3 days ago
Quand l'intelligence artificielle s'invite dans la préparation des clubs de foot
À l'image du Real Madrid, qui a intégré les fondateurs d'une start-up utilisant l'IA à son staff, des clubs misent désormais sur une analyse ultra-pointue des datas pour optimiser leur préparation physique et mieux prévenir les blessures.
Deux ou trois blessures en défense et c'est tout un onze qui déraille. Vainqueur de la Ligue des champions et de la Liga quelques mois plus tôt, le Real Madrid a ainsi vu sa saison 2024-2025 basculer quand Dani Carvajal et Éder Militao ont connu une rupture d'un ligament croisé d'un genou, à l'automne.
Les pépins physiques se sont ensuite accumulés et ont énormément fait parler dans la capitale espagnole. Au point de pousser Xabi Alonso, nommé fin mai, à agir en profondeur ? Si le nouveau coach n'a pas tout révolutionné - le Français Sébastien Devillaz, membre du pôle préparation physique de Carlo Ancelotti, a par exemple été confirmé dans ses fonctions -, il a recruté deux éléments qui ont, eux aussi, fait du bruit.
Appareil photo spécial
« Que viennent faire deux fondateurs d'une start-up dans le staff de la Maison Blanche ? » pouvait-on lire ici ou là, en Espagne. Javier Arnaiz et Ismael Fernandez font partie des créateurs de ThermoHuman et arrivent pour prévenir les blessures. Ou, en tout cas, tenter de le faire. Avant de reprendre l'entraînement en fin d'après-midi, lundi dernier, Kylian Mbappé et ses coéquipiers sont ainsi tous passés devant un appareil photo un peu spécial.
Celui-ci permet, via la thermographie, d'analyser la température de la peau et de détecter une éventuelle asymétrie (différence de chaleur) entre deux zones du corps. Dans la foulée, un logiciel boosté à l'intelligence artificielle effectue le reste. Sur la base de nombreuses données ingérées au fil du temps, il permet d'identifier un risque de pépin physique. ThermoHuman a été lancée en 2015 et a, depuis, été utilisée par plusieurs clubs parmi lesquels... le Bayer Leverkusen, ancien employeur d'Alonso, Aston Villa ou l'OGC Nice.
Zone de surcharge
Iuri Annecchiarico, coach individuel qui accompagne notamment Kalidou Koulibaly et coutumier des appareils thermiques, permet d'y voir plus clair : « Il ne faut pas se méprendre, il ne s'agit pas d'un outil de diagnostic, mais cela donne de bonnes indications. Tu vas pouvoir estimer qu'une zone est en surcharge, qu'il y a un déséquilibre à tel ou tel endroit, alors que notre but à nous est toujours d'être dans une forme de symétrie. Et le gros plus, c'est qu'auparavant, on rentrait nos données à la main. Eux (ThermoHuman) proposent le logiciel qui va avec et qui permet de tout traiter instantanément, de comparer et de donner des indications grâce à l'IA. »
Un outil capable d'individualiser les charges de travail comme jamais et qui représenterait donc une petite révolution ? « Ce sera un indicateur parmi d'autres, nuance un habitué de Valdebebas, le centre d'entraînement du Real. Ici, tu as accès à tout ce que tu veux, il y avait déjà des technologies très performantes. Si c'était vraiment miraculeux, tous les meilleurs clubs l'utiliseraient. » Un salarié indique toutefois que le staff va gagner du temps grâce à Arnaiz et Fernandez « car, en matière de données, la quantité ne vaut rien s'il n'y a pas les compétences en face ni la capacité à bien interpréter ».
Tous les connaisseurs s'accordent sur un point : pour les clubs qui ont accès à un nombre incalculable de données, l'enjeu est désormais d'être capable « d'entrer » dans le corps du sportif, de mesurer sa forme de la façon la plus précise possible. Demander à un joueur son degré de fatigue ou de douleur sur une échelle de 1 à 10 semble appartenir au passé. « Avec ces méthodes, on pouvait vite commettre des erreurs, acquiesce Annecchiarico. Le mec pouvait te donner un chiffre basé sur ce qu'un coéquipier avait dit avant lui, bluffer un peu. »
« Prédire entre 70 et 80 % des blessures sans contact »
Antoine Lemaire, créateur de la start-up Omen Performance
Actuellement, les clubs qui misent sur la data et/ou l'IA n'ont, au contraire, qu'une obsession : repousser tous ces biais au maximum, objectiver la prise de décision. C'est ce qui a poussé Antoine Lemaire a lancé Omen Performance, après plusieurs expériences dans des clubs de Ligue 2 en tant que kiné. « Prédire l'invisible, prévenir l'inévitable » : telle est la devise de cette start-up dont l'application se base, elle, sur les données GPS.
Guider et appuyer des choix
« On voulait être capable de donner une image de l'état de santé du joueur à un instant T, grâce aux déplacements précédemment accumulés en match et à l'entraînement. Ce sont la distance totale parcourue, les courses à haute intensité, celles réalisées entre 20 et 25 km/h et tout un tas de données du genre... »
Aujourd'hui, via des écarts types et quelques datas supplémentaires dont Lemaire se gardera de parler - secret industriel oblige -, l'entreprise indique être capable de « prédire entre 70 et 80 % des blessures sans contact ». Mais, attention, « on n'est pas là pour dire qu'on prend les meilleures décisions, poursuit son fondateur, plutôt pour guider et appuyer des choix ».
De quoi susciter la curiosité de clubs de Ligue 1 avec qui Omen Performance a commencé à discuter. « Quand tu achètes des joueurs et qu'ils ne peuvent pas jouer, la pression se fait vite sentir, conclut ce membre d'un staff du top 8 européen. C'est ce qui pousse à investir dans les nouvelles technologies. » Dans le football aussi, l'IA semble avoir de beaux jours devant elle.