10-07-2025
« Ce sont des bébés » : enquête sur ces jeunes filles placées et piégées par les réseaux de prostitution
Une importante partie des mineures placées en foyer se prostituent et ce à un âge de plus en plus précoce depuis le milieu des années 2010.
«Là c'est maman, là c'est moi, là c'est mon frère, là c'est moi, là c'est maman.» Ilona s'amuse à nous montrer les photos de sa chambre. Elle petite, son frère et sa mère au même âge. Déjà enfants ces deux-là se ressemblaient. Les yeux vert jaune, étirés et immenses, le nez retroussé. Depuis que l'adolescente de 16 ans ne sort plus de leur 30 m2 près de Marseille, mère et fille sont inséparables. Comme notre photographe est un homme, Ilona a couru chercher son voile, l'a passé par-dessus un legging orné de schtroumpfs. Elle le porte depuis six mois. Dans la rue pour se dérober aux regards. Ils lui paraissent sales depuis que «c'est» arrivé.
De ses 12 à ses 15 ans, Ilona a été prostituée à des clients de tous âges. Dans des hôtels miteux, des appartements loués sur Airbnb. D'abord livrée par des «grandes», elle a ensuite «géré» seule. Durant ces trois années, elle vivait en foyer. Un juge l'avait confiée à l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE), un service départemental qui veille sur les enfants maltraités ou négligés. Sa mère avait été jugée trop absente, sa belle-mère la battait. À Marseille, l'avocat Michel Amas s'appuie sur son cas pour accuser les Bouches-du-Rhône de «faute en responsabilité», un recours qui vise aussi l'Essonne et les Yvelines.
L'avocat de 62 ans, engagé contre les placements «abusifs» - 80% des décisions selon ses statistiques très personnelles - dénonce un «scandale d'État» : des filles vulnérables, retirées à leurs parents, ont été exploitées par des réseaux pendant leur placement. D'après lui, ce qui devait être une protection les a même jetées dans ce trafic. «Dès qu'une gosse est placée, elle est transformée en prostituée par l'État français», assurait-il à l'animateur Karl Zéro en mai. Alors Le Figaro a voulu savoir. Ce que vivent ces adolescentes vendues par des dealers ratés à peine plus âgés qu'elles. S'il y a un lien causal entre le placement et cette exploitation. Si l'ASE a les moyens de freiner ce phénomène.
Ilona, Assia, Nour, Asma* nous ont raconté leur histoire. Comment ont eu lieu les premiers faits. Quels gestes violents ont déréglé le rapport qu'elles entretenaient avec leur corps. Si elles ont pu compter sur des adultes pour se sortir de là. Trois thèmes, trois parties d'une enquête.
L'histoire d'Ilona
Ilona ne se souvient pas de l'âge où l'ASE est entrée dans sa vie, d'abord par des suivis d'éducateurs à domicile. Ce qui reste frais, c'est cette proposition d'une «grande» le jour de son arrivée dans un foyer de Marseille. Il était question d'actes avec des hommes, d'argent, Ilona avait 12 ans. À la fille, elle répond «non de suite» mais cette dernière lui fait comprendre que persister dans son refus lui causera «des problèmes». Une semaine s'écoule. Quand…