31-07-2025
À la vie, à la mort : Pierre Goldman et Christiane Succab, l'histoire d'amour fulgurante et passionnée
La trajectoire de Pierre Goldman fut aux antipodes de celle de son petit frère Jean-Jacques – «JJG» pour les intimes – star internationale et icône sage de la variété française. L'un a en effet chanté toute sa vie sous les projecteurs. L'autre, plus revanchard, a choisi le chemin des rues, de la révolution et du communisme, quitte à emprunter la voie du banditisme. Le 20 décembre 1969, à 25 ans, après des mois à vivre de petits larcins dans la capitale française, son destin bascule. Lors d'un braquage boulevard Richard-Lenoir, à Paris, deux pharmaciennes sont abattues. Pierre Goldman est mis en examen. En 1974, soit cinq ans plus tard et tandis qu'il clame son innocence, il est condamné à la perpétuité par la cour d'assises de la Seine, sous les yeux de son frère, présent au moment du verdict.
Mais dans Le Procès Goldman, huis clos réalisé par Cédric Kahn en 2023, un autre personnage était assis ce jour-là dans la salle : Christiane Succab. Dans la réalité, elle n'y était pas, comme elle le précisait dans un long entretien au Monde sorti l'année du film, où elle dit sa vérité. Elle n'y était pas, mais elle aurait pu. Elle aurait dû, même. Car c'est elle qui a redonné de l'espoir à l'aîné de la fratrie Goldman. C'est pour elle, pour leur enfant à naître, que Pierre aura finalement décidé de se battre.
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Une rencontre d'avant les drames
Pierre Goldman en 1976 au tribal d'Amiens.
AFP
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Christiane Succab naît en septembre 1948 en Guadeloupe, fille de deux instituteurs. En 1965, elle a 17 ans lorsqu'elle débarque à Paris avec ses parents qui doivent assurer une mission d'un an avant de retourner au pays. Sa sœur étudie alors à la Sorbonne et fréquente le milieu militant de gauche. C'est en traînant avec elle qu'elle entend pour la première fois parler de Pierre Goldman, via Roland Girard, l'un de ses proches. Elle le croise au café Le Champo, point de rendez-vous des étudiants en lutte contre les «fachos». Elle s'attendait à quelqu'un de drôle. Mais ce dernier ne l'est pas. «Il ne me plaît pas, se souvient-elle encore dans les colonnes du quotidien. Puis je rentre en Guadeloupe. Je reviens à Paris en octobre 1969, où je m'inscris en licence d'espagnol à Censier.»
À cette époque, elle a alors 21 ans. Lui, qui approche les 25, revient de Cuba, du Venezuela, de mois passés dans les rangs des mouvances révolutionnaires. Ils se revoient alors au cours d'une soirée et une complicité naît. «Il se passe quelque chose de très profond. Je suis son interlocutrice, pas une fille qu'on fait danser.» Tous deux partagent une passion commune pour Cuba, et un idéal politique. «Il me raccompagne au premier métro, je rentre à la cité universitaire à Fontenay-aux-Roses, je sais qu'il va m'appeler.»
Les silences de l'éclipse
Des manifestations à Paris en soutien à Pierre Goldman après son assassinat en 1979.
GABRIEL DUVAL / AFP
L'histoire d'amour, celle entre «une négresse et un blanc», comme elle le raconte elle-même, loin des mœurs de l'époque, commence ici. En 1970, lorsque Pierre Goldman est arrêté et inculpé du meurtre des pharmaciennes, Christiane est «incrédule, choquée». «Pierre et moi, nous nous sommes créé un monde à nous, dans une langue faite de français, de créole, qu'il parlait à la perfection, et d'espagnol. En même temps, je sentais bien que c'était quelqu'un qui n'allait pas bien, qui était douloureux.» Au moment de son arrestation, elle se souvient de ce sac rempli de linge sale, qu'il lui avait un jour laissé, chose inhabituelle pour lui qui était «toujours si propre».
«J'apprends un peu plus tard, en avril 1970, qu'il a été arrêté et inculpé du meurtre de deux femmes. Pour moi, c'est la fin du monde. En même temps, je suis très en colère contre lui», apprend-on encore. Terrifiée, la jeune femme sera malmenée par la police, menacée. «Ils me disent qu'ils vont dire à mes parents que je fréquente la pègre. Ils me font dire des choses dont je ne mesure pas à quel point elles peuvent se retourner contre Pierre. Ils me demandent d'authentifier le sac qui était chez moi, ce que je fais, sauf que s'y trouve, comme par hasard, un imperméable qui n'a jamais été dedans, ce que je signale à ceux-là mêmes qui l'y ont mis...» L'accusation est accablante, alors le piège se referme, et le couperet tombe. Si Christiane reste persuadée de l'innocence de son amant, elle prend ses distances. Voilà qu'il est mis en prison et que l'histoire s'achève.
On s'écrit tous les jours, j'obtiens un droit de visite. Je plaque tout pour le défendre Christiane Succab-Goldman dans les pages du «Monde»
Tandis qu'en 1974, Pierre Goldman est condamné à perpétuité, Christiane, entre-temps, a poursuivi son existence à l'extérieur de la prison de la Santé, à Paris, et s'est mariée. Mais lors d'un rassemblement en soutien au détenu, elle apprend qu'on peut écrire à Pierre. Alors elle lui écrit. Et il répond. Le début des retrouvailles. À partir de là, Christiane envoie des missives au détenu quotidiennement et «très vite, tout se remet en place». Si Pierre Goldman n'a pas voulu se défendre lors du premier procès, il vient de retrouver l'amour et commence à fantasmer à nouveau à sa liberté. «Il me dit qu'il veut enfin vivre, qu'il va se défendre et qu'il va le faire pour moi, que je devrais divorcer puisque je n'ai pas d'enfant et l'épouser. On s'écrit tous les jours, j'obtiens un droit de visite. Je plaque tout pour le défendre, être à ses côtés.» Deux ans plus tard, en 1976, Pierre est acquitté ; trois mois après, le couple se marie et emménage dans un appartement en région parisienne, période intense de réinsertion. «Pierre est sorti heureux mais brisé», reprenait-elle pour le Monde en 2023. Pendant son incarcération, le fils de Alter Moshe Goldman et Ruth Ambrunn s'était rapproché du judaïsme. À bout, il aimait parfois se couvrir la tête du châle de prière d'un rabbin rencontré en prison.
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Un souvenir trahi
Trois années passent avant que Christiane ne tombe enceinte de leur fils Manuel, le premier et l'unique - aujourd'hui rappeur, connu sous le nom de Riski – qui naît le 26 septembre 1979 à Paris, sans jamais avoir connu son père. Six jours avant sa naissance, Pierre Goldman est assassiné en pleine rue, à Paris. Six balles dans le dos. À 35 ans. «J'étais à la clinique durant l'enterrement avec le nouveau-né qu'il avait tant désiré mais qui ne connaîtrait jamais son père. Quand j'en suis sortie, l'appartement était sous scellés.» Après quoi Christiane tentera de survivre, pour lui et pour le garçon. elle y parviendra, devenant journaliste radio sur France Culture, à l'initiative de l'émission littéraire «Antipode» en 1983. Puis, toujours très engagée politiquement, en écrivant et réalisant plusieurs films, dont nombreux sont consacrés à l'histoire antillaise et à la condition noire (Les Descendants de la nuit ; À Bamako, les femmes sont belles).
Aujourd'hui, Christiane Subbac -Goldman a 76 ans et a apprivoisé son deuil et sa souffrance. Mais quand le film Le Procès Goldman est sorti, en septembre 2023, elle explique avoir ressenti une double trahison. D'abord sur les inexactitudes du récit - rappelons qu'elle a assigné le réalisateur et le producteur du long-métrage dans une demande qui a depuis été rejetée. Ensuite pour la date de sortie, le 27 septembre, lendemain de l'anniversaire de la mort de Pierre Goldman. «Depuis quarante-quatre ans, je fais d'un anniversaire une fête, sans penser à la mort. Et c'est cette date-là, précisément, qu'ils choisissent», dira-t-elle encore. Restée dans le silence pendant des décennies avant cela, elle rappelait alors l'histoire d'amour derrière le drame. L'histoire d'une famille brisée et pudique.
Dans Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France, son autobiographie écrite en prison, sortie en 1975, Pierre Goldman livrait ces mots à celle qui l'avait ramené à la vie : «Au terme de ce récit, je devrais me tuer, expier cette révélation où j'ai dû m'écrire afin de sauver ma vie d'une accusation fausse et infamante. Je ne le fais pas : mon désir de liberté est principalement inspiré par l'amour d'une femme. Elle m'a ramené dans la vie. Je veux l'y rejoindre. Sinon, le calvaire de l'innocence perpétuelle et recluse m'eût parfaitement convenu.»