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Evgeny Kissin, un humaniste du clavier au Verbier Festival
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Pour son premier concert de l'été en Valais, le pianiste mêlait la chaleur réconfortante de Bach aux inquiétudes glacées de Chostakovitch. Publié aujourd'hui à 13h35
Féru de poésie en plus de la musique, Evgeny Kissin est un conteur hors pair.
Verbier Festival
En bref:
C'est un artiste de légende qui n'a plus grand-chose à prouver. Et pourtant, lorsqu'il surgit des coulisses, Evgeny Kissin marche à pas rapides vers son piano, comme s'il bouillonnait d'impatience de partager son programme avec le public. Ce lundi 21 juillet, à la salle des Combins du Verbier Festival, le virtuose de 53 ans salue l'auditoire avant de se jeter goulûment sur la «Seconde Partie» de Bach qui ouvre son récital.
«Je n'aime pas Bach, cela sonne comme une machine», avait soufflé juste à côté de nous une spectatrice. Pas sous les doigts de Kissin. Le natif de Moscou aujourd'hui naturalisé britannique et israélien, comptant parmi les derniers grands représentants de l'école soviétique de piano, a toujours en lui cette jubilation typiquement russe de jouer le «Cantor de Leipzig».
Loin de toute monotonie, de toute mécanique trop ostensiblement décortiquée, le pianiste livre un Bach solaire et gouleyant, plein d'arches narratives captivantes, véritable célébration de la vie qui regorge de toute la science des timbres de Kissin.
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Les quelques «Nocturnes» de Chopin qui suivent rappellent à quel point l'artiste fut très tôt un immense interprète du compositeur polonais. Avec sa manière bien à lui de sculpter ces pièces: ce rubato parfois très appuyé, cette dimension extravertie du propos, déjà très présents dans sa célèbre gravure des «24 préludes», ne conviendront peut-être pas aux auditeurs préférant un Chopin de la pudeur et du non-dit, comme le concevait Arthur Rubinstein. Un piano prophétique sur Verbier
De retour après l'entracte, Evgeny Kissin voue ce dernier volet à Chostakovitch , commençant par la «Seconde sonate pour piano», une œuvre rare que le compositeur soviétique écrivit en 1943 dans une période de tourments et de deuil. Au premier mouvement, riche en harmonies évoquant le Prokofiev de «Roméo et Juliette», succède un mouvement lent hanté de plaintes aux couleurs «scriabiniennes.»
C'est finalement dans l'ultime mouvement que Chostakovitch s'y fait le plus «chostakovitchien», déballant un carnaval de masques grimaçants. Même sens du tragique dans les deux pièces tirées des «24 préludes et fugues» de 1950, notamment la dernière, aux échos d'orgues apocalyptiques. Distancié de la Russie actuelle et de ses errances «fachistoïdes», Kissin fait clairement passer un message avec son engagement total dans ces opus tragiques, nés du sang, des larmes et des sueurs froides générés par la répression communiste.
D'ailleurs enhardi par les acclamations du public, Evgeny Kissin livrera en second bis un superbe «Deuxième Scherzo» de Chopin, peut-être le moment où l'artiste s'abandonna le plus lors de cette soirée. La «standing ovation» sismique, qui suivit cet instant montre que le public a eu conscience d'un véritable don de soi.
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Nicolas Poinsot est journaliste à la rubrique culture et société. Auparavant, cet historien de l'art de formation a écrit pendant plus de dix ans pour le magazine Femina et les cahiers sciences et culture du Matin Dimanche. Plus d'infos
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