2 days ago
Le président déterminé à « sauver sa peau »
Des policiers face à des manifestants antigouvernementaux à Belgrade, en Serbie, lundi
Les affrontements violents survenus au cours de la dernière semaine en Serbie lors de manifestations contre le gouvernement témoignent d'une volonté potentiellement lourde de conséquences du chef de l'État, Aleksandar Vučić, de durcir son approche face à ses détracteurs.
Ce qu'il faut savoir Des miliciens armés sont intervenus aux côtés de la police contre des manifestants opposés au gouvernement dans plusieurs villes de Serbie depuis une semaine, faisant des dizaines de blessés.
Plusieurs analystes y voient une manifestation de la volonté du président Aleksandar Vučić de durcir son approche pour faire taire ses critiques.
Le pays est secoué depuis plus d'un an par un mouvement de contestation qui a débuté après l'effondrement partiel d'une gare qui venait d'être rénovée.
« Pour Vučić, c'est un enjeu existentiel. Il sait qu'il doit écraser les protestataires pour se maintenir au pouvoir », prévient Aidan Hehir, spécialiste des Balkans rattaché à l'Université de Westminster.
Le chercheur voit dans l'escalade des derniers jours une illustration préoccupante de l'exaspération du chef de l'État face au mouvement de contestation, qui a débuté l'année dernière en lien avec une affaire de corruption avant de se transformer en critique tous azimuts du régime.
Le président serbe, au pouvoir depuis 2012, « est prêt à payer le prix qui viendra avec la mort de plusieurs protestataires si c'est ce qu'il faut pour demeurer en poste », relève M. Hehir.
Srdja Pavlović, spécialiste de la région rattaché à l'Université de l'Alberta, note que la violence a toujours été « l'ultime recours pour des autocrates voulant sauver leur peau et éviter toute imputabilité pour leurs abus passés ».
PHOTO LUDOVIC MARIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Le président de la Serbie, Aleksandar Vučić
Le durcissement en cours en Serbie témoigne, dit-il, de la « peur » du gouvernement, voire de sa fin prochaine, mais pourrait effectivement avoir un « coût élevé » pour les protestataires.
« Aleksandar Vučić est capable de verser le sang de citoyens serbes pour sauver sa peau politiquement. J'espère que sa soif de violence ne découragera pas les manifestants », ajoute-t-il.
Après une soirée calme dimanche, plusieurs milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Belgrade et de plusieurs autres villes lundi soir. Des manifestants ont notamment saccagé des locaux du parti au pouvoir à Belgrade, avant d'être repoussés par les policiers antiémeutes, a constaté un photographe de l'AFP.
Une force excessive
La tournure des évènements au cours des derniers jours préoccupe aussi au plus haut point Ivana Randjelovic, responsable de la section européenne de Civil Rights Defenders, qui accuse le gouvernement serbe de vouloir « intimider » ses critiques plutôt que de procéder comme ils le demandent à la tenue d'élections anticipées.
Je ne sais pas vraiment ce qui va se passer maintenant. Lorsque le gouvernement a voulu intensifier la répression jusqu'ici, la population a montré sa résilience en continuant de descendre dans la rue.
Ivana Randjelovic, responsable de la section européenne de Civil Rights Defenders
Mme Randjelovic s'alarme notamment du fait que des miliciens armés de bâtons, de barres de métal ou encore de bouteilles de verre ont attaqué des groupes de manifestants dans plusieurs villes au cours de la dernière semaine.
« On les voit maintenant un peu partout au pays », relève la militante, qui reproche aux forces de l'ordre d'avoir activement appuyé les actions violentes de ces miliciens plutôt que de chercher à défendre les civils ciblés.
Les policiers ont fait usage par ailleurs de force excessive, passant notamment à tabac un adolescent de 16 ans dans une ville de l'ouest du pays, note Mme Randjelovic, qui fait peu de cas des affirmations du gouvernement voulant que les manifestants soient responsables de la violence.
« On a vu ça dans plusieurs autres pays autoritaires. C'est le genre de rhétorique qui est souvent utilisé », dit-elle.
Rétablir « l'ordre » dans le pays
Le mouvement de contestation en Serbie a débuté en novembre 2024 après l'effondrement de l'auvent en béton d'une gare récemment rénovée à Novi Sad qui a fait 16 morts. Le drame, décrit comme un symbole de la corruption qui mine le gouvernement, a poussé une foule d'étudiants, d'employés et de retraités à descendre dans la rue.
PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Des secouristes sur le site de l'effondrement à la gare ferroviaire de Novi Sad, dans le nord de la Serbie, en novembre 2024
À Belgrade, plusieurs manifestations regroupant des dizaines de milliers de personnes ont été tenues sans incident majeur avant que les choses s'enveniment. Le gouvernement, dans l'espoir d'apaiser les esprits, a initialement annoncé plusieurs arrestations en lien avec l'effondrement survenu à Novi Sad, sans réussir à calmer la grogne.
La démission subséquente du premier ministre, Miloš Vučević, n'a pas non plus satisfait les manifestants, qui ont progressivement élargi leurs demandes pour inclure la tenue de nouvelles élections.
Le président serbe les accuse d'être des « terroristes » agissant sous l'influence d'une puissance étrangère et promet d'introduire dans les prochains jours de nouvelles mesures pour rétablir « l'ordre » dans le pays.
Son approche autoritaire est cautionnée par la Russie, un allié de longue date du président. Elle risque par ailleurs d'être bien accueillie par l'administration du président américain, Donald Trump, si elle est dépeinte comme une « tentative pour ramener l'ordre face à des anarchistes », relève M. Hehir.
Mme Randjelovic pense quant à elle que Washington veut éviter tout nouveau foyer d'instabilité et ne fera rien, à moins que le régime serbe cherche à déstabiliser le Kosovo voisin. Elle espère une réaction vigoureuse de l'Union européenne (UE) face à la Serbie, qui continue officiellement de vouloir adhérer à l'organisation même si le processus traîne en longueur depuis des années.
« Tous les manifestants progressistes ici s'attendent à ce que l'UE intervienne. Les demandes d'imputabilité et de transparence au cœur de leurs revendications correspondent au programme qu'elle défend », relève Mme Randjelovic.
Avec l'Agence France-Presse