11 hours ago
Rencontre avec Claire, 12 ans dans le peloton, ardoisière du Tour de France : «L'Alpe d'Huez, avec le public c'était l'enfer»
UN JOUR, UN MÉTIER - Tout au long du Tour de France, Le Figaro va à la rencontre de ceux qui font le Tour à l'ombre des coureurs.
De la pluie et le vent du Nord. Calée à l'arrière de sa moto, Claire Pédrono a affronté les éléments dimanche en début de deuxième étape entre Leuwin-Planque et Boulogne-sur-Mer. L'ardoisière du Tour de France, qui couvre sa douzième édition, en a vu d'autres. «Ça fait partie des inattendus surtout en juillet mais quand il pleut, je me débrouille. J'écris les écarts au dernier moment pour que cela ne dégouline pas. Ce n'est pas marrant mais je redoute davantage le froid», explique celle dont la mission consiste à donner les écarts entre les échappés et le peloton lorsque ceux-ci dépassent les trente secondes.
À découvrir Le classement du Tour de France 2024
Ses outils de travail se résument à quelques craies glissées dans la poche et sa fidèle ardoise. Grâce à trois motos qui calculent régulièrement les écarts qui lui sont communiqués par radio, elle est le plus fidèle baromètre de ceux qui ont pris la poudre d'escampette et le gros des troupes à leur chasse, tout en faisant le yo-yo entre les deux parties. Un coup d'éponge, quelques chiffres à la craie et le tour est joué. À l'heure du tout technologique, on n'a pas trouvé plus efficace. «C'est plus fiable que les GPS», assure la Morbihannaise qui a fait preuve d'une sacrée audace il y a quinze ans pour décrocher cette mission.
Publicité
Un coup de bluff face au patron du Tour de France... qui lui a donné sa chance
« J'y suis allée au culot en me plantant devant Christian Prudhomme avec mon CV et ma lettre motivation. Je lui ai dit, je n'ai aucun contact ni réseau mais je suis prête à tout prendre comme job pour travailler sur le Tour de France.» Banco ! Le grand patron de la Grande Boucle accepte de la tester sur le Tour de Picardie. Au bluff : «Je n'étais jamais montée sur une moto mais je n'ai rien dit....» La Bretonne passe le test sans encombre et accède au poste ô combien convoité dans la caravane. «Je suis une privilégiée car je suis au contact des coureurs, très proche d'eux, tout au long de l'étape. Je perçois leur douleur, leur souffrance et les efforts», reconnaît-elle avec le sentiment d'être au cœur du réacteur. «Je vois parfois les attaques se préparer dans le secret. Une année, j'ai remarqué les échanges des coureurs d'Europcar au milieu du peloton. J'ai tout de suite repéré et j'ai glissé à ma moto : "Tu vas voir, ils vont attaquer" et ça n'a pas loupé, quelques instants après, ça partait. C'était génial.»
Claire Pédrono avec les échappés
Billy Ceusters/ASO
Au fil des années, Claire s'est fait un nom dans le peloton. Le visage de cette cycliste expérimentée est devenu familier aux coureurs. «Il m'arrive d'échanger avec eux, confie-t-elle. Pogacar, Cavendish ou Alaphilippe avaient pris l'habitude de me voir mais en dehors de l'étape je respecte leur bulle. Ils sont déjà super-sollicités par les médias, je ne vais pas les embêter.» Sauf quand elle ose aller demander une photo sur les Champs-Élysées à Tadej Pogacar avec son bambin. On est en 2022 sur les Champs-Élysées et Vingegaard vient d'être sacré. «Il a été super sympa alors qu'il avait été battu. Ça m'a beaucoup touché», pose-t-elle.
Un coureur français lui fait une remarque désagréable
Des moments moins gais il y en a eu aussi. Lorsqu'un coureur français dont elle tait le nom lui balance une remarque désagréable en pleine étape. «Il voulait que je reste davantage avec lui mais il y avait quinze minutes d'écart avec le peloton et je devais faire la navette. Il s'est excusé après et depuis on entretient de bonnes relations», sourit la native d'Auray qui, en dehors de cette parenthèse enchantée sur la Grande Boucle, accompagne les entreprises dans le secteur bancaire.
Une peur, être en panne et bloquer le peloton
Sa hantise, c'est surtout de rester bloquée sur la route, victime d'une panne à l'arrière de sa moto, «Ça a failli arriver une fois», reprend-elle. Il y a aussi le public aussi, souvent bienveillant, parfois indiscipliné : «J'ai toujours échappé aux projections d'urine mais je sais que ça arrive... Il y a aussi la montée des cols parfois. En 2022, la montée de l'Alpe d'Huez c'était l'enfer, le me suis levée à l'arrière de la moto pour écarter la foule. Ce n'était pas mon job mais j'étais obligée.» Elle s'était un peu écartée de sa mission aussi lorsque sur son premier tour, elle avait encouragé le Belge Philippe Gilbert dans le dur. «On m'a bien fait comprendre qu'il ne fallait pas le faire, sourit-elle. C'était juste de l'empathie car j'ai l'impression qu'ils me partagent un peu de leur souffrance et quand un échappé n'en peut plus et lâche prise, ça prend aux tripes, forcément.»
Elle travaille sur ses jours de congés
Après plus de 3300 km à travers la France tous les étés, cinq heures par jour à jouer les contorsionnistes même si elle assure que sa place à l'arrière de la moto est confortable, Claire termine cassée. Hachée menu. «Je finis chez l'ostéopathe après l'arrivée.» Mais rien à voir avec l'édition de son bizutage quand elle avait terminé malade la troisième semaine, le ventre en vrac : «Ils ont voulu me remplacer. J'ai fini vraiment esquintée mais j'ai tenu parce que j'étais la première femme à faire ce travail. Je savais que j'étais attendue, j'avais trois interviews le matin et autant le soir ! Je n'ai pas lâché», souffle celle qui ne laisserait sa place pour rien au monde même cela lui coûte de poser quatre semaines de congés pour être sur le Tour de France (et une supplémentaire pour couvrir Paris-Nice en mars). «C'est ce qui s'appelle une passion dévorante», conclut-elle.