20 hours ago
Faut-il être féministe pour entraîner des footballeuses?
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Les hommes continuent d'être majoritaires sur le banc des équipes féminines. Ils en ont le droit et leurs compétences sont bienvenues. Mais comment penser et se comporter pour bien faire? Publié aujourd'hui à 09h16
Sélectionneur du Portugal, Francisco Neto est l'un des huit coachs hommes à diriger une équipe lors de l'Euro 2025. Huit femmes occupent la même fonction durant le tournoi.
KEYSTONE
En bref:
Leur équipe, leurs règles. Eric Sévérac dirige à l'époque son tout premier entraînement à Servette Chênois. On est en 2017. Pour débuter, il propose alors à ses nouvelles joueuses un exercice qui challenge leur esprit de cohésion: élaborer la charte d'équipe pour la saison à venir.
Des groupes se forment, les discussions vont bon train, l'enjeu n'a rien à voir avec celui d'un match mais il stimule à sa manière les neurones sur le terrain. Eric Sévérac passe d'un rassemblement à un autre, quand l'oreille qu'il tend s'arrête net. «Une joueuse est intervenue auprès de son groupe.» Pour ajouter un point à la charte. «Elle nous a dit que, cette année, c'était hors de question qu'elle doive sucer le coach pour jouer.»
La remarque a huit ans. Cela équivaut à une éternité à l'échelle d'un football féminin qui se métamorphose à vue d'œil. Reste qu'elle en dit trop pour être jetée aux oubliettes. Si le foot est un miroir de la société, alors des gens s'en servent pour abuser de leur position et de leur pouvoir. Autrement dit: des entraîneurs en profitent pour échanger du temps de jeu et de la considération contre des faveurs sexuelles.
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Si les joueuses réclament davantage de femmes pour les diriger, la réalité rappelle que des machistes règnent encore sur les bancs des équipes féminines. Une fatalité quasi mathématique: en Suisse, 90% des coachs sont des hommes .
Ce sont souvent eux qu'on retrouve à la tête des meilleures équipes du pays. Leur sexe n'est pas un défaut. Leurs paroles et leurs actes peuvent l'être. D'où ce questionnement qui mûrit: doivent-ils être féministes pour entraîner convenablement des femmes? En Suisse comme ailleurs, la question sensible de l'égalité dans le football
Ce premier entraînement avec Servette Chênois, cette remarque glaçante sur les dessous des rapports entre femmes et hommes dans le football, Eric Sévérac s'en est servi pour se diriger dans ce monde sensible. «Pour créer une grande histoire avec une équipe en tant que coach, il faut connaître les petites histoires de chaque membre du groupe. Cela signifie entamer un rapprochement. Or, une joueuse peut craindre qu'un rapport de séduction s'installe. C'est évidemment totalement inapproprié dans ce contexte, mais certaines ont vécu des expériences similaires. Pour un entraîneur, c'est un point sur lequel il convient d'être particulièrement attentif.»
Lui se considère comme féministe . Même si le terme s'appuie sur un sens parfois confus. D'autant plus lorsqu'il est ramené au football, domaine où la recherche d'égalité entre hommes et femmes se heurte à des murs. La faute à un versant de la discipline parfaitement implanté dans la culture et brassant des milliards, là où l'autre versant tente d'exister avec des décennies de retard sur l'autre.
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Arnaud Vialatte préfère rester hors de la case féministe. Par prudence. Sur le banc d'Yverdon Sport Féminin, il voit parfois «des joueuses un peu pressées de bénéficier des mêmes conditions que les hommes».
Lui peut bien se plier en quatre, pousser auprès du club pour mettre l'équipe féminine dans les meilleures conditions, tenter d'offrir des entraînements de qualité, ce n'est pas avec sa casquette d'entraîneur-manager qu'il fera tomber sur le compte de ses protégées des salaires similaires à ceux touchés par les hommes d'Yverdon Sport. «Mais c'est bien: leurs revendications nous poussent à sans cesse chercher plus.»
Comme Eric Sévérac, Arnaud Vialatte a d'abord entraîné des hommes avant de basculer vers le football féminin. C'est le schéma dominant. «Maintenant que j'y suis, je détourne toutes les offres de clubs masculins. En tout cas pour le moment. Le retour humain, le lien émotionnel est tellement plus fort et gratifiant avec les femmes.» «Il n'y a pas une bonne façon d'entrer dans le football féminin. Mais une bonne façon d'y rester.»
Son message pourrait faire son chemin. Parce qu'en parallèle de cette expérience nord-vaudoise, le marché du coaching dans le football féminin a tendance à être gangrené par l'opportunisme. «Certains hommes estiment, sans en connaître les ressorts, que c'est plus facile d'entraîner des femmes», remarque un ancien joueur de Ligue nationale.
«Maintenant que le foot féminin gagne en popularité, d'autres le voient comme un tremplin vers celui des mecs», observe Eric Sévérac. Un dirigeant de club romand s'étonne de la difficulté à trouver des coachs alliant enthousiasme et compétences pour ses équipes féminines.
C'est à peine forcer le trait que de dire que les entraîneurs du pays, Reto Gertschen les voit tous passer. Et à ses yeux, «il n'y a pas une bonne façon d'entrer dans le monde du football féminin. En revanche, il existe une bonne façon d'y rester».
Le rôle qu'il occupe à l'Association suisse de football est capital: il est le responsable de la formation des entraîneurs. «Il faut se poser une question lorsqu'on a des vues sur une équipe féminine. Est-ce qu'on veut simplement être de passage, entre deux mandats qu'on valorise comme plus important chez les hommes? Ou est-ce qu'on est prêt à vivre une expérience à part entière, et à s'investir dedans?» Le vestiaire, ce lieu qui échappe à l'entraîneur
Parole de technicien investi, Eric Sévérac a traversé six saisons à Servette Chênois, alors équipe féminine la plus ambitieuse de Suisse. «Je regrette de ne jamais avoir eu d'assistante. Ma femme a en quelque sorte joué ce rôle lorsque je rentrais à la maison. Je la confrontais à ce que je vivais, en profitant que son regard sur la vie d'un groupe de femmes se mêle à mon regard de coach.»
Le Valaisan avait également noué une relation privilégiée avec sa capitaine. «C'est nécessaire. Lorsqu'on n'est pas dans le vestiaire, on manque beaucoup d'épisodes.» Être un bon coach reviendrait donc à savoir se fondre dans un environnement féminin. Comme avec les hommes, le mode d'emploi n'est pas fourni.
Dans ses déclarations médiatiques, Eric Sévérac avait pris l'habitude d'accorder les «nous» au féminin pluriel. Les entretiens individuels, il ne les menait jamais seul, mais avec des témoins. «J'ai remarqué qu'ils pouvaient beaucoup plus vite dégénérer qu'avec les hommes.» Les questions qui peuvent paraître sensibles? Arnaud Vialatte choisit de briser la glace d'entrée de jeu.
«Dès qu'une joueuse signe, on se pose et on discute une heure. C'est l'occasion de mettre le sujet des règles sur la table. Je lui propose de remplir un document avec les dates de ses cycles, et de mentionner le jour où elle a tendance à se sentir le moins bien. Si ce jour-là tombe sur un entraînement, je prends le temps de discuter avec avant la séance. Dans le but de savoir s'il faut adapter son planning.»
Lui résume sa méthode en deux mots: managing collaboratif. «Ça signifie simplement que les joueuses peuvent participer au développement de l'équipe. Par leurs idées, leurs propositions, leurs initiatives.» En soi, considérer les femmes comme des partenaires plutôt que des outils. À l'échelle du football, cela pourrait porter le nom de féminisme.
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Florian Vaney est journaliste au sein de la rédaction sportive de 24 Heures, de la Tribune de Genève et du Matin Dimanche. Formé dans la presse régionale, il suit de près le football suisse, des divisions «des talus» à la Super League. Il s'intéresse aux événements du terrain, mais plus encore aux histoires – belles et moins belles – qui naissent autour. Plus d'infos
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