23-07-2025
« C'est comme une prison » : à Saint-Ouen, le couvre-feu exaspère les ados mais satisfait les adultes
« À 16 ans, la nuit on dort », lâche Abdallah en levant les bras. Pour ce travailleur du bâtiment croisé dans les rues de
Saint-Ouen
(Seine-Saint-Denis), l
e couvre-feu pour les mineurs de moins de 16 ans
mis en place depuis le 16 juillet aurait un intérêt majeur : protéger les plus jeunes. Une position qui résume le sentiment de la majorité des adultes auxquels nous avons pu parler ce lundi. « On a peur qu'ils se fassent embrigader par les plus âgés le soir », renchérit-il. Selon la ville, la mise en place de cet arrêté a notamment été motivée par « l'augmentation de la délinquance des mineurs sur le territoire de Saint-Ouen-sur-Seine de 8 % entre 2024 et 2025 ».
Le couvre-feu « n'est pas une mesure répressive mais préventive, qui vise à responsabiliser les plus jeunes, et à accompagner les parents », précise encore la ville. Karim Bouamrane, le maire (PS) de Saint-Ouen, le répète d'ailleurs à l'envi depuis la semaine dernière. Ce mardi encore, sur X, il a réaffirmé que le couvre-feu avait été imaginé comme « un soutien au cadre éducatif des familles ». À cette date, précise la municipalité, aucune contravention, d'un montant à 35 euros en cas de récidives promet la ville, n'avait encore été dressée par la police municipale.
Ce lundi pluvieux de juillet, Sylvain
(le prénom a été changé)
a trouvé refuge au Café Jaune. Il regarde son fils de quatre ans jouer sur le sol. Pour lui, ce n'est pas à la ville d'imposer ça aux enfants, c'est la responsabilité des parents : « Quand mon fils sera en âge, ce sera à moi de gérer ses sorties ». Selon cet électricien, Saint-Ouen n'aurait d'ailleurs pas de réel problème de délinquance juvénile. « Cette mesure sert surtout à rassurer les gens qui regardent les chaînes d'informations en continu, mais pas à protéger les jeunes. » À sept mois des
élections municipales
, il perçoit cet arrêté comme un moyen pour Karim Bouamrane de préparer la campagne.
Raphaël, âgé de 13 ans, attend le bus. À ses côtés, sa grand-mère explique refuser de le laisser sortir seul la nuit. Elle espère que cette mesure sera bénéfique pour les autres adolescents « Si ça peut aider à protéger les enfants… ». Le jeune garçon, de son côté, pense que la mesure ne sera pas efficace : « Si les jeunes veulent sortir la nuit, ils vont sortir la nuit, ça ne va rien changer ».
« Ce n'est pas juste », souffle de son côté Ivanilson. Le jeune garçon de treize ans est assis sur l'une des machines de la laverie, il est venu accompagner sa mère. Le collégien sort souvent le soir pour aller au parc et jouer au foot. « C'est une sanction. Moi le soir, je veux juste rejoindre mes copains » ajoute-t-il. Pour lui, pas question de sortir après le couvre-feu : « J'ai peur de me prendre une amende alors je ne sors pas, mais mes copains ne vont pas tous le respecter. »
Dans les rues du marché aux puces, Merwan
(le prénom a été changé)
, 17 ans, s'indigne, lui aussi, de cette mesure : « Ça prive de liberté les jeunes ». Le jeune homme, vêtu d'un survêtement noir, n'est pas concerné par le couvre-feu, mais il se souvient qu'à 15 ans, il sortait tard le soir, pour aller manger et sortir avec ses amis. « Il faut arrêter de voir le mal partout, il y a beaucoup de jeunes dehors qui ne font rien de mal ». À ses côtés, Kaenan, son cousin, acquiesce : « C'est comme une prison ». Même son de cloche un peu plus loin. Louis
(le prénom a été changé)
, âgé de 16 ans, hausse les épaules : « Aucun jeune de notre âge ne va respecter ça, surtout l'été ». Pour le jeune homme, « ce n'est pas une solution, c'est une punition ».
Mehdi
(le prénom a été changé)
, est plus nuancé « On ne peut pas connaître la situation de tout le monde », lance le jeune homme. « On a tous des parents et des mentalités différentes. C'est à eux de prendre cette décision, pas à la municipalité », ajoute-t-il.
Si le couvre-feu a fait réagir parents et ados, il n'a eu que peu d'échos politiques. Seule La France insoumise a localement condamné la mesure dans un communiqué publié sur X. Pour LFI, ce type de contrôles de la police municipale sur les mineurs de moins de 16 ans est une mesure « restrictive de liberté ». LFI dénonce par ailleurs la mise en place de la mesure dans un climat de contrôles d'identité « aléatoires », et ajoute qu'aucune étude ne prouve le bénéfice d'un couvre-feu.