23-07-2025
Comment le guichet d'une piscine parisienne s'est transformé en épave… dans les Yvelines
Drôle de croisière. Ce mardi-là, nous voilà embarqués à bord du « Baroudeur », un engin spécialisé dans les chantiers fluviaux. L'objectif de la balade est de rejoindre une épave à Carrières-sous-Poissy (Yvelines), à hauteur de l'île de la Dérivation.
Voies navigables de France (VNF)
vient d'y entreprendre le désossage de ce bateau, laissé à l'abandon sur le fleuve depuis septembre 2020.
L'opération est conduite grâce à un partenariat avec les mutuelles d'assurance Axa, qui la financent à hauteur de 65 000 euros, sur un budget global de 96 000 euros.
La vieille péniche échouée le long de la rive raconte une histoire incroyable. Entre 1801 et 1993, elle a servi de guichet d'accueil
aux « Bains Deligny », cette piscine flottante amarrée quai Anatole-France, à Paris (VIIe).
Havre mythique, haut lieu du bronzage dans les années 1970 en plein avènement du bikini, la piscine Deligny avait même accueilli les épreuves de natation des Jeux olympiques en 1900.
Emportant avec elle
deux siècles de barbotage parisien,
la structure flottante a sombré dans le fleuve le 8 juillet 1993, fragilisée par une collision avec un bateau survenue trois ans plus tôt. Juste après ce naufrage spectaculaire, un particulier a racheté un élément épargné : la péniche qui faisait office de guichet.
Cet homme décrit comme « marginal » en a fait son lieu d'habitation, le long des berges de Carrières-sous-Poissy, à une soixantaine de kilomètres de feu la piscine Deligny. Victime d'une avarie, la péniche a commencé à prendre l'eau en septembre 2020. Son propriétaire a été pris en charge par la municipalité de Carrières-sous-Poissy. Il est décédé quelques mois plus tard à l'hôpital de Poissy.
Philippe Barron, adjoint au maire de Carrières, a participé au « sauvetage » à l'époque. « Nous avons été avertis par des riverains qui s'étaient pris d'amitié pour ce monsieur. Lorsque la péniche a commencé à gîter, notre première préoccupation a été de gérer le côté humain et de mettre le propriétaire à l'abri. Les pompiers sont arrivés avec une quinzaine de véhicules. Ils ont attaché l'embarcation avec des cordages pour éviter qu'elle ne sombre complètement ».
« Son état devenait préoccupant. Nous sommes soulagés d'arriver au bout de la procédure, commente
Eddie Aït, le maire écologiste,
qui salue « l'efficacité de cette dynamique partenariale avec VNF et AXA ». Pour pouvoir intervenir, VNF a engagé une « procédure d'abandon » devant le tribunal administratif de Versailles, qui a permis d'effectuer un « transfert de propriété », intervenu en 2023, par arrêté préfectoral.
« Outre la pollution et l'impact sur la biodiversité, les épaves dans les fleuves présentent un danger de collision pour les usagers et des risques de dérive vers nos barrages, avec des éléments de l'embarcation qui peuvent les endommager ou bloquer la circulation de l'eau », explique Laurence Tual, responsable de l'occupation du domaine fluvial chez VNF.
Chaque année, pour le bassin de la Seine − 1 200 km de voies navigables entre Rouen, en Seine-Maritime, et Reims, dans la Marne− VNF consacre environ 1,2 million d'euros au recyclage des épaves. En moyenne, six bateaux sont ainsi récupérés tous les ans dans ce secteur.
Axa est engagé dans le soutien financier de ces opérations depuis trois ans, à raison de cinq projets par an, sélectionnés dans toute la France au terme d'un vote. « Il s'agit pour nous de contribuer à la préservation de la biodiversité, du patrimoine fluvial et des ressources en eau », commente Jean Bigalon, responsable du mécénat chez Axa. En Île-de-France, le prochain chantier issu de ce partenariat concernera une péniche « complètement coulée », sous le pont d'Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine.
De l'avis des spécialistes, l'opération menée à Carrières-sous-Poissy constitue « le plus gros chantier de l'année ». Trop abîmée pour être transportée d'un seul tenant, cette péniche de 25 m de long et de 4,50 m de large a été découpée en morceaux, à l'aide d'énormes ciseaux hydrauliques. Constituée de béton, de bois et d'acier, elle pèse environ 40 tonnes.
« L'expert qui a examiné la carcasse a refusé le transport en une seule fois, ce qui rend le travail plus complexe et plus long, explique Cindy Faria, responsable du chantier pour la société Travaux fluviaux dragages (TFD), prestataire de VNF. Après découpage à la cisaille, les morceaux d'acier sont rassemblés sur notre barge, puis acheminés jusqu'à Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, pour être recyclés par un ferrailleur ». À Carrières, il ne reste désormais plus rien de ce « puzzle », vestige d'une carte postale parisienne : la piscine Deligny, c'est vraiment fini.