3 days ago
Kafka, le doute et un jeune cinéaste montréalais
Et si ce qu'on prenait pour la vérité n'était en réalité qu'un tissu de mensonges ? C'est la question qui traverse La république de Kafka, premier roman de Louis St-Pierre qui vient de remporter le prix Robert-Cliche et qui arrive en librairie ce mercredi.
Après un voyage à Prague avec l'UQAM, où il a étudié la réalisation, Louis St-Pierre a bel et bien tourné un court métrage documentaire sur Franz Kafka, comme le narrateur du roman qui atterrit dans la capitale tchèque avec cette intention.
Mais le parallèle avec son protagoniste s'arrête là, précise-t-il en riant. Et même après avoir bouclé son documentaire, il a continué à se poser des questions sur l'écrivain mythique.
« En 2017, 2018, on devenait de plus en plus conscient de la crise de désinformation mondiale. Ça me fascinait de manière un peu tordue. Kafka, c'est le doute incarné », dit-il. Et le doute, selon lui, est peut-être le remède à cette crise de désinformation qui secoue notre époque.
C'est ainsi qu'il en est venu à imaginer l'histoire d'un jeune cinéaste qui est invité à Prague par une fondation pour réaliser un documentaire sur Franz Kafka.
« Il ne le sait pas, mais la résidence artistique est influencée par des oligarques russes qu'on ne verra jamais, mais qui veulent utiliser son film comme un ancrage pour une campagne de désinformation », explique-t-il.
Pour « dérouter » les lecteurs, Louis St-Pierre a utilisé plusieurs formes qui sèment ce fameux doute tout au long du roman. On est tantôt dans une séquence de film, tantôt dans ce qui ressemble, au fur et à mesure qu'on progresse dans la lecture, à une sorte de réalité parallèle, où des notes de bas de page viennent nous faire croire que c'est là que réside la vérité en fin de compte.
« Cette courbe de la désinformation, je voulais qu'on soit capable de l'apercevoir de manière physique, comme dans des espèces d'entrées privées. Le narrateur fait comme si rien n'était, mais le lecteur se rend compte que quelque chose a bougé.
« La forme soulève des questions et je trouvais ça le fun parce que quand les gens ne se posent pas des questions sur la façon dont ils sont en train de recevoir les récits, ils ont souvent tendance à intérioriser des trucs qui sont faux, ou qui ne sont pas nécessairement bénéfiques pour eux. »
Je voulais que le lecteur soit en constante remise en question. Ça fait partie du jeu.
Louis St-Pierre
Du cinéma à l'écriture
Même si le cinéma est très présent dans La république de Kafka, Louis St-Pierre assure qu'il n'a pas écrit le roman dans l'idée d'en réaliser un film. Il ne cache pas qu'il aimerait bien pouvoir financer une adaptation cinématographique du roman, un jour, mais le résultat serait à son avis « un objet complètement différent ».
« Il y a des histoires qui se portent mieux au cinéma et des histoires qui se portent mieux en littérature. Pour moi, ce qui est important, c'est de raconter ces histoires, peu importe le médium. Avec ma copine, Clem [son nom d'artiste], qui fait de la musique, on a enregistré un EP, Jeudi Variétés, et j'ai écrit les paroles. J'ai fait de la balado. J'aime toucher un peu à tout », dit-il.
PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE
Louis St-Pierre
Il admet malgré tout qu'il a mis du temps avant d'être capable de se dire qu'il est un artiste. Un peu comme le héros de son roman qui réagit chaque fois que son hôtesse praguoise – qui se trouve à être aussi la productrice de son documentaire – le qualifie d'artiste.
« Chez le protagoniste, il y a l'idée que l'art, ça peut souvent être vu comme une espèce de fabrication mensongère, parfois pour dire des vérités. Et ça le rebute parce qu'il dit qu'il ne veut pas faire de l'art, il est venu chercher le réel. »
Mais même cette affirmation sera éventuellement contredite dans le roman…
« Je voulais jouer sur ce ton directement au départ : avoir un protagoniste qui cherche la vérité alors qu'il est peut-être constamment en train de mentir lui-même – ou qu'on lui ment – puisqu'on ne sait pas où est la différence entre les deux. »
Une chose est sûre, en revanche, son prochain roman, sur lequel il travaille déjà en plus de quelques projets de courts métrages, sera très différent. « Sinon, je trouverais ça d'un ennui mortel », lance Louis St-Pierre.