11-07-2025
Comme Amanda Anisimova, finaliste de Wimbledon, ils ont perdu leur père et ils racontent leur deuil
Qualifiée à Wimbledon pour sa première finale de Grand Chelem, l'Américaine Amanda Anisimova (23 ans) avait été frappée par le décès de son père et entraîneur, Konstantin Anisimov, en 2019. Des joueurs qui ont vécu ce drame pendant leur carrière témoignent.
Elle avait seulement 17 ans quand elle a été touchée par l'un des pires drames de la vie. En 2019, quelques jours avant le début de l'US Open dont elle se retirera, Amanda Anisimova apprenait le décès de son père Konstantin, qui avait été l'entraîneur de ses débuts. « Toute ma vie, j'ai joué et gagné pour mon père, racontait l'ancien numéro 1 mondial Mats Wilander. Après sa mort, je ne trouvais aucun intérêt, aucune motivation dans le tennis. Je m'entraînais fort mais, sur le court, je n'avais plus la flamme pour gagner. »
En septembre 1990 à Bordeaux, Guy Forget avait appris la terrible nouvelle de la bouche de son ami Yannick Noah. Sur les conseils de sa mère, il avait poursuivi le tournoi après un aller-retour à Auch pour les funérailles. Quatre jours plus tard, il dominait Goran Ivanisevic et soulevait le troisième trophée de sa carrière. En 2004, James Blake avait lui contracté un virus, directement causé par le stress, qui provoqua une paralysie partielle de son visage, une semaine après la mort de son premier supporter. Plus récemment, en 2023, la Slovène Kaja Juvan avait annoncé faire une pause dans sa carrière après avoir perdu son père. « Faire mon deuil est très difficile », justifiait-elle sur les réseaux sociaux.
Il y a autant de manières de faire son deuil que de personnes endeuillées. Mais le quotidien du circuit pro, exigeant et souvent solitaire, comprend son lot de difficultés. Le Serbe Laslo Djere et les Américains Tennys Sandgren et Steve Johnson ont tous les trois, à différents moments de leur carrière, dû affronter cette épreuve. Ils racontent.
Laslo Djere : «Ce n'était pas seulement ma vie, c'étaient nos vies»
Serbie, 30 ans, 60e mondial.
Le 1er mars 2019, quelques minutes après avoir remporté le plus grand titre de sa carrière, l'ATP 500 de Rio, face au jeune Canadien de 18 ans Félix Auger-Aliassime, Laslo Djere prit le micro lors de la remise des trophées : « J'ai perdu ma mère il y a sept ans, donc je lui dédie ce titre. Je le dédie aussi à mon père, que j'ai perdu il y a deux mois. C'est grâce à eux que je suis qui je suis aujourd'hui, donc je veux vraiment les remercier. J'espère qu'ils me regardent en ce moment. »
Emportés par la même maladie, un cancer du côlon, sa mère Hajnalka et son père Caba laissèrent Djere seul avec sa soeur de deux ans sa cadette. « J'essaye de prendre soin d'elle, expliquait le Serbe. Elle voyage parfois avec moi. Dès qu'on peut, on passe du temps ensemble. Ça aide d'avoir un frère ou une soeur pour affronter ça. »
Lorsque son père est tombé malade, en 2017, Djere, pris par la vie sur le circuit, se sentait coupable de ne pas pouvoir accompagner à tous ses rendez-vous médicaux celui qui lui avait donné sa première raquette. « Il n'a jamais été mon coach, mais il adorait le tennis. Quand il a voulu m'apprendre à jouer, il m'a amené sur le court et j'ai commencé à faire du mur. J'avais cinq ans » racontait celui qui se souvient de longues journées en voiture à travers le pays pour des tournois nationaux, papa au volant, fiston endormi sur la banquette arrière. « Ensuite il a continué à tout organiser pour moi, les entraînements, les voyages, les tournois. »
Son décès, en décembre 2018, laissa évidemment un grand vide. Mais à aucun moment il ne fut question de ranger la raquette. « Le tennis, c'est toute ma vie, affirmait Djere. Dans un pays comme la Serbie, tu as besoin de beaucoup de soutien de tes proches parce que la Fédération n'est pas très puissante. Donc toute ma famille a vécu à mon rythme, m'a soutenu et s'est beaucoup sacrifiée pour me mettre dans les meilleures conditions pour réussir. Ce n'était pas seulement ma vie, c'étaient nos vies, donc je devais absolument continuer. J'étais déterminé à y arriver. Je sais que c'est ce qu'ils voulaient. »
Tennys Sandgren : «Je n'ai pas touché une raquette pendant quelques semaines»
Etats-Unis, 33 ans, ex-41e mondial (2019).
« J'étais à un tournoi Futures au Texas quand j'ai appris la nouvelle du décès de mon père par un coup de téléphone de ma mère. C'était en octobre 2011, j'étais pro depuis quelques mois. J'ai immédiatement pris l'avion pour rentrer chez moi. C'était très soudain, pas une longue maladie. J'ai reçu une grande claque. Je n'ai pas touché une raquette pendant quelques semaines. Je jouais aux jeux vidéo toute la journée. Mon tournoi de reprise, un mois après, a été une catastrophe. Je ne pouvais pas me concentrer.
Ça ne t'affecte pas seulement en tant que joueur mais aussi en tant qu'homme. Ça met aussi beaucoup de choses en perspective. Tout le monde traverse de telles épreuves, doit apprendre à les affronter et continuer à aller de l'avant. J'avais un appartement en Floride mais en 2013, je me suis blessé et je suis rentré à la maison. Ma mère était toute seule, je voulais passer du temps avec elle, être certain qu'elle allait bien. C'est pour elle que ça a été le plus dur, sans aucun doute. Je ne peux pas imaginer ce qu'elle a vécu.
Mon père est la raison pour laquelle le tennis a pris une si grande place dans notre famille. Il a joué des tournois satellites mais il ne voulait surtout pas être sur notre dos en permanence, à mon frère et à moi. Ma mère a été mon entraîneur en juniors. La frontière entre la mère et la coach était fine et ça pouvait parfois chauffer parce qu'on a le même caractère. Mon père, lui, était très décontracté. C'était la seule personne équilibrée de la famille (rires). Il maintenait l'unité. Il s'est énormément sacrifié, s'est tué au travail pour financer les voyages et les tournois. Sans lui, nous n'aurions pas eu assez d'argent. Je n'aurais pas été joueur pro sans mon père.
Beaucoup de moments me font penser à lui. Des moments agréables où j'aurais aimé qu'il soit là, comme à l'Open d'Australie en 2018 (quarts de finale, après des victoires sur Wawrinka et Thiem). Mais aussi des moments difficiles où j'aurais aimé me reposer sur lui.
Je me souviens bien de la finale du tournoi de Houston en 2018. J'ai perdu contre Steve Johnson. Je me demandais si, quelque part là-haut, nos deux pères étaient en train de regarder le match ensemble. J'ai vu que Steve était très touché après la balle de match. Au filet, après la poignée de main, j'ai décidé de lui partager ce que j'étais déjà en train de penser : ''Je sais que nos pères nous regardent.'' C'était fort. »
Steve Johnson : «Ne pas pouvoir l'appeler me manque terriblement»
Etats-Unis, 35 ans, ex-21e mondial (2016).
« Mon père a été mon entraîneur toute ma vie. Il a toujours été très impliqué dans ma carrière, je pouvais compter sur lui à tout moment, l'appeler, lui demander des conseils. Il me disait toujours ce qu'il pensait, en bien ou en mal. Mes parents ne m'ont jamais poussé à devenir un joueur de tennis. En grandissant, j'ai pratiqué beaucoup de sports : tennis, basket-ball, baseball, football, golf. Vers 16 ans, j'ai pris conscience que c'est le tennis que j'aimais le plus. Ça a rendu mon père fou de joie. Il était prof de tennis, sa passion était d'apprendre ce jeu au maximum de gens. Il m'a aidé à grandir, à effectuer la transition entre l'université et le circuit pro. Il avait beaucoup d'amis dans le milieu, donc j'ai été entouré de gens qui connaissaient le tennis pro et m'ont bien orienté.
Depuis qu'il est parti, le 11 mai 2017, chaque jour a été différent. Chaque tournoi apportait son lot de défis. Parfois ça allait, parfois non. De l'extérieur, tout le monde pense qu'en tant qu'athlète de haut niveau, le terrain, qu'il s'agisse de tennis, de basket, de football ou autre chose, est notre refuge, que tout le reste disparaît dès qu'on pose un pied dessus. Mais mon père avait une telle place dans ma carrière qu'il n'y avait pas un jour où, sur le court, je ne pensais pas à son décès. À cette époque, j'ai souvent cru que ma carrière de tennisman ne s'éterniserait pas. Parce qu'il y avait trop de douleur. Mes proches m'aidaient à me concentrer sur le positif, mais c'était une lutte intérieure permanente. Il y avait des jours où je ne pouvais pas contrôler mes émotions.
Mon premier tournoi après son décès, c'était à Genève. J'avais atteint les quarts de finale sans trop savoir comment. Tout était flou. Mais c'est à Roland-Garros que j'ai vraiment pris une claque. J'ai compris que je ne pouvais plus rentrer au vestiaire, prendre mon téléphone et appeler mon père. Peu importe où j'étais, l'heure qu'il était, mes parents étaient toujours les premiers à m'envoyer un message. Ne pas pouvoir appeler mon père me manque terriblement.
À Roland, après la balle de match contre Coric (victoire en quatre sets, au deuxième tour), je me suis effondré. Je n'ai jamais revu les images, je ne peux pas. Avec du recul, c'est l'un des moments les plus marquants de ma carrière. Ma mère, ma soeur et ma femme étaient là. C'était dur, mais réaliser qu'elles étaient là pour me soutenir, ça a tout changé. En rentrant au vestiaire, j'ai eu beaucoup de gestes d'affection de mes amis sur le circuit, Sam Querrey et John Isner, mais aussi d'autres joueurs moins proches, ça m'a touché.
À mon retour de Wimbledon, le mois suivant, mon corps s'est soudainement éteint. Je me suis retrouvé à l'hôpital pendant trois ou quatre jours. Ils ont effectué des tests mais n'ont rien trouvé. Mon corps était tout simplement épuisé du stress et de l'anxiété accumulés depuis deux mois. J'ai mis une grosse semaine à me sentir mieux. Avec le temps, j'ai appris à mieux gérer tout ça, mais ce sentiment de vide ne disparaîtra jamais vraiment. La vie est injuste mais il faut en tirer le maximum. »
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