31-07-2025
La féministe, le journaliste et une amitié longue d'un quart de siècle
D'une certaine façon, Françoise David était l'un des personnages de l'univers de Pierre Foglia. Il se mesurait parfois à l'ancienne politicienne, se disant « pratiquement de gauche » comme elle, sauf qu'il n'était « pas un militant* ». Il l'a critiquée, il l'a taquinée, il l'a aussi encensée. Et au soir de sa vie, il a voulu qu'elle soit à ses côtés.
Leur amitié est née à l'autre bout du monde, en 2000. Foglia avait suivi à Bagdad une délégation québécoise qui s'y rendait pour témoigner de l'effet des sanctions américaines en Irak. Françoise David était du voyage. Jusque-là, ils s'étaient parlé à quelques reprises, mais ne s'étaient jamais rencontrés.
Les premières heures du voyage ont été plutôt tendues. « Pierre et les féministes… disons que ça n'a jamais été l'amour fou », raconte Françoise David, jointe mercredi dans le Kamouraska. « Alors, la première journée, il m'a testée, et je le savais. Il disait des niaiseries, il faisait le drôle, il ne l'était pas toujours, drôle… Clairement, il voulait voir si j'allais me fâcher. »
Françoise David est restée imperturbable. « Et puis, tout d'un coup lors du souper, il me dit : 'Coudonc ! T'es féministe, mais t'es fine, toi !' Et ça a été le début de notre amitié. »
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Pierre Foglia en reportage à Bagdad, en 2013, où il avait rencontré Françoise David 13 ans plus tôt
Sur les bords du Tigre, bras dessus, bras dessous, les deux nouveaux amis ont fait connaissance. « On parlait de nos amours, de nos enfants, de nos vies. Du Vermont, qu'on adorait tous les deux. Du vélo. De politique. »
De Louise à Québec solidaire
C'est avec « l'histoire de Louise » que Françoise David et Foglia ont fait connaissance. L'histoire de Louise ? Une série de chroniques publiées en mars 1989 sur une femme accusée d'agression sexuelle sur sa fille, dont elle risquait de perdre la garde. Une affaire qui avait fait les manchettes à l'époque.
Françoise David, à ce moment, était coordonnatrice du Regroupement des centres de femmes du Québec. « Pierre avait fait sa propre enquête, et il a écrit ces chroniques pour dire qu'à son avis, le père de l'enfant était en train d'utiliser quelque chose de profondément anodin pour arracher une enfant à sa mère », se souvient-elle. « Alors là, quand je lis ça, mon cœur ne fait qu'un tour. Je téléphone à Pierre Foglia et je lui demande si Louise accepterait de me rencontrer pour qu'on puisse mobiliser des femmes pour l'appuyer. Elle a accepté. »
Louise sera finalement acquittée. Quelques années plus tard, Françoise David l'a croisée par hasard. « Elle avait un bon métier, sa fille grandissait bien. Et elle m'a dit qu'elle en devait toute une à Foglia. »
Tant d'autres, dit Mme David, lui en doivent une. Comme ces immigrants menacés d'expulsion dont elle soumettait le cas à Foglia à l'époque où elle était à la tête de la Fédération des femmes du Québec. « À l'occasion, il acceptait d'en parler. Une fois, il a refusé parce qu'après avoir fait son enquête, il avait du mal à croire l'histoire de la personne. Ça montre à quel point il était perfectionniste. »
En 2004, Françoise David a publié Bien commun recherché, un essai qui sera un prélude à la naissance d'Option citoyenne, puis de Québec solidaire. Dans La Presse du 19 juin, Foglia vante « la limpidité des arguments exposés » dans le livre de Mme David et lui rend hommage… à sa façon :
« Soit dit en passant, Françoise David est une des rares personnes publiques qui peut dire les femmes et les hommes, citoyens, citoyennes, militants, militantes dans la même phrase, sans que l'envie me prenne de murmurer tout bas : va donc chier, Chose. Son féminin n'a pas qu'un sexe, il a le poids des inégalités. »
À ce moment de notre conversation, Françoise David s'interrompt un moment. « Bon là, ça y est, c'est là que je me mets à pleurer… »
Je ne m'attendais pas à cette chronique, je ne lui avais rien demandé. Et comme vous le savez, quand Pierre faisait des éloges sur un livre, mon Dieu… le livre se vendait !
Françoise David
Mais il n'a pas toujours été tendre envers elle, rappelle-t-elle. Il a aussi écrit qu'elle « aurait de la misère à se faire élire » députée parce qu'elle n'était « pas aussi flamboyante qu'Amir Khadir », l'autre porte-parole de Québec solidaire… « Quand j'ai finalement été élue en 2012, je l'ai appelé. Pas assez flamboyante, hein ? Il était d'une franchise redoutable, c'était à prendre ou à laisser. Moi, j'ai décidé de prendre. »
Deux amis loin des projecteurs
Leur amitié ne fleurira véritablement que plus tard, quand l'un et l'autre auront quitté la vie publique. Elle s'étendra au conjoint de Mme David, ancien prof d'histoire dont le père était typographe. Le couple lui rendait visite chez lui, apportant des pâtisseries. « Sur une carte du Vermont, il nous avait tracé son trajet préféré. Je l'ai encore. »
La maladie progressait, « mais son cerveau était intact, brillant, jusqu'à la fin. Mais physiquement, tout devenait plus difficile ».
Françoise David est restée, jusqu'à la fin, dans le cercle restreint des personnes avec qui Foglia a gardé contact. « Je ne peux pas vous l'expliquer, je me demande encore pourquoi il a accepté qu'on vienne le visiter. »
« Il m'avait prêté la collection complète des livres d'Annie Ernaux. Une autre féministe, c'est intéressant quand on y pense… » Elle partage sa passion pour l'écrivaine dont il a souvent vanté l'œuvre.
« La dernière fois que je lui ai parlé longuement, c'était le printemps dernier », dit-elle. Il y a quelques semaines, elle a appris qu'il était hospitalisé. Samedi dernier, elle est allée le visiter. « On lui a apporté deux tiramisus. Il était content… Je savais, je sentais que c'était la dernière fois que je le voyais. »
Il me faisait encore bénéficier de ses idées, de ses analyses. On ne se chicanait jamais. On pouvait avoir, parfois, des points de vue différents, mais il discutait avec une telle intelligence, c'était un bonheur d'avoir le privilège de parler avec quelqu'un comme lui.
Françoise David
Mardi soir, trop bouleversée à l'annonce de son décès, elle a préféré ne pas accorder d'entrevue. Le lendemain, elle nous a rappelé pour nous parler longuement de son ami – et ce sera la seule entrevue qu'elle accordera, a-t-elle précisé.
Elle a tenu à saluer « le courage et la dignité » de son ami face à la maladie, et à offrir ses pensées à Manuel et Aube, ses enfants, ainsi qu'à Suzanne, sa « fiancée ». « Je veux rendre hommage à son amour, son courage, son soutien pour Pierre. Et puis, je devine le grand vide que ça laisse pour elle. »
« Maintenant, je m'en vais faire du vélo », a-t-elle dit avant de raccrocher. « Une vingtaine de kilomètres en pensant à lui, en me disant qu'il aurait aimé ça. Peut-être qu'il ne voudrait pas qu'on ait de la peine trop longtemps… Mais là-dessus, il n'a pas de pouvoir. »
* Lisez la chronique « Pro domo, pour ma maison »