21-07-2025
Comment sortir les lecteurs des chambres d'écho
La porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, lors d'un point de presse à la Maison-Blanche, le 7 juillet dernier
Comment combattre la division, la polarisation, les chambres d'écho dans lesquelles s'enferment les électeurs et qui polluent le débat public, particulièrement aux États-Unis ?
Le journaliste américain Isaac Saul y a réfléchi. Et sa proposition pour rapprocher la gauche et la droite américaine est fort intéressante.
Le comté de Bucks, en Pennsylvanie, où Isaac Saul a grandi, est l'une des régions où la division politique est la plus marquée aux États-Unis.
En novembre dernier, Donald Trump y a remporté la majorité avec à peine 0,07 % d'avance sur Kamala Harris… « J'ai grandi dans cet endroit où des membres de ma famille, des amis, des professeurs, des collègues se situaient sur tout le spectre politique », nous raconte le journaliste, en direct de son bureau de Philadelphie.
À une certaine époque, tous ces gens pouvaient se retrouver dans les mêmes médias. Des figures légendaires du journalisme américain, comme l'animateur Walter Cronkite du réseau CBS, arrivaient à rejoindre des auditeurs de toutes tendances, se souvient-il. Mais il a toujours eu l'impression que les gens ne prenaient pas suffisamment la peine de se comprendre, les uns les autres.
PHOTO FOURNIE PAR TANGLE
Isaac Saul
De façon générale, dans ce pays, nous débattons, mais nous n'avons pas beaucoup de dialogue.
Le journaliste Isaac Paul, directeur de l'infolettre Tangle
Au fil des ans, il a vu le fossé se creuser, surtout après l'élection de président Barack Obama. La montée de Facebook, le virage de plus en plus partisan pris par les médias, tant dans les institutions comme Fox News que dans les nouvelles publications numériques, ont détérioré le débat public.
Isaac Saul est devenu journaliste à cette époque, au début des années 2010. Ses premières années dans le métier l'ont déçu. Des titres d'articles tendancieux, des angles partisans…
« J'ai aussi réalisé que, lorsque j'écrivais dans le Huffington Post [un média plutôt de gauche], ma famille et mes amis conservateurs ne lisaient rien de ce que j'écrivais. » Pas parce qu'ils n'aimaient pas ses articles, mais parce qu'ils n'aimaient pas la tendance politique du média. « Ça m'a semblé vraiment dangereux que les gens vivent ainsi dans leur bulle médiatique. »
En 2019, il s'est finalement décidé à faire du journalisme à sa façon. « J'avais toujours eu l'idée d'une publication médiatique qui essaierait de rassembler tous les membres de ma communauté sous un même toit – les conservateurs, les libéraux et les indépendants – avec un terrain commun de faits, d'arguments et de récits à discuter et à débattre. »
Vaste programme… qui a donné naissance à l'infolettre Tangle.
Aujourd'hui, l'équipe de Tangle – qui compte maintenant une douzaine d'employés – offre à ses 400 000 lecteurs (le quart sont des abonnés payants) une revue de presse quotidienne des principaux évènements de l'actualité américaine. On y résume comment la nouvelle est traitée et commentée par la presse de gauche et de droite, en misant sur les arguments rationnels plutôt que les coups de gueule caricaturaux.
Tangle ne s'identifie donc ni comme conservateur ni comme libéral. Ni alternatif ni centriste, d'ailleurs. « Être centriste, c'est une idéologie à part entière », dit son directeur.
Neutre, alors ? « Oui, on pourrait dire que Tangle est neutre. »
Mais est-ce possible d'être « neutre » quand le débat politique américain est vicié par le mensonge et la désinformation ? Isaac Saul balaie la question. D'abord, lui-même n'est pas neutre, il livre aussi le fond de sa pensée sur les enjeux d'actualité.
« Et mon but n'est pas de rassembler tout le monde en cercle en se tenant par la main pour dire qu'on est d'accord et qu'on s'aime ! », ironise-t-il. « En fait, on n'arrive même pas à s'écouter, à la base… »
Et il est là, son objectif : que les gens commencent par s'écouter.
Je pense que la plupart des gens ne souhaitent pas vraiment comprendre les gens avec lesquels ils sont en désaccord. Ils cherchent surtout une occasion de donner leur opinion.
Le journaliste Isaac Paul, directeur de l'infolettre Tangle
Alors que ce qui est vraiment intéressant à ses yeux, c'est de comprendre d'où vient son interlocuteur. Quel a été son parcours de vie ? Comment ce dernier a-t-il influencé son point de vue sur l'avortement, la criminalité, l'immigration ?
D'ailleurs, il s'est lui-même imposé une habitude : toujours poser deux ou trois questions à son interlocuteur avant de faire connaître sa propre opinion.
Une autre chose qu'Isaac Saul a décidé de faire différemment, c'est de reconnaître qu'il se trompe. (Oui, oui, ça arrive, même aux meilleurs journalistes.)
Isaac Saul sourit à l'écran. « La première fois où j'ai dû corriger une erreur dans une publication, j'ai pensé le faire discrètement. Et puis, je me suis dit que c'était une occasion de bâtir la confiance et d'être transparent avec mes lecteurs. »
C'est ainsi que, sur Tangle, les rectificatifs s'affichent bien en vue, en tête de l'infolettre. Isaac Saul consacre parfois même des chroniques entières à reconnaître qu'il s'est trompé dans une analyse précédente.
Dernièrement, il a publié un texte intitulé « Cinq choses sur lesquelles je m'étais trompé à propos de Trump ». Dans les commentaires, on salue « sa sincérité, son honnêteté et son humilité ». « Les lecteurs accordent de l'importance à cette reconnaissance des erreurs », dit-il.
Le lectorat de Tangle a bondi de façon fulgurante durant la dernière campagne présidentielle, signe que les Américains cherchent des façons de s'informer autrement. En fait, pas que les Américains : les abonnés sont désormais répartis dans une soixantaine de pays.
Et ils sont majoritaires à se situer à gauche du spectre politique, reconnaît Isaac Saul. « C'est une préoccupation », ajoute-t-il. Tangle mise désormais une bonne partie de son budget de promotion à se faire connaître des électeurs conservateurs.
Et pour la suite ? Les endroits où le discours public souffre de polarisation ne manquent pas, constate Isaac Saul. Tangle pourrait faire des petits dans les prochaines années. « Je pense qu'on pourrait lancer un Tangle Pennsylvanie, ou même un Tangle Canada, ou un Tangle France… Pourquoi pas ? »
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