6 days ago
Notre critique d'À feu doux : l'histoire d'une octogénaire qui ne veut pas battre en retraite
Entre émotion et humour, Sarah Friedland filme la vie d'une femme californienne qui découvre une maison médicalisée. Un film d'une infinie délicatesse.
« Pardon mais vous avez une pince à chips sur la tête. » Dans quel restaurant Ruth a-t-elle mis les pieds ? Cette élégante octogénaire est perdue. Sa mémoire s'effiloche, elle ne reconnaît plus son fils mais cette femme, avec une pince à chips dans la chevelure, la perturbe. L'autre ne s'en soucie pas le moins du monde. Pas plus que le serveur qui pose devant Ruth une assiette d'œufs brouillés. « Je n'ai jamais commandé ça, pourrais-je avoir la carte ? »
Bienvenue à Bella Vista, une résidence pour retraités en Californie. Le lieu existe vraiment. Il s'appelle en réalité Villa Gardens et fut fondé en 1920 par la première femme proviseur des États-Unis. Elle voulait promouvoir des méthodes éducatives auprès des personnes âgées. C'est ici que la réalisatrice Sarah Friedland a tourné ce premier film avec des résidents et des comédiens professionnels.
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Éclairs de colère
Ruth est interprétée par Kathleen Chalfant, cheveux courts et chic intact. Elle est cette femme qui a décidé de venir finir sa vie dans ce « country club du troisième âge ». Mais ça, on le comprend, c'était quand Ruth avait encore toute sa tête. Lorsque son fils Steve vient la chercher chez elle et l'emmène définitivement, elle est désorientée, son caractère farouche resurgit et une forme de fragilité s'installe. La réalité lui apparaît à travers le filtre d'un cerveau qui ne reconnecte plus les choses correctement.
Dans cet univers nébuleux, Ruth est traversée d'éclairs de colère, de lucidité aussi. Sa bonne éducation et son intelligence n'ont pas disparu. Elle a de l'humour. Elle rit en observant ses comparses s'agiter avec le masque de réalité virtuelle qu'on leur a proposé lors d'un atelier. La vie est drôle quand on a 87 ans. Elle a du caractère, refuse une part de gâteau : « Je ne veux pas perdre ma ligne pour l'anniversaire de quelques vieux schnocks », dit-elle en souriant à cet homme sympathique venu lui rendre visite. Son fils.
La réalisatrice s'attarde aussi sur le visage de Ruth qui s'illumine devant lui. Elle ne le reconnaît plus mais son corps dit le contraire.
Arizona Distribution
Steve marche sur des œufs. Il est ce que nous sommes devant nos proches qui peu à peu perdent la tête. Tiraillé, maladroit, interdit. Son amour pour sa mère se lit dans son regard triste lorsque cette dernière lui demande qui il est. Mais la réalisatrice s'attarde aussi sur le visage de Ruth qui s'illumine devant lui. Elle ne le reconnaît plus mais son corps dit le contraire. Et surtout Ruth n'a pas dit son dernier mot. Au médecin, elle récite la recette du bortsch jusqu'au trait de vinaigre à apporter en touche finale. Et on estime qu'elle perd la tête ? Elle va dans la cuisine et se met à préparer les petits-déjeuners. Elle résiste, elle vit à fond.
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Sarah Friedland filme avec une infinie délicatesse ce que la société appelle encore et toujours à tort un naufrage. Dans une scène, Ruth flotte dans la piscine, elle entend la voix de sa mère qui lui dit de sortir de l'eau, réminiscence d'une enfance qui n'a jamais été aussi proche dans cet état de vulnérabilité et de curiosité mêlées. C'est celui du grand âge que Sarah Friedland dépeint et documente tout à la fois sans jamais céder à l'angélisme ou au pathétique. Il s'agit de vivre.