09-07-2025
Les seigneurs des anneaux lumineux
Les enfants d'aujourd'hui ne rêvent plus de devenir astronautes, pompiers ou même médecins, mais bien des youtubeurs ou des tiktokeurs, un signe que les influenceurs gravitent dans nos sphères numériques depuis plus d'une génération.
C'est pourquoi la minisérie documentaire Créateurs d'influence, en ligne depuis mardi dans la section Vé de l'Extra de de Radio-Canada (oui, c'est long à écrire), débarque très – ou trop ? – tard dans l'explication du « phénomène » de ces personnalités qui gagnent exclusivement leur vie sur des plateformes comme TikTok, YouTube, Twitch et Instagram.
Si vous connaissez les univers d'Élisabeth Rioux, Claudie Mercier, Lysandre Nadeau ou Laurent Dagenais, vous n'apprendrez rien de croustillant dans les quatre épisodes de 30 minutes de Créateurs d'influence, que coaniment Patricia Paquin et Anne-Lovely Etienne.
En fait, cette minisérie s'adresse aux téléspectateurs qui partent presque de zéro en littératie numérique et qui prennent sûrement des photos avec leur iPad. C'est quoi un algorithme, déjà ?
Le premier épisode commence avec le témoignage de Florence, 10 ans, la fille de Patricia Paquin et Louis-François Marcotte, qui idolâtre la danseuse québécoise Enola Bédard, suivie par 17 millions de personnes sur TikTok. C'est un chiffre gigantesque, évidemment, mais il n'y a pas 147 Enola Bédard au Québec, il n'en existe qu'une seule.
Le succès éclatant d'une Enola Bédard ou celui de Cocotte (Arianne Vallières), une star de 25 ans de Twitch, jette des étincelles dans les yeux de leurs abonnés, qui s'imaginent, eux aussi, pratiquer ce métier de rêve, soit bricoler des vidéos ludiques pour ensuite engranger des montagnes de dollars. Un iPhone Pro Max, un anneau lumineux et hop ! la gloire, les clics et les commandites.
Ce qui ne représente pas la réalité, car moins de 2 % des créateurs sur TikTok gagneraient plus de 100 000 $ par année. Ces revenus proviennent majoritairement d'entreprises qui paient pour que les influenceurs vantent leurs dosettes de café, leurs pantalons de soie ou leur service de livraison de bouffe.
Il a longtemps été de bon ton de ridiculiser les créateurs de contenu, surtout ceux qui vapotent dans un avion de Sunwing ou qui exposent leur routine du matin qui dure quatre heures. Get ready with me, guys !
La minisérie Créateurs d'influence prouve que ce discours a beaucoup évolué depuis la création de YouTube, en 2005. Par exemple, la vlogueuse Aly Brassard, qui se spécialise dans le contenu humoristique sur TikTok (642 000 abonnés), injecte environ 60 heures de travail dans une vidéo YouTube de 40 minutes à peine.
Pour alimenter tous ses réseaux, l'instavidéaste Cocotte compte sur l'aide de six monteurs vidéo, d'une agente, d'une graphiste, d'un créateur de vignettes et d'un assistant personnel. Une vraie petite PME à elle-même.
Bien sûr, les influenceurs ressentent une forte pression à filmer chaque moment de leur vie quotidienne, question de nourrir cette bête à plusieurs têtes, qui ne carbure qu'à la nouveauté. Dès qu'elle prend une semaine de vacances, les statistiques de visionnement de Cocotte, vedette de Twitch, dégringolent. Il faut alors regagner l'attention des consommateurs perdus ou volages, qui n'hésitent pas à se désabonner à la moindre contrariété.
Épuisés par ce rythme de production effréné, plusieurs créateurs vont « crash », pour reprendre leur jargon, et ces « burnout numériques » sont de plus en plus documentés et pris au sérieux.
Au deuxième épisode de la série, le créateur de contenu autochtone Xavier Watso dévoile son truc pour que ses vidéos accèdent au statut tant convoité de viralité : il « call out » – il dénonce – des gens ou des entreprises qu'il juge inadéquats. C'est ce qui génère le plus de bourdonnement sur les réseaux : les chicanes publiques, le drame et les scandales.
En tant qu'influenceur à temps plein, Xavier Watso a triplé son (ancien) salaire d'enseignant. À la coanimatrice Anne-Lovely Etienne, Xavier Watso révèle avoir signé, en une seule année, pour près de 300 000 $ en contrats publicitaires avec des commanditaires tels Tim Hortons, Desjardins ou IGA.
La popularité des créateurs numériques a évidemment bousculé les médias traditionnels, qui n'hésitent plus à les embaucher pour rajeunir leur audience. Depuis 2021, la téléréalité Big Brother Célébrités a notamment recruté Lysandre Nadeau, Zoé Duval, PL Cloutier, Gabrielle Marion, Emy Lalune et Pascale de Blois, des visages moins connus des clients habituels de Noovo, mais des vedettes dans leur coin du web. Et leur intégration s'est très bien déroulée.
Formée sur YouTube, l'animatrice Chloée Deblois s'est même retrouvée à Sortez-moi d'ici ! cette année aux côtés de Gino Chouinard, un pur produit de la télévision conventionnelle. Les chapelles se brisent et les frontières médiatiques s'effacent tranquillement.
Il y a même des personnalités du showbiz qui abandonnent la télé et la radio pour se consacrer uniquement à leurs balados, comme Marie-Claude Barrette ou Marie-Christine Proulx.
Ce n'est plus nécessairement une promotion que de traverser à la « vraie » télévision, comme ce n'est plus une rétrogradation que de retourner sur YouTube. L'anneau lumineux acheté sur Amazon brille pour tout le monde. Voici d'ailleurs mon code promo pour l'acheter à prix réduit pendant l'évènement Prime Day.