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Ces entreprises étrangères qui choisissent la Suisse romande pour se développer
Elles étaient 79 sociétés à s'établir, l'an dernier, entre Genève et Berne. Pour des raisons diverses, comme le montre le parcours de quatre d'entre elles. Publié aujourd'hui à 11h24
Venu de Grenoble (F), Thomas Grégoire fait partie des entrepreneurs qui ont choisi la Suisse romande. En implantant la filiale suisse de l'entreprise familiale Weepackup à Genève, le jeune directeur a pu développer le marché de l'emballage industriel. Le rachat de CDF Emballage, à La Chaux-de-Fonds, lui permet de produire en Suisse pour le marché local.
Marie-Lou Dumauthioz/Tamedia
En bref:
Elle est moins connue ici qu'au-delà des frontières de la Suisse. C'est normal. Car l'association Greater Geneva Bern area (GGBa) a reçu pour mission – de la part des six cantons qui la composent – de prospecter et tenter d'attirer en Suisse occidentale les entreprises susceptibles d'y créer des emplois. Bon an, mal an, ces démarches aboutissent à l'implantation de nouvelles pousses. L'an dernier, selon le rapport du GGBa, elles ont été 79 à franchir le pas, avec la perspective de créer 470 emplois en trois ans.
Pourquoi avoir fait ce choix? Comme on le constate avec quatre d'entre elles, les raisons varient. Mais chacune a pu bénéficier de soutiens pour son établissement.
Si la Promotion économique de chaque canton est chargée d'attirer et de favoriser l'implantation de nouvelles entreprises, l'association GGBa est celle qui chapeaute et relie ces initiatives. «Notre mandat est de rendre l'écosystème suisse visible à l'étranger, précise Thomas Bohn, directeur de l'association. C'est dans ce but que douze de nos collaborateurs travaillent hors de nos frontières.»
Et quelles sont les entreprises démarchées? Celles qui sont actives dans des secteurs pour lesquels la région dispose d'avantages compétitifs, comme les sciences de la vie, le numérique et les technologies vertes. «C'est davantage une question de qualité que de nombre, dit Thomas Bohn. Les entreprises que l'on démarche sont celles dont nous pensons qu'elles peuvent compléter un écosystème local.»
Thomas Bohn, directeur de l'association Greater Geneva Bern area (GGBa).
DR
C'est que l'intérêt d'un tel développement réside dans le renforcement des différents pôles de compétences, dont les apports extérieurs complètent ceux des sociétés créées en Suisse. Le cas de la Silicon Valley est emblématique de ce phénomène: plus les compétences sont regroupées, plus la région devient incontournable. À ce petit jeu, la concurrence est mondiale. Ainsi, la GGBa séduit un bon nombre d'entreprises françaises. «Mais la Chine et l'Inde sont deux axes forts de notre prospection», souligne Thomas Bohn. La Suisse, au centre de l'Europe
Que viennent chercher les patrons d'entreprise à l'ouest de notre pays? Les organes de promotion économique mettent en avant la position géographique de la Suisse pour un développement stratégique sur le continent européen. Avec la stabilité en plus. «C'est cette combinaison de sécurité, d'innovation et d'excellence industrielle qui fait de notre région un terrain fertile pour les entreprises ambitieuses en quête de croissance», soulignait Isabelle Moret, citée dans le récent communiqué de presse de la GGBa. La ministre vaudoise de l'Économie préside l'association pour 2024 et 2025.
La conseillère d'État vaudoise n'est pas la seule à le dire. En juin, l'institut de management IMD classait la Suisse en tête de la compétitivité mondiale, juste devant Singapour et Hong Kong. «Les pays avec des monnaies fortes sont en tête car cela – contrairement à ce que beaucoup pensent – est un signe de force», expliquait alors le professeur Arturo Bris, chargé de cette étude, tout en louant un cadre institutionnel «solide», favorisant la stabilité.
Un mois plus tôt, le cabinet d'audit Ernst & Young s'avançait en montrant que les projets d'investissements étrangers avaient augmenté de 25% l'an dernier en Suisse, alors qu'ils s'affichaient en recul partout en Europe.
Si la stabilité du pays, les hautes écoles ou encore la qualité de vie peuvent attirer des patrons d'entreprises internationales, les cantons mettent en œuvre une batterie de services pour permettre un atterrissage en douceur. Aides au financement, recherches de terrains ou de locaux, mise en relation avec d'autres acteurs, coaching, etc.
Et la fiscalité dans tout cela? Les facilités face à l'impôt ne semblent plus figurer au premier plan de la promotion économique. «D'ailleurs, je n'ai pas d'argumentaire qui va dans ce sens lorsque je discute avec des patrons d'entreprise», assure le directeur de l'association Greater Geneva Bern area. Conthey (VS): Nutrazur réduit en poudre les huiles essentielles
Bruno Obriot, fondateur et président de l'entreprise Nutrazur, installée à Conthey.
Marie-Lou Dumauthioz/Tamedia
L'installation de Nutrazur en Valais doit énormément à l'existence de l'entité PhytoArk , sur le site de l' Agroscope de Conthey . Elle offre des opportunités aux entreprises qui mettent en valeur les ingrédients naturels, tant dans les domaines alimentaires que cosmétiques ou de la santé. «C'est bien simple, je ne connais pas d'équivalent à PhytoArk en Europe», lance Bruno Obriot, fondateur de Nutrazur.
«J'étais plutôt contre l'usage d'huiles essentielles car les gens ont tendance à les utiliser de façon inconsidérée, en oubliant que certaines peuvent être mortelles», explique cet ancien médecin, qui exerçait de façon traditionnelle. Il s'est reconverti aux traitements plus naturels après qu'une maladie de la peau développée par sa fille a trouvé son issue par le biais de l'aromathérapie. Un burn-out lui offrira l'opportunité de changer de voie pour devenir entrepreneur.
Après neuf mois de recherches, il a mis au point un procédé qui mêle la poudre de coquilles d'huîtres à des huiles essentielles. La première vise à corriger l'acidité du corps, les secondes apportent les propriétés thérapeutiques qui leur sont associées. Le tout, contenu dans une gélule, permet d'éviter les surdosages que peuvent parfois s'infliger certaines personnes.
Le procédé de Nutrazur mêle la poudre de coquilles d'huîtres à des huiles essentielles.
Marie-Lou Dumauthioz/Tamedia
Une vingtaine de références ont été créées par la petite société née à Aix-les-Bains. «Lorsque j'ai découvert l'existence de PhytoArk, c'était comme une bénédiction», raconte Bruno Obriot, qui cherchait un site pour développer de nouvelles recherches. C'est ce que lui offre le site de Conthey, sur lequel la filiale tente d'isoler de nouvelles molécules à base de plantes utilisées dans la pharmacopée traditionnelle aux Philippines. Aides au démarrage
Le site valaisan emballe l'entrepreneur au point qu'il songe à y déplacer l'intégralité de sa société et ses trois employés. Il ne cache pas que la fiscalité y est également plus clémente, mais c'est l'accueil qu'on lui a fait qui a été convaincant. «La Promotion économique du canton nous a accompagnés à la banque pour nous aider à nous implanter et à obtenir de prêts à taux zéro», illustre Bruno Obriot.
Reste une chicane pour déplacer sa production du sud de la France à la Suisse: «Il manque aux façonniers une machine dans laquelle ils devraient investir pour produire nos gélules.» Le développement de son marché les convaincra peut-être car l'entrepreneur est en train de mettre en place sa phase commerciale, qui vise à convaincre les pharmacies de vendre son innovation. La Chaux-de-Fonds (NE): Weepackup applique les valeurs du rugby à l'emballage industriel
Thomas Grégoire, 27 ans, dirige la branche suisse de Weepackup, une société française spécialisée dans les emballages industriels. L'entreprise a racheté CDF Emballage à La Chaux-de-Fonds.
Marie-Lou Dumauthioz/Tamedia
L'installation de cette entreprise familiale française en Suisse occidentale n'a pas de lien avec la fiscalité, pas plus qu'elle n'est liée à un pôle de recherche universitaire. Non, Weepackup a franchi la frontière par le biais d'une histoire humaine. «Mon père est très connu à Grenoble, et je voulais me détacher un peu de la famille, de ce côté fils à papa», raconte Thomas Grégoire, qui dirige l'extension helvétique de l'entreprise spécialisée dans les emballages industriels sur mesure.
Ces emballages, ce sont ceux que le public ne voit jamais. Pourtant, ils permettent à une multitude d'objets de voyager sans être endommagés. Thomas Grégoire cite des exemples allant de la pale d'hélicoptère au secteur de l'horlogerie et de la médecine, en passant par les machines-outils que l'on exporte dans le monde.
Weepackup s'est installée dans le bâtiment de CDF Emballage à La Chaux-de-Fonds.
Marie-Lou Dumauthioz/Tamedia
Alors qu'il était employé en Suisse – dans un autre secteur – Thomas Grégoire a senti qu'il pourrait y avoir une place à se faire pour l'entreprise familiale. En 2022, il décide de prospecter le marché. «Je suis passé de zéro à 1,3 million de chiffre d'affaires en trois ans», détaille le patron, aujourd'hui âgé de 27 ans. Ambitions alémaniques
Un succès qui lui permet de racheter CDF Emballage , une usine familiale, elle aussi, qui produit à La Chaux-de-Fonds. «Nos usines en France couvrent le territoire, mais il était important d'avoir un site de production en Suisse pour limiter les coûts de transport», explique le directeur, qui porte ainsi à 27 le nombre de ses employés romands.
Des éléments d'emballage en mousse produits par Weepackup à La Chaux-de-Fonds.
Marie-Lou Dumauthioz/Tamedia
Thomas Grégoire n'a pas l'intention de changer le nom de l'entreprise chaux-de-fonnière. «On vient du monde du rugby, dit-il. On en partage les valeurs et on ne fait les choses que si elles ont un sens.» Ambitieux, il prépare néanmoins la prochaine phase de croissance en profitant d'une diminution de la marche des affaires pour stabiliser son entreprise. Car le marché alémanique ne lui fait pas peur. «Des différences culturelles, il y en a aussi entre la France et la Suisse romande mais, lorsqu'on se retrouve en face-à-face avec un partenaire, c'est l'humain qui l'emporte.» On note au passage qu'il prononce déjà «septante» sans aucune hésitation. Genève: avec le soutien de milliardaires, Albert School se projette en une «Stanford européenne»
Elle a trois ans d'existence en France. Mais l'école privée qui s'est installée à Genève, pour un premier cursus dès cet automne, affiche des ambitions à la mesure des parrains qui la cautionnent. Albert School est en effet financée par de grandes fortunes comme Xavier Niel et Bernard Arnault. Son but est de proposer un enseignement de niveau supérieur tout en étant fortement orientée vers le monde de l'entreprise.
Matteo Bianchi, directeur du nouveau campus genevois d'Albert School.
Georges Cabrera
«La création d'Albert School est fondée sur le constat que les entreprises aujourd'hui ont besoin de recruter des profils hybrides, qui ont à la fois une compréhension technique ainsi que métier, décrit Matteo Bianchi, directeur du nouveau campus genevois. D'où un mélange de business et de datas, appliqué au mode réel avec les entreprises partenaires.»
Le créneau de la vie professionnelle est en effet pleinement joué par le nouvel établissement. Des professionnels sont invités à y partager leur expérience, à moins qu'ils ne soient engagés comme professeurs. Et puis les étudiants y sont rapidement projetés en stages immersifs.
Côté académique, Albert School a décroché un partenariat avec la prestigieuse École des mines, à Paris. Ce qui lui permet de proposer des formations en bachelor et en master reconnues en Europe. Une ambition dont ne se cache pas Matteo Bianchi: «Nous voulons être une Stanford européenne», en référence à la prestigieuse université californienne. Grandes villes européennes
Après Paris, Marseille et Lyon, le groupe va également s'implanter à Milan et à Madrid. Mais pourquoi Genève? Les écoles suisses réputées ne suffisent-elles pas? «La Suisse a de très bonnes écoles, mais elle a aussi une grande culture d'écoles privées, répond Matteo Bianchi. Plusieurs étudiants inscrits à Paris sont venus de Suisse, ce qui nous laisse penser qu'il y a une demande.»
Et puis la Genève internationale est aussi celle du business, des grandes sociétés avec lesquelles l'école compte bien collaborer. Le nom de la banque Pictet figure ainsi déjà sur le site de l'école.
Pour l'heure, la rentrée genevoise s'annonce avec une vingtaine d'étudiants qui débourseront chacun quelque 20'000 francs par année, en fonction du programme choisi. Mais attention, n'entre pas qui veut dans les tout nouveaux locaux du quartier de l'Étang. La sélection passe par des tests, l'examen des notes obtenues précédemment et un entretien d'admission. Malgré cet obstacle, la recette semble fonctionner. Albert School devrait totaliser «entre 700 et 800 étudiants», selon Matteo Bianchi. Lausanne (EPFL): les polymères de BioStart promettent d'anéantir les micropolluants
Le filtre de BioStart peut s'adapter aux installations existantes. Ce qui pourrait intéresser à terme des stations d'épuration, même récemment rénovées pour traiter les microparticules, comme celle de Lausanne.
DR
Il y a des innovations qui prennent du temps à voir le jour, même si leur apport est capital pour la santé. C'est le cas de la société BioStart , qui commence à s'installer au Parc de l'Innovation de l'EPFL, dans la région lausannoise. Fondée et incubée en 2018 au Genopole, au sud de Paris, la start-up développe depuis dix ans un filtre à eau qui promet de la débarrasser des micropolluants.
Chlorothalonil dans les nappes phréatiques ou résidus de médicaments à la sortie des stations d'épuration? L'invention de la jeune pousse, brevetée dans une trentaine de pays, promet de venir à bout de tous ces micropolluants, si petits mais si inquiétants pour le vivant.
«Nous avons développé un polymère d'origine végétale qui permet d'absorber tous ces micropolluants», présente Fabrice Grenard, l'un des sept cofondateurs de BioStart. Pour lui, cette invention aurait une action supérieure au charbon actif en captant une gamme très large de ces polluants. «On peut en plus le régénérer et réutiliser ce filtre jusqu'à dix fois en le débarrassant des polluants qu'il a captés», poursuit Fabrice Grenard. Phase commerciale
Recyclable, économique par rapport aux solutions actuelles, capable d'être branchée sur n'importe quel circuit d'eau, l'invention de l'équipe parisienne a obtenu de multiples soutiens en France. Pourquoi alors venir en Suisse pour y poursuivre ses recherches? «Nous avons de bonnes relations avec l'EPFL, dit Fabrice Grenard. Et elle jouit d'une expertise de très haut niveau.»
Concrètement, l'équipe française a «de très bons espoirs» de développer encore sa molécule afin qu'elle soit également capable d'absorber les polluants éternels, les fameux PFAS.
Elle lance ainsi la phase commerciale de son invention en Suisse, mais aussi dans les Antilles françaises. Quel rapport entre les deux? «Tout comme avec le chlorothalonil en Suisse, les Antilles souffrent des ravages provoqués par un pesticide employé dans les cultures de bananes.» Dix ans après les premières recherches, la start-up compte lever 5 millions pour démarrer enfin son activité commerciale.
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Alain Détraz est journaliste à la rubrique vaudoise de «24 heures» depuis 2005. Après avoir couvert les domaines variés de l'actualité locale, il est en charge depuis 2022 de la page Economie vaudoise. Plus d'infos
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