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Living with the Lions, petites et grandes histoires d'un documentaire mythique
Living with the Lions, petites et grandes histoires d'un documentaire mythique

L'Équipe

time6 days ago

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Living with the Lions, petites et grandes histoires d'un documentaire mythique

Film culte pour des générations de passionnés, le documentaire tourné en immersion pendant la tournée des Lions en Afrique du Sud en 1997 vaut presque autant par ses coulisses que par son contenu. En Angleterre, on prétend que les meilleures idées naissent dans les pubs, quand le brouillard et le houblon l'emportent sur la raison, juste après avoir salué pour la huitième fois de la soirée la même personne. On prétend que les très mauvaises idées naissent souvent au même moment, dans la même maternité. Parfois, phénomène prouvé par les plus grands chercheurs, il s'agit de la même illumination. Elle se transforme, tout simplement. Dans un sens ou dans l'autre. C'est ce qui est arrivé à Fred Rees et Duncan Humphreys, joyeuse doublette de quinquas anglais. Retrouvons-les en 1997, tard dans la nuit. « Duncan et moi sommes des fans de rugby, raconte Fred Rees. Nous y avons joué nous-mêmes (son acolyte a porté le maillot des Harlequins). Ce soir-là, au pub, on avait bu trop de bière. Ça devait être la dix-huitième ou la vingt-huitième tournée, je ne sais plus. On n'était plus tout à fait étanches et on parlait de rugby, de nos vies... En ce temps-là, nous tournions des spots de pub pour des serpillières et des seaux essoreuses. On avait envie de faire un truc plus fun. Et soudain, l'un de nous a lancé cette idée de tourner un film sur les Lions, de l'intérieur. En général, et c'est heureux, le lendemain, tu renonces aux résolutions prises dans un pub à une heure trop avancée. Pas cette fois. J'avais le numéro de Fran Cotton, le manager des Lions. Je l'ai appelé. Il se trouve qu'on tombait bien. » 30 000 livres pour avoir les droits C'est important d'avoir la bonne idée mais c'est encore mieux de l'avoir au bon moment. Duncan et Fred proposent de tourner un documentaire qui embrasserait toute la tournée 1997, du premier rassemblement, en passant par les jeux de rôles et autres missions dignes d'Intervilles pendant le team building, jusqu'au périple complet en Afrique du Sud, ponctué par les trois tests. Leur projet tombe à point car l'institution Lions se sent menacée. « En 1997, il s'agit de la première tournée depuis que le rugby est devenu professionnel (deux ans plus tôt), indique Fred Rees. La survivance de ces tournées à rallonge à l'intersaison commençait à être remise en question. Les clubs payaient des joueurs et ils avaient plutôt envie qu'ils se reposent en juillet. Bref, on parlait de tuer les Lions. D'autant que les résultats n'étaient pas brillants (en 1993, ils avaient perdu 2-1 la série en Nouvelle-Zélande, en concédant quatre défaites supplémentaires contre des provinces). C'est pour cela que notre idée de film, cette exposition sous un nouvel angle, a tout de suite intéressé leur manager. Fran Cotton nous a dit immédiatement oui et donné le tarif : 30 000 livres pour avoir les droits. C'était une putain de somme pour nous. Exorbitant. Mais Fran nous a rassurés en nous certifiant qu'on revendrait facilement notre film à Sky ou à la BBC qui coproduiraient volontiers. » « J'ai eu l'idée d'hypothéquer ma maison... » Fred Rees, co-auteur du documentaire Nos deux acolytes avaient tellement envie d'y croire qu'ils y ont cru. Mais le doigt va bientôt atterrir dans l'oeil, en plein milieu. « Les chaînes nous ont envoyés promener, se rappelle Duncan. Ils nous ont tous dit : ''Vous êtes des tarés les mecs ! Les Lions, c'est fini. En plus, en Afrique du Sud, ils vont se faire massacrer. Ça ne nous intéresse pas.'' C'est là qu'on a commencé à flipper. On s'était engagés et on se demandait où on trouverait l'argent. » « Voilà comment, annonce Fred, dans un élan de grande stupidité, ou de grande sagesse, j'ai eu l'idée d'hypothéquer ma maison. On avait l'impression d'être deux gars avec un gros boulet aux pieds. » La bonne idée née dans le pub venait de se changer en idée de malheur. Plus tard, elle se transformerait de nouveau, en idée de génie, une fois pour toutes. En 1997, un an avant Les Yeux dans les Bleus de Stéphane Meunier, la forme du documentaire inside, au coeur d'une équipe pendant une grande compétition, est encore avant-gardiste. « Living with the Lions n'est pas le premier doc ''derrière la scène'', précise Duncan Humphreys. Il y en avait eu un par exemple dans les années 1970 sur le club de foot de Derby County, un autre sur une équipe de cricket. En creusant notre idée, on s'était même demandé si le genre n'avait pas été mortellement blessé, du moins en Angleterre, par le retentissement négatif qui avait suivi le film en immersion sur l'équipe nationale de foot. » En 1993, le manager de la sélection anglaise Graham Taylor avait accepté la présence d'une équipe de tournage tout au long des qualifications à la Coupe du monde aux États-Unis. C'est même lui qui avait blousé la sécurité néerlandaise pour infiltrer le matériel son et vidéo dans les bagages de l'équipe le soir de Pays-Bas - Angleterre. La diffusion du film, alors que les Trois Lions échouèrent à se qualifier, eut des répercussions affreuses pour Taylor, jusqu'à la fin de sa vie, en 2017. De ce documentaire, intitulé « Impossible job », le sélectionneur sortit abîmé, discrédité, ridiculisé. Dans une séquence, on le voit apostropher le quatrième arbitre à la fin du match crucial perdu à Rotterdam : « L'arbitre m'a fait perdre mon boulot, tu le remercieras ! » Il perdra son boulot, effectivement. Tout s'écroule sous les yeux des téléspectateurs. À l'heure de jeu, Ronald Koeman sèche David Platt qui file au but. La couleur du carton (jaune) rend fou Taylor qui touche et enguirlande le quatrième arbitre. Deux minutes plus tard, Koeman ouvre le score sur coup franc, après que l'arbitre lui a donné l'occasion de le retirer. Taylor n'a jamais eu la force de regarder le film. Le réalisateur Ken McGill a, lui, beaucoup culpabilisé des conséquences post-diffusion. « Si on avait dû utiliser une voix off, alors on aurait échoué » Trois ans plus tard, Rees et Humphreys veulent aller encore plus loin dans l'introspection d'une équipe. « Ce qui changeait, c'était notre façon d'observer le sujet, explique Humphreys. Tout devait être en prise directe, sans barrière. D'habitude, dans les docs de sport, il s'agissait principalement d'images de la compétition agrémentées d'interviews. Nous, on a voulu une immersion complète. Pas d'interview posée. Si on avait dû utiliser une voix off, alors on aurait échoué. On aurait dicté une histoire et ce n'était pas du tout le projet. » Les compères s'intéressent avant tout à ce qu'on ne voit jamais ni n'entend. Pour réussir leur affaire, ils ont besoin d'un accès quasiment total à tous les recoins. Ils l'obtiennent. Les filous obtiennent aussi une faveur de Jim Telfer et Ian McGeechan, légendes du rugby écossais et co-entraîneurs des Lions en 1997. « Quel était le deal avec Jim et Ian ? Le deal, c'est qu'il n'y avait pas de deal, rigole Fred Rees. Dès le premier jour, on leur a dit que nous les appareillerions chacun d'un micro-cravate. Ils ne voulaient vraiment pas, ils voyaient ça comme une distraction, un parasite. On leur a dit que c'était dans le contrat et ils ont accepté. Bien sûr que non, ce n'était pas dans le contrat. » « Jason Leonard a donné son aval en précisant : ''Si je vous fais un regard, et vous le connaissez ce regard, vous coupez'' » La force de Living with the Lions commence là, en permettant au téléspectateur de devenir le témoin des conciliabules tactiques entre les coaches, pendant les entraînements, comme pendant les matches. On devient la petite souris qui entend leurs apartés. Qui entend Telfer et McGeechan expliquer pourquoi tel joueur vaudra mieux que tel autre pour le prochain test. « Pour s'approcher au plus près des joueurs dans le vestiaire, il nous fallait un allié de poids, raconte Rees. On est allé voir Jason Leonard (l'ancien pilier anglais), cadre parmi les cadres. Il a donné son aval en précisant ceci : ''Si je vous fais un regard, et vous le connaissez ce regard, vous coupez''. C'est comme ça qu'on a pu tourner ces scènes très fortes, juste avant l'entrée dans l'arène, ces scènes de groupe où les mecs ont besoin de se serrer et où les mots claquent. Ce qui est marrant, c'est que Martin Johnson (capitaine pendant cette tournée) n'a aucun souvenir de notre présence dans le vestiaire alors qu'on n'est pas des gars physiquement discrets. On mesure 1,90 m. Notre avantage, c'est qu'on nous avait donné les mêmes tenues officielles que les joueurs. Ça a sûrement aidé au camouflage. » Si ce film a marqué plusieurs générations, et en marquera d'autres, c'est qu'il plonge dans la vie sociale d'une équipe en route vers un exploit (les Lions remporteront la série 2-1), du moment le plus potache au plus poignant. On rigole en regardant le talonneur irlandais Keith Wood déguisé en juge de la Cour suprême, « perruqué » comme dans Barry Lindon, animant les débats d'un tribunal délirant. On rit aussi au sens de la répartie du deuxième-ligne écossais Doddie Weir (décédé en 2022 des suites de la maladie de Charcot) quand, pour un exercice, un faux journaliste lui assène, pendant une fausse conférence de presse, qu'il a été pris en photo au Cap en sortant de boîte à trois heures du matin : « Erreur d'identité », balance l'accusé. Les ''fuck'' de Keith Woods, la blessure de Doddie Weir, la frayeur Will Greenwood... On compatit avec le géant écossais lorsqu'il est filmé, seul dans le vestiaire, et qu'il sait que cette blessure vient de ruiner sa tournée beaucoup trop tôt. « Pendant le montage, on avait demandé à Keith Wood s'il ne valait mieux pas qu'on retire quelques ''fuck'' de sa bouche, se rappelle Duncan Humphreys. On lui a montré les coupes. ''Non les gars, remettez-les tous, sinon ça ne sonne pas juste, ce n'est pas moi '', nous a-t-il demandé. Quant à Doddie, c'était super émouvant. Il s'en foutait qu'on le filme. Ce qui lui importait, c'était que sa tournée était foutue, qu'il allait laisser ses potes. » Une autre scène a marqué les esprits : celle où le centre anglais Will Greenwood, au plus mal après une collision, est en train d'avaler sa langue. Inconscient pendant dix-sept minutes, Greenwood frôla le pire ce jour-là. « Le sens de notre présence, c'était aussi de montrer ces images, dit Rees. Elles sont dures mais elles font partie de l'histoire de cette tournée. » Leur caméra sut saisir le côté râpeux des entraînements, en montrant par exemple la bagarre qui éclata entre deux talonneurs des Lions (Mark Regan et Barry Williams) au beau milieu d'une séance de mêlée. « Aujourd'hui, avec l'hyper contrôle des gens de communication et les réseaux sociaux, je ne pense pas qu'on pourrait refaire ce film, suppose Fred Rees. De nous-mêmes, on retirerait peut-être une ou deux séquences parce que la société a changé et que certaines choses ne passeraient plus. Mais pas davantage. » « J'ai vu ce film et à la fin, je n'avais qu'une envie : faire partie de ça » Brian O'Driscoll La première mouture de Living with the Lions durait neuf heures. La version définitive s'arrêta à 2h47. Avec, bien sûr, deux morceaux de bravoure. Le discours de Ian McGeechan devant tout le groupe juste avant le deuxième test. Et celui, churchillien, de Jim Telfer avant le premier match de la série, quand il s'adresse aux avants assis en rond à côté de lui. « C'est votre Everest les garçons. Très peu de joueurs de rugby ont eu la chance de le gravir. Les Boks ne vous respectent pas, vous ne valez rien pour eux. La seule façon de changer ça, c'est de leur en coller une, de leur rentrer dedans, de les faire reculer sur chaque plaquage, chaque mêlée, chaque maul... » Demi de mêlée de cette équipe, Matt Dawson ne remerciera jamais assez les deux réalisateurs de lui avoir permis de voir cette scène qui lui aurait été interdite sans le film. Tant et tant de futurs Lions, de Johnny Sexton à Sam Warburton, ont visionné le doc de nombreuses fois. « Moi aussi, dit Paul O'Connell. Ce film a eu un grand impact sur moi. C'est lui qui m'a fait tomber amoureux du rugby. » Quand on lui présenta Fred Rees, Brian O'Driscoll lui tint le même discours : « J'ai vu ce film et à la fin, je n'avais qu'une envie : faire partie de ça. Merci de m'avoir donné une carrière. » Après 1997, chaque tournée des Lions a eu droit à son film. « Mais sans nous, ils ne nous ont jamais appelés, confie Rees. C'est assez stupide non ? » Inutile de vous faire un croquis : vu le succès considérable du film, l'idée née dans le pub était excellente et a été reprise à bon compte. Le coup de génie de Fred Rees et Duncan Humphreys bénéficia en plus d'une dernière caresse du destin. « En 1997, raconte Fred Rees, Living with the Lions est sorti en VHS avant d'être recommercialisé, dès l'année suivante, sur un nouveau support qui se démocratisait : le DVD. Timing parfait, n'est-ce pas ? »

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