4 days ago
Vampires, fantômes et fantasmes peuplent les écrans de Locarno
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Aux deux tiers environ de l'événement tessinois, on fait le point sur les premières tendances qui s'en dégagent. Publié aujourd'hui à 09h30
L'héroïne de «God Will Not Help», film croate âpre et choc de Locarno.
©Kinorama
En bref:
Alors que le Festival de Locarno a démarré depuis huit jours, et avant qu'il ne décerne ses Léopards et autres prix samedi soir, plusieurs lignes de force peuvent se dégager, même s'il est prématuré d'en tirer un bilan thématique. L'avenir est sombre, semblent nous dire les cinéastes, mais la réalité se nourrit aussi de fantasmes, et parfois de poésie.
Si, on l'aura compris, le film d'Abdellatif Kechiche , ce «Mektoub My Love: Canto Due» qui a fait l'événement au Tessin se profile à ce stade comme le grand favori de la compétition, quelques outsiders moins attendus peuvent briguer quelque chose à l'arrivée. C'est le cas d'un film croate signé Hana Jušić, «God Will Not Help», récit sans espoir au cœur d'une communauté de bergers croates où l'arrivée d'une femme qui se dit la veuve d'un des leurs bouleverse l'ordre établi. Ce monde en autarcie, entre parabole politique et expérience mystique, ne délivre pas toutes ses clés, mais on comprend qu'il pèse là-dessus une menace diffuse qu'un sombre destin vient confirmer. Fantasme et poésie
Dans le registre de l'indicible et du sensible, «As Estações» (soit «Les saisons»), signé par une comparse de Miguel Gomes, Maureen Fazendeiro, réinvente une région portugaise entre réalité et fantasme, privilégiant la poésie à une logique récitative qui serait hors de propos. Voilà typiquement le genre de films de festival qu'on s'attend à découvrir à Locarno et qu'on se réjouit de voir pour toutes ces raisons. Sans se cacher qu'il sera difficile à l'exploiter dans des circuits normaux. Mais n'en ira-t-il pas de même de «Desire Lines», métrage serbe de Dane Komijen, errance nocturne à demi-fantasmée dans laquelle les corps se heurtent ou s'étreignent, dans un curieux ballet d'où toute sexualité affirmée est exclue? Sans doute.
Les deux comédiens de «White Snail».
©PANAMA FILM / RAUMZEITFILM
Le film a aussi le mérite de nous interroger sur les corps, le mystère de leurs attirances, leurs oppositions ou leurs rejets. Dans le même ordre d'idées, «White Snail» d'Elsa Kremser et Levin Peter fait le portrait de deux personnages a priori incompatibles, une mannequin biélorusse qui rêve de faire carrière en Chine et l'employé d'une morgue dont le travail de dissection de cadavres occupe ses journées. Entre eux, l'alchimie n'est pas évidente mais parvient à se réaliser par un travail consistant à dépasser le stade des apparences. Film curieux, nullement parfait, mais qui fera assurément partie de ceux qui auront marqué le festival. «Dracula», trois heures pour tout dire
Difficile d'en dire autrement du «Dracula» de Radu Jude, film fleuve de trois heures qui croule sous les références et les critiques, se moque de l'IA tout en l'utilisant à satiété et revisite le mythe du vampire en inversant le rôle de la victime et du prédateur. Comme dans chacun de ses films, on a l'impression que Radu Jude veut tout mettre dans son métrage, aborder tous les thèmes et régler ses comptes avec tout le monde. D'où une impression de trop-plein et d'essoufflement à l'issue d'un métrage qui se paie en prime le luxe d'un plan de fin, comme chez Marvel.
Des enfants en 2001 à Gaza, au temps des jours heureux.
©Kamal Aljafari Productions
On serait incomplet sans citer le documentaire de Kamal Aljafari, «With Hasan in Gaza», qui s'articule autour de MiniDV de 2001 sur la vie à Gaza qui viennent d'être redécouvertes. Et dévoilent ainsi la vie d'avant l'horreur dans la ville et sa région, croise des visages aujourd'hui peut-être disparus, sans dispenser de leçons géopolitiques là où l'image est suffisamment parlante. Un film radical et dérangeant
Du côté des Cinéastes du présent (mais nous n'avons pas encore vu assez de titres de cette toujours excellente question), on ne peut pas ne pas citer le radical et dérangeant «Un balcon à Limoges» de Jérôme Reybaud, double portrait de femme qui s'achève par un crime glacé ayant provoqué le départ de quelques spectateurs. L'absence de regard moral du cinéaste le pose en dehors de tout jugement et le résultat est assez estomaquant.
Emma Thompson tente d'empêcher un kidnapping.
©2025 TACKLE BOX PRODUCTIONS LLC, FW CO-PRODUCTION GmbH
Pour ce qui est de la Piazza Grande, on ne peut pas claironner que la programmation affiche une telle unité, et il y a eu à boire et à manger. «The Dead of Winter» de Brian Kirk, dans lequel une Emma Thompson déterminée veut empêcher le kidnapping d'une ado dans le Grand-Nord vire presque au film d'horreur et assume parfaitement sa carte du sensationnalisme. Difficile d'en dire autant de «Testa o croce?», western d'Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, variation autour de Buffalo Bill ni tenue ni palpitante.
Finalement, «Le pays d'Arto» de Tamara Stepanyan, film d'ouverture, tient davantage la route, même si la quête d'une femme venue en Arménie découvrir la vérité sur son époux décédé n'est pas exempte non plus de défauts.
Fort heureusement, la Piazza peut s'enorgueillir de la présence de plusieurs gros morceaux cannois, «Sentimental Value» de Joachim Trier, «La petite dernière» d'Hafsia Herzi, et la Palme d'or, «Un simple accident» de Jafar Panahi. Et n'oublions pas ce très bon film d'horreur qui sort ce jour et dont nous parlons ci-contre, «Together». C'est aussi sur la Piazza qu'il a connu sa première suisse.
Ça s'est aussi passé à Locarno Pascal Gavillet est journaliste à la rubrique culturelle depuis 1992. Il s'occupe principalement de cinéma, mais il lui arrive aussi d'écrire sur d'autres domaines. En particulier les sciences. A ce titre, il est également mathématicien. Plus d'infos @PascalGavillet
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