va investir 5 milliards et demi dans le TGV, ce qui est une très bonne nouvelle, mais quand on met cette somme sur la table, je pense que l'on peut consacrer 500 millions dans les infrastructures d'eau. On sait que la population de la région Occitanie va augmenter de 2 à 3% par an pendant les 10 prochaines années. Il faut que cet eldorado devienne un «eldorad'eau». Sinon, ce sera la misère.
Comment faciliter l'accès à l'eau pour les viticulteurs de l'Aude?
C'est très simple. Créons rapidement toutes les retenues collinaires nécessaires et interconnectées avec les cours d'eau pour retenir les eaux de pluie qui vont permettre de capter le débit du Rhône quand il est au plus haut, à la fonte des neiges (d'avril à juin). Ces retenues collinaires permettront en outre, en cas de pépin, d'avoir des approvisionnements pour les pompiers, mais aussi aux jeunes de s'installer et aux banques de financer ces installations. Et tout cela garantit le long terme pour les exploitants agricoles. C'est le facteur central, il n'y en a pas d'autres, car le reste on le réglera. Il faut remettre une harmonie dans les territoires. 85% des vignobles dans le monde sont irrigués, donc ce n'est pas un tabou.
Vous évoquez de la négligence et un manque d'ambition…
Il est trop facile de ne pas voir l'évidence quand elle n'est pas devant vous. Et malheureusement, il a fallu que cet incendie arrive avec un mort, des personnes disparues, des blessés graves, des maisons brûlées, pour qu'on se dise, «oui, effectivement, c'est plus grave que ce qu'on pensait». C'est de la négligence, parce que ce travail autour du maillage territorial, de l'eau et des retenues collinaires aurait dû déjà être fait. Et ensuite, le doublage d'Aqua Domitia (réseau qui approvisionne une partie du Languedoc en eau issue du Rhône, NDLR) aurait dû démarrer il y a dix ans. On en est encore au stade de l'étude ! Il faut une procédure accélérée pour que les premiers travaux commencent dans deux ans. Le réseau doit être dimensionné pour que la région depuis Sète jusqu'à la frontière espagnole soit autonome en eau pour les 30 prochaines années. Qu'on arrête avec la lenteur administrative.
Le vignoble provençal, tout aussi touché que vous par le réchauffement climatique, semble moins souffrir de ces problématiques. Pourquoi ?
Car la majorité de leur agriculture est approvisionnée en eau. Ils ont 10 ans d'avance sur nous. Le vignoble provençal est approvisionné à hauteur de 50% quand on est à 25% chez nous. Ils ont anticipé, c'est tout.
Je milite pour un plan Marshall Gérard Bertrand
Donc le réchauffement climatique est un faux coupable selon vous ?
Je ne pense pas qu'il faille lutter contre le réchauffement climatique, mais il faut s'adapter. La France représente moins de 1% des émissions mondiales de CO2, donc on ne va pas décider tout seul de ce qu'il faut faire. Bien sûr que des mesures sont nécessaires pour être vertueux. Mais le plus important, c'est d'adaptation. Moi je suis le premier écolo de France, j'ai mille hectares en biodynamie, mais on ne peut pas faire abstraction que le monde a changé. Jusqu'à il y a 10 ou 15 ans, les vignobles n'avaient pas besoin d'eau, mais c'est fini. Pourquoi ? Parce qu'en période estivale, on est passé de températures autour de 27, 28 degrés à 35 ou 37. Or la vigne est une plante qui résiste jusqu'à 35 degrés sans eau, pas au-delà. Il faut qu'on puisse, dans les périodes de sécheresse, accompagner les vignerons.
À lire aussi Les «vignes coupe-feu», cette solution que défendent les viticulteurs pour freiner la propagation des incendies
Vous appelez à un sursaut politique ?
Oui, bien sûr, car il n'y a pas eu de prise en compte de la gravité de la situation. Elle a été sous-estimée parce que les cycles sont longs, que des budgets sont parfois difficiles à établir, que le Covid est passé par là, etc. Il faut que la présidente de la région (Carole Delga, NDLR) prenne ce dossier à bras-le-corps, qu'elle s'entende avec les ministères concernés et avec le président de la République. Et que nous, les professionnels, on la guide sur la marche à suivre parce qu'on connaît très bien notre métier. Je milite pour un plan Marshall.
En quoi consiste ce plan Marshall ?
À hiérarchiser tous les territoires où il faut amener de l'eau, avec dans un premier temps les retenues collinaires et dans un deuxième temps le doublement d'Aqua Domitia. Ensuite, il convient de favoriser l'installation des jeunes avec la BPI, les banques, et ainsi recréer une dynamique importante autour de la destination de l'Occitanie et du Languedoc, avec des investissements qui soient faits en infrastructures touristiques, avec toute l'agriculture dans sa diversité : des vignes, mais aussi des arbres au fruitier, des oliveraies.... Si on respecte ce plan, vous verrez que la région va se redynamiser. Les gens sont des travailleurs ici. J'ai entendu les propos du premier ministre, il a la volonté que les choses bougent. Maintenant, place aux actes.

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