5 days ago
Pour commencer à exister, les Îles Marshall délocalisent le premier match de leur histoire en Arkansas
Le dernier pays sans sélection va jouer vendredi aux États-Unis le premier match de son histoire, avec la mission d'obtenir prochainement la reconnaissance de la FIFA.
Sur un terrain de football américain dans une petite ville du centre-sud des États-Unis, capitale mondiale du poulet, se joue cette semaine le destin du dernier pays indépendant sans sélection nationale de football. À trois heures du matin vendredi en France, les Îles Marshall affronteront les Îles Vierges Américaines, 207e nation mondiale, et leur star J.C. Mack, neuf buts en 2009-2010 sous le maillot de l'US Tourcoing. Ce premier vrai match a lieu dans le cadre d'un tournoi amical, l'Outrigger Challenge Cup, organisé en Arkansas par les Îles Marshall pour soutenir leur candidature auprès de la FIFA.
L'archipel, situé en Micronésie, au nord-ouest de l'Océanie, a subi, dès 1946, les essais nucléaires américains de l'atoll de Bikini qui ont laissé des séquelles dans la population et entraîné une forte émigration. Aujourd'hui, le réchauffement climatique et la montée des eaux du Pacifique menacent l'archipel constitué d'une trentaine d'atolls et de cinq îles, culminant à dix mètres d'altitude.
20000 Marshallais vivent à Springdale, dans l'Arkansas
Les Îles Marshall se dépeuplent, de 71000 habitants en 2014 à 39000 en 2023. À Springdale, dans l'Arkansas, on compte 20000 Marshallais, un quart de la population de la ville. Après qu'un certain John Moody, originaire des îles, y a trouvé du travail dans les années 1980 à l'usine de poulet Tyson, le mouvement a été massif et c'est aujourd'hui l'endroit dans le monde qui compte le plus grand nombre de Marshallais en dehors de l'archipel. Leur tout premier tournoi aura lieu ici.
L'idée de créer une équipe de football est née en 2018, d'après Shem Livai, président de la jeune fédération. « Mon fils, qui était en CE1, adorait le foot, explique-t-il. J'ai cherché partout, mais il n'y avait rien d'organisé. J'ai donc décidé de créer une fédération. Ça nous a pris jusqu'en janvier 2020 pour tout officialiser. Après il y a eu le Covid et rien ne s'est passé jusqu'à la veille de Noël 2021, quand j'ai eu mon premier contact avec Lloyd ».
À l'autre bout du monde, Lloyd Owers, entraineur adjoint en 6e division anglaise, postait des blogs sur le foot, et en mars 2021 il écrivait sur X : « Ma femme et moi recherchons une aventure de vie pour nous et notre fils. Si vous êtes au courant d'une opportunité pour entrainer n'importe où dans le monde, contactez-moi. »
« Lloyd nous a trouvés ! », ironise Livai. Entouré d'une bande de footballeurs-entraîneurs anglais, qui eux aussi avaient découvert que les Îles Marshall étaient le dernier pays sur terre sans sélection nationale, Owers, devenu directeur technique, s'est lancé le défi de créer une sélection : joueurs de l'archipel, joueurs basés aux États-Unis, binationaux, Marshallais adoptés, expatriés. 22 joueurs, un même maillot - qui est d'ailleurs devenu célèbre, car l'une de ses déclinaisons a visé à alerter sur la montée des eaux.
« Nous n'avons aucun salarié, tout le monde est bénévole. »
Shem Livai, président de la jeune fédération de foot marshallaise
Il a fallu acheter des ballons, des équipements. « Nous avons bénéficié de la générosité provenant de l'Australie, des États-Unis, du Royaume-Uni. Nous n'avons aucun salarié, tout le monde est bénévole », explique Livai. Les professionnels, comme Owers et Matt Webb, directeur commercial, couvrent les dépenses grâce aux sponsors qu'ils démarchent, mais ne touchent aucun salaire. « Notre aventure a été financée en partie par la vente de nos maillots dans chacun des cinquante États américains et dans quarante pays pays dans le monde », précise Webb, qui participe également à l'aventure en tant que joueur.
Pour constituer l'équipe, Owers a lancé un appel sur Facebook, invitant les joueurs potentiels à s'inscrire en envoyant une vidéo de leurs meilleures actions. « Il y a eu beaucoup de bouche à oreille, raconte Livai. La diaspora marshallaise est très connectée. Nous nous sommes focalisés sur ceux qui étaient citoyens ou résidents ».
Le football aux Îles Marshall ne fonctionne pas tout à fait comme ailleurs. « C'est gratuit, tout le monde est le bienvenu. Des licences ? je n'y avais pas vraiment pensé, reconnait le président de la fédération. Nous n'avons pas de ligue, et nous n'avons qu'un terrain. On ne nous laisse pas encore jouer dessus, le temps que l'herbe pousse ! »
« On veut proposer pour les jeunes une alternative aux sports américains comme le basket »
Tony Theomae, entraîneur adjoint de la sélection marshallaise
« On ne se complique pas la vie, on joue les soirs sur les terrains de basket, tout le monde peut jouer. On veut proposer pour les jeunes une alternative aux sports américains comme le basket », explique Tony Theomae, entraineur de foot local et adjoint de la sélection. « Certains joueurs découvrent l'herbe pour la première fois, ajoute Jack Hutchinson, également entraîneur adjoint. Il n'y a pas de clubs. Quelques joueurs sont à la fac aux États-Unis, mais nous n'avons pas de professionnels. Vous ne trouverez personne sur Transfermarkt, mis à part Matt » (Perrella, gardien de 34 ans, qui a évolué en D4 américaine). Le défenseur Josiah Blanton, 23 ans, évolue au même niveau ; le défenseur Gladius Edejer, 17 ans, très physique -au point de pratiquer aussi le football américain - est l'un des espoirs de la sélection.
Malgré leur manque d'expérience, les Marshallais veulent marquer les esprits contre les Iles Vierges puis lors d'un deuxième match face aux Îles Turques-et-Caïques, 206es au classement mondial, prévu le 16 août. « Qu'ils gagnent ou qu'ils perdent, on sera fiers d'eux, lance Livai. On est ici pour faire quelque chose d'historique ».