08-07-2025
Comment remporter un match de judo contre Uber
Une nouvelle étude montre qu'Uber, cette entreprise qui n'a jamais impressionné personne par ses pratiques éthiques, a trouvé un (autre) truc de coyote pour empocher encore et toujours plus d'argent.
Ceci est l'histoire d'une nouvelle déprimante qui, à première vue, donne le goût de chanter : « Allez, hop ! Un peu de sincérité. Le monde est à pleurer ».
Mais qui, transformée par les bons soins de la chercheuse Catherine Beaudry, de Polytechnique Montréal, finit par ouvrir des horizons et donner le goût de rêver. J'ignore si la professeure Beaudry pratique le judo, mais disons que j'admire sa capacité à utiliser la force de l'adversaire comme effet de levier.
Mme Beaudry, une spécialiste de l'innovation, m'a envoyé récemment une étude émanant de l'Université d'Oxford qu'on pourrait qualifier de décourageante1. Elle montre qu'Uber, cette entreprise qui n'a jamais impressionné personne par ses pratiques éthiques, a trouvé un (autre) truc de coyote pour empocher encore et toujours plus d'argent.
Celui-ci tourne autour de la tarification dynamique – cette fonction qui fait en sorte que vous payerez une fortune pour commander une voiture un 31 décembre au soir, par exemple, lorsque toute la ville cherche à se déplacer.
En surface, il s'agit d'une simple et brutale application de la loi de l'offre et de la demande. Quand tout le monde cherche un taxi, les prix montent. Logique. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est qu'en analysant pas moins de 1,5 million de trajets réalisés par 258 chauffeurs à Londres, en Angleterre, les chercheurs d'Oxford ont découvert que les chauffeurs ne bénéficient aucunement de cette augmentation de prix.
Au contraire : depuis l'apparition de la tarification dynamique, la paye moyenne des chauffeurs d'Uber a diminué. Leurs revenus sont également devenus moins prévisibles et le temps d'attente entre deux courses a augmenté.
À qui profite la tarification dynamique ? À Uber, bien sûr, qui soutire en moyenne 38 % plus d'argent de chaque heure travaillée par ses chauffeurs. Pour une plateforme censée s'inscrire dans « l'économie du partage », disons que l'entreprise californienne a une curieuse conception du partage des profits.
Les conclusions en provenance de Londres sont-elles généralisables aux autres villes où Uber fait des affaires ? « Je ne peux confirmer que l'algorithme fonctionne de la même façon partout, mais je serais surpris que ce soit très différent », m'a écrit l'un des auteurs de l'étude, le professeur Reuben Binns. Il observe par ailleurs que les chauffeurs d'Uber sont beaucoup mieux payés lorsque le service débarque dans une ville, et que leur situation se dégrade ensuite. Ça aussi, c'est troublant.
Je précise que les conclusions des chercheurs ont été publiées sur le site ArXiv et n'ont pas encore été révisées par les pairs.
« La population a le droit de savoir qu'elle se fait avoir si elle veut pouvoir faire des choix éclairés », m'a écrit Catherine Beaudry.
PHOTO CAROLINE PERRON, TIRÉ DU SITE DE POLYTECHNIQUE MONTRÉAL
Catherine Beaudry
Elle a raison, d'où cette chronique. Vous voilà informés.
J'ai quand même continué d'échanger avec Catherine Beaudry.
Elle m'a fait remarquer qu'on ignore trop souvent les coûts sociaux et environnementaux des choix que nous faisons.
Elle me donne l'exemple de Google Maps ou de l'application Chrono, développée par l'Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). Ces outils nous disent comment nous rendre du point A au point B en voiture, en transports en commun, à vélo ou à pied.
« Mais il manque l'information sur les coûts socio-environnementaux et économiques », souligne-t-elle.
« Je rêve un peu », prévient la chercheuse (et qui le lui reprochera ? Il me semble qu'on a bien besoin de rêver).
« Mais il suffit d'une bonne base de données derrière une application pour développer un indice socio-environnemental et économique », estime-t-elle. Imaginez par exemple un code de couleur qui vous indiquerait à quel point les options qui s'offrent à vous sont bénéfiques ou nocives pour la société.
« Je ne sais pas combien de dizaines, voire de centaines d'applications ont été proposées au gouvernement pendant la COVID-19, rappelle-t-elle. Je suis certaine que nous avons la capacité de développer une telle application sans que ça coûte le milliard de SAAQclic ! » Elle dit rêver d'un marathon de programmation pour stimuler la recherche de solutions.
Je ne sais pas pour vous, mais je trouve ses idées inspirantes. Nous sommes plusieurs à vouloir faire les meilleurs choix possibles non seulement pour nous, mais aussi pour la société. Mais le monde est complexe et nous avons besoin d'aide pour y voir clair.
Presque tout le monde trimballe aujourd'hui un téléphone supposément « intelligent » dans ses poches. L'intelligence artificielle se développe à toute vitesse.
Au lieu d'applications conçues pour nous faire consommer plus, pourrait-on développer des applications qui nous font consommer mieux ?
Imaginez un outil qui nous aiderait à comparer les GES par gramme de protéine associés au kilo de bœuf et à la brique de tofu à l'épicerie, par exemple. Ou à évaluer l'impact des fraises québécoises par rapport aux fraises californiennes.
« Absolument ! », s'exclame Catherine Beaudry, qui m'informe qu'à Polytechnique Montréal, un indice permet maintenant d'évaluer l'empreinte carbone des plats servis à la cafétéria. C'est bien la preuve que ça se fait. Une application, Yuka, fournit d'ailleurs l'impact sur la santé des produits alimentaires et cosmétiques par une simple lecture du code-barres avec un téléphone.
Comme les clients de la cafétéria de Poly, les utilisateurs d'Uber bénéficieraient grandement d'une application qui leur dirait, par exemple, que l'argent qu'elle verse à l'entreprise n'ira pas dans les mêmes poches (ni dans les mêmes proportions) que celui que vous donnez à votre chauffeur de taxi.
Alors, au lieu de simplement déplorer la cupidité d'Uber, on s'en inspire pour essayer de changer (au moins un peu) le monde ?
1. Consultez l'étude émanant de l'Université d'Oxford (en anglais)
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