07-08-2025
Nos routes, c'est pas FORT
« Hausser les taxes n'est jamais populaire. Mais les nids-de-poule ne le sont pas non plus », écrit notre éditorialiste en chef.
Les Québécois qui se sont baladés durant les vacances de la construction ont eu l'occasion de constater combien nos routes sont dans un état lamentable.
À travers la province, la moitié des routes sont en mauvais (19 %) ou en très mauvais état (29 %).
On comprend que le climat est difficile, que le sol est glaiseux, qu'il y a 50 % de plus de kilomètres de routes qu'en Ontario, qui compte presque deux fois plus d'habitants… Mais franchement, ça fait pitié.
C'est encore plus pitoyable dans certaines régions comme l'Abitibi-Témiscamingue, où 70 % de la chaussée est vétuste.
On veut bien croire que l'immensité du territoire et le manque de main-d'œuvre compliquent les travaux, mais certaines régions éloignées s'en tirent quand même bien, comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean, où seulement le quart des routes sont vétustes.
Après des décennies d'entretien insuffisant, Québec n'arrive pas à reprendre le dessus. Plus on attend, plus ça coûte cher… Un peu comme un patient qui aurait négligé son rendez-vous annuel chez le dentiste pendant des années et qui se retrouve avec un terrible mal de dents.
Faute d'investissement, le déficit d'entretien des infrastructures routières a pratiquement doublé depuis huit ans. Aujourd'hui, si on voulait remettre le réseau en état d'un coup de baguette magique, la facture s'élèverait à 22,5 milliards.
Mais oubliez la magie. En réalité, l'état du réseau routier risque de subir « une détérioration accélérée » dans les prochaines années, selon l'avis d'un comité d'experts indépendants récemment dévoilé par le ministère des Transports et de la Mobilité durable1.
Le Vérificateur général du Québec avait déjà sonné l'alarme en 20232. Au rythme où le Ministère réalise les travaux de réfection de la chaussée, le rétablissement devrait prendre plus de 25 ans, prévoyait le chien de garde du gouvernement.
C'est inacceptable. Un tel laisser-aller aura des conséquences graves pour la société. Au mieux, il risque d'y avoir des déviations monstres si on doit fermer des routes d'urgence. Au pire, on risque une autre catastrophe comme le funeste écroulement du viaduc de la Concorde, en 2006.
Malgré des finances très serrées, la Coalition avenir Québec (CAQ) a pris des mesures pour accélérer la cadence, dans son dernier budget.
Premièrement, le gouvernement a rehaussé les investissements pour réparer le réseau routier au cours des trois prochaines années. Cet effort mérite d'être souligné. Le problème, c'est que pour les années suivantes, Québec prévoit investir moins qu'il ne le fait aujourd'hui.
Ce n'est pas comme ça qu'on redressera la situation, surtout que le coût des travaux a explosé de 50 % depuis 2018. Même en investissant davantage, on ne réussit pas nécessairement à faire plus de travaux, à cause de l'inflation.
D'où l'importance de mettre les priorités aux bons endroits, en limitant le plus possible les nouveaux projets. Couper des rubans, c'est politiquement gagnant… surtout à un an des prochaines élections. Mais quand on n'arrive plus à entretenir nos actifs existants, il ne faut pas creuser notre tombe en construisant du neuf qu'on devra entretenir aussi.
Deuxièmement, la CAQ a fait un pas dans la bonne direction en instaurant une contribution annuelle sur les véhicules électriques (125 $) et hybrides (62,50 $) à partir de 2027.
Il est juste et raisonnable que ces conducteurs participent à l'entretien des routes qu'ils utilisent. D'ailleurs, leur contribution restera modeste quand on la compare à la taxe sur l'essence payée par les conducteurs de véhicules conventionnels (exemple : 315 $ par an pour un RAV4 qui roule 20 000 kilomètres par année).
La taxe sur l'essence est la principale source de revenus du Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT), qui finance l'entretien des routes.
Or, il y a un gros trou dans le FORT en raison du virage vers les véhicules électriques, mais aussi parce que la taxe sur l'essence n'a pas été indexée depuis 2013. Le FORT est donc déficitaire, ce qui va à l'encontre de la Loi sur l'administration financière.
Depuis 2017, le gouvernement a pigé 14 milliards de dollars à même son fonds consolidé pour équilibrer le FORT. C'est donc dire que l'ensemble des contribuables subventionnent les automobilistes, ce qui ne cadre pas avec le principe de l'utilisateur-payeur sur lequel repose le FORT.
C'est donc un constat d'échec pour le financement du transport.
La nouvelle contribution des véhicules verts sera loin d'être suffisante pour boucher le méga-nid-de-poule du FORT.
Il est temps de reprendre les choses en main.
À court terme, il serait sage de relever la taxe sur l'essence qui est restée à 19,2 cents depuis 2013. Si cette taxe avait suivi l'inflation, elle serait de 25,66 cents aujourd'hui.
La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke a déjà suggéré de la relever graduellement et de l'indexer par la suite, comme le font plusieurs pays (Suède, Pays-Bas, Australie) et 24 États américains3.
Mais à moyen terme, la taxe sur l'essence est appelée à disparaître avec la transition verte. Il faudra donc trouver une autre façon de financer le réseau routier.
La contribution kilométrique est une solution qui mérite d'être explorée, même si cela pose un défi d'acceptabilité sociale. Des projets pilotes avec les véhicules électriques, qui sont subventionnés, ou du côté du transport de marchandises pourraient être moins clivants.
Tant qu'on n'aura pas le courage de s'attaquer au problème structurel du financement, on roulera sur des routes pleines de trous.
Combien faut-il investir pour ramener notre réseau routier dans un état acceptable ? Comment veut-on payer cette facture ? Pour l'instant, il n'y a pas de réponses à ces questions cruciales.
Hausser les taxes n'est jamais populaire. Mais les nids-de-poule ne le sont pas non plus. On a les routes qu'on mérite.
1. Consultez l'avis du comité d'experts commandé par le ministère des Transports et de la Mobilité durable
2. Consultez l'audit du Vérificateur général
3. Consultez la revue de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke