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Tessin: des moustiques stériles relâchés pour combattre l'invasion
Tessin: des moustiques stériles relâchés pour combattre l'invasion

24 Heures

time5 days ago

  • Science
  • 24 Heures

Tessin: des moustiques stériles relâchés pour combattre l'invasion

Expérimentation scientifique – Des moustiques tigres stériles déployés en masse pour lutter contre l'invasion Au Tessin, la guerre contre le moustique tigre se joue avec des mâles stériles. Leur mission: s'accoupler avec les femelles et couper net le cycle de reproduction. Salomé Philipp , Aurélie Toninato Mi-juillet, un collaborateur scientifique de la Supsi s'apprête à libérer des moustiques tigres mâles stérilisés à Bologne, à une distance déterminée, dans une zone d'essai à Losone, au Tessin. KEYSTONE Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk En bref : Le Tessin libère chaque semaine 36'000 moustiques tigres mâles stériles pour combattre l'espèce. L'expérience menée à Morcote a réduit de 63% la population de femelles. Le canton projette de construire sa propre bio-usine pour produire les insectes. Chaque semaine depuis juin, 36'000 moustiques tigres sont lâchés dans les communes tessinoises d'Ascona et de Losone. De quoi transformer le quotidien des habitants en enfer? Ce serait plutôt le contraire: ces moustiques doivent permettre, paradoxalement, de réduire la population globale de leur espèce. Les insectes libérés, produits en laboratoire et stérilisés, sont uniquement des mâles – ils ne piquent donc pas. Après s'être accouplées avec ces individus, les femelles sauvages produisent des œufs non viables, coupant net le cycle de reproduction de ce vecteur de maladies tropicales. Aujourd'hui, le Tessin n'est pas doté d'infrastructures de production de mâles stériles à grande échelle; il doit les importer d'Italie. Un processus coûteux et induisant un risque de mortalité important. Pour y remédier, et pouvoir un jour approvisionner la Suisse entière, le canton ambitionne de créer sa propre bio-usine de production, à l'image de celles qui existent déjà ailleurs (lire ci-dessous). C'est dans un laboratoire de la Haute Ecole spécialisée de la Suisse italienne (Supsi) à Mendrisio que le projet de lutte contre ces insectes se développe. Sous une lumière blanche, des scientifiques en blouse scrutent les œufs de moustique tigre au microscope. De minuscules graines noires qui, en une semaine, deviendront des larves, puis des adultes. Sur les étagères, des bacs d'eau accueillent chaque étape de cette transformation, tandis que des cages entomologiques – ces boîtes d'élevage d'insectes – abritent les adultes, nourris de solution sucrée. C'est également entre ces murs que le projet pilote de lâcher de mâles stériles est coordonné. «Pas des OGM» Contrairement aux cantons romands, qui n'ont été colonisés que récemment, le Tessin vit avec le moustique tigre depuis vingt ans. Une cohabitation qui le place en pionnier suisse de la lutte contre cet indésirable vecteur de maladies, comme la dengue, le zika et le chikungunya, dont les cas prennent l'ascenseur en Europe. La technique SIT (Sterile Insect Technique) est un complément aux techniques déjà en place – tel que l'élimination des eaux stagnantes et les traitements biocides spécifiques contre les larves –, «mais son mode d'action est différent, à savoir que ce sont les moustiques qui recherchent les congénères alors qu'avec les autres méthodes, nous devons trouver les foyers larvaires», détaille Eleonora Flacio, biologiste responsable du projet SIT pour le Tessin et présidente de l'European Mosquito Control Association (EMCA). Eleonora Flacio, biologiste responsable du projet SIT pour le Tessin. Entre 2022 et 2024, un projet pilote a été mené à Morcote, commune isolée sur les rives du lac de Lugano, avec des moustiques stérilisés par irradiation dans une bio-usine à Bologne et acheminés en état de léthargie grâce à une température de 10 à 12 degrés. «On ne cible pas un gène précis lors de l'irradiation, les mâles sont stérilisés de manière randomisée, précise la biologiste. Ce ne sont donc pas des OGM.» À l'achat, un mâle revient à 0,018 centime. Réduction de plus de 60% des femelles De mai à septembre durant deux ans, dix mâles stériles pour chaque mâle sauvage ont été relâchés chaque semaine à Morcote, sur des points espacés de 50 à 80 mètres, alors qu'il leur restait deux à quatre jours de vie. Près de trois millions d'individus ont ainsi été introduits chaque année. Avec des résultats très prometteurs: en 2023, le nombre de femelles adultes a chuté de 63% dans la zone de libération des insectes stériles par rapport à la zone témoin, rapporte Eleonora Flacio. En 2024, la baisse est restée similaire. Après Morcote, l'opération s'est étendue à plus large échelle. Le succès de l'expérience a séduit les localités alentour, dont plusieurs souhaitaient elles aussi accueillir le projet. «Certaines ont râlé de ne pas avoir été choisies pour participer, alors même que la récolte de données n'est pas encore terminée, raconte la biologiste. Et puis, les gens adorent le projet: au Carnaval du Tessin, certains se sont même déguisés en moustique pour saluer l'expérience!» Pour financer l'extension du projet pilote, un fonds national a été sollicité, mais toutes les demandes n'ont pas pu être couvertes. Cela a obligé la Supsi à sélectionner un nombre réduit de communes pour accueillir l'opération, malgré une volonté d'expérimentation plus large. Produire localement pour les communes et les privés Malgré les résultats positifs de la SIT, tout ne fonctionne pas toujours comme prévu. Comme ce matin d'août, où les caisses d'insectes stériles ne sont pas arrivées de Bologne, la compagnie de livraison a failli. Or, dans la chaleur estivale, chaque heure compte: un trajet trop long, un choc violent, et les insectes s'affaiblissent – et deviennent incapables de féconder des femelles – ou meurent. Les mâles stérilisés sont livrés deux fois par semaine et doivent être relâchés dans la foulée, sans quoi cela compromet l'expérience. Le moustique tigre se reconnaît à ses zébrures. TDG Trois ou quatre incidents semblables ont déjà perturbé la saison tessinoise. «L'acheminement est le défi le plus important auquel nous devons faire face, témoigne Eleonora Flacio. C'est pour cela que nous voulons construire notre propre usine de production, ici, au Tessin.» Une initiative qui permettra de surmonter les limitations actuelles, car les infrastructures européennes existantes ne parviennent pas encore à approvisionner leurs propres pays de manière suffisante. Partout dans le monde, les chercheurs testent la technique et échangent pour améliorer son efficacité. «Il n'y a pas de concurrence directe, mais plutôt un esprit de collaboration pour perfectionner la méthode», souligne la spécialiste. L'usine tessinoise devrait permettre de mieux contrôler les coûts, de générer des données fiables sur le rapport coûts-bénéfices, et de fournir des conseils aux futurs acheteurs: communes, hôtels, campings ou particuliers possédant de grandes propriétés. Des terrains ont déjà été identifiés, la recherche de financements est en cours. «Nous ne voulons pas de fonds uniquement privés afin de garder une dimension publique. Cette usine ne doit pas viser le profit, c'est un service. Nous souhaitons en faire un modèle, avec l'ambition de produire un million de mâles stériles par semaine d'ici à deux ans.» Des usines déjà en activité et une bactérie prometteuse Il existe déjà plusieurs bio-usines de production de mâles stériles, sorte de laboratoire géant, en Europe. En Italie par exemple, le Centro agricoltura ambiente (CAA), laboratoire semi-public, produit et vend un million de moustiques tigres stérilisés aux rayons X, rapporte Romeo Bellini, professeur au CAA. «Nous fournissons principalement des instituts de recherche, mais également des municipalités italiennes. Nous sommes désormais en mesure de fournir le nombre de mâles nécessaires pour atteindre une réduction locale de 60 à 80% de la population femelle, c'est le seuil établi pour éliminer le risque épidémiologique et réduire les nuisances.» Les moustiques stériles ont une durée de vie d'environ trois à sept jours. Le CAA a mis au point un système d'envoi réfrigéré par courrier express dans les vingt-quatre heures, qui permet d'acheminer les insectes sans trop de pertes – 5 à 10% de décès, indique encore Romeo Bellini. Des bactéries dans les œufs du moustique tigre En Espagne, la ville de Valence fait figure de précurseur national dans la lutte contre le moustique tigre. Son Centre de lutte biologique contre les nuisibles, financé par le gouvernement régional, travaille depuis 2003 sur la stratégie SIT pour lutter contre les ravageurs agricoles, et cette expérience a été mise à profit dans la lutte contre le moustique tigre. De 2018 à 2020, des lâchers de mâles stériles ont été réalisés sur deux sites pilotes, libérant plus de 15 millions d'individus sur 80 hectares. Les niveaux de population de femelles adultes et d'œufs ont été réduits de 70 à 80%. Le Ministère de l'agriculture poursuit aujourd'hui les lâchers dans une troisième province, celle d'Alicante, en collaboration avec une entreprise de service public, en parallèle de mesures comme le traitement des canalisations pour neutraliser les sites de ponte. Par ailleurs, l'Université de Valence travaille depuis 2020, avec un laboratoire italien, sur la technique IIT (Incompatible insect technique) qui consiste à introduire la bactérie Wolbachia dans les œufs des moustiques afin de créer des individus qui donneront naissance à des embryons stériles. Des tests à petites échelles seulement ont été menés jusqu'à présent en Italie. Pour Antonio Marcilla Diaz, du département de parasitologie, l'IIT est une technique prometteuse car moins coûteuse (transport et rayonnement) et plus efficace, car l'irradiation réduit la condition physique des mâles. À noter que des sites de production de moustiques stérilisés par SIT existent également à La Réunion et en France métropolitaine, une start-up à Montpellier, ou encore aux États-Unis, en Chine, à Singapour, au Brésil, à Cuba, à Tahiti, entre autres. Des projets en Croatie, en Albanie et au Portugal ont par contre été interrompus faute de financement. Plus d'infos Aurélie Toninato est journaliste à la rubrique genevoise depuis 2010 et diplômée de l'Académie du journalisme et des médias. Après avoir couvert le domaine de l'Education, elle se charge aujourd'hui essentiellement des questions liées à la Santé. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.

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