10-08-2025
Jean-Luc Boegli: comment il s'est relevé après avoir tout perdu
Portrait de Jean-Luc Boegli
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L'ancien «roi des souvenirs» mise sur les crêpes pour rebondir
L'empire qu'il avait construit s'est écroulé pendant la pandémie. Aujourd'hui, le Jurassien se réinvente avec un projet culinaire.
Claudia Gnehm
Jean-Luc Boegli pose dans sa crêperie de Moutier avec son lévrier «Bobby».
Raphael Moser
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En bref : Il a quitté le Jura à 19 ans et s'est installé à Zurich. À 25 ans, il était déjà chef d'entreprise.
La pandémie a forcé la liquidation de ses boutiques Edelweiss. Il a alors perdu tout ce qu'il avait bâti au fil des années.
Reparti de zéro, il gère désormais une entreprise de crêpes à Moutier, où il vit avec ses trois enfants.
La dernière fois que Jean-Luc Boegli a fait les gros titres, c'était en janvier 2021, pendant la pandémie. Quand le patron de ce qui était la plus grande entreprise de souvenirs en Suisse, avec ses 65 employés, a été contraint de liquider ses boutiques Edelweiss. En quelques jours, l'homme a perdu tout ce qu'il avait bâti au fil des ans. Pourtant, début 2020, les affaires marchaient bien. Il venait de rénover deux magasins après trois années florissantes et préparait l'ouverture d'une nouvelle boutique.
Nous le retrouvons dans sa crêperie à Moutier. Derrière le comptoir, son crêpier étale la pâte avec régularité sur la plaque chaude. Son lévrier, confortablement installé sur ses genoux, observe la terrasse du centre-ville, qui se remplit peu à peu de clients. «C'est ma nouvelle vie», dit-il simplement.
Il vient de décharger 4 tonnes de pâte à crêpes pour réapprovisionner son entrepôt. Il est un peu fatigué, mais satisfait. Il s'agit de sa préparation maison, qu'il commercialise dans toute la Suisse sous la marque La Crêperie of Switzerland. Il vend aussi des accessoires et des ustensiles pour les crêpes.
«Un petit poisson dans un grand étang»
Avec ses boutiques Edelweiss et ses marques comme Swiss Military et Alpine Club, Jean-Luc Boegli a révolutionné le marché du souvenir à partir des années 2000: vente directe au lieu de multiples intermédiaires, t-shirts fabriqués en Inde et imprimés dans le Jura. Il gérait chaque détail lui-même.
Il était surnommé le roi du souvenir. Si sa trajectoire a tout du conte du self-made-man, il a été brutalement coupé dans son élan par la pandémie. «Parce que j'étais un petit poisson dans un grand étang», dit-il. Deux entreprises, qui ont collaboré avec lui mais préfèrent rester anonymes, estiment qu'il a simplement manqué de chance.
Jean-Luc Boegli décrit son échec: «On a souvent dit que j'étais laissé-pour-compte. Mais j'étais plutôt pris dans un étau. Je ne voyais pas d'issue.»
Départ pour Zurich à 19 ans
Tout a commencé il y a trente ans, lorsque Jean-Luc Boegli s'est installé à Zurich avec de grands rêves en tête. De simple employé au kiosque de l'aéroport, il est rapidement devenu responsable de boutique, puis a dirigé d'autres points de vente dans les aéroports, ouvert des magasins à la gare de Zurich et étendu ses activités jusqu'à Genève. En parallèle, il gérait une société commerciale qui fournissait jusqu'à 300 boutiques de souvenirs.
Jean-Luc Boegli dans l'une de ses boutiques Edelweiss à la gare centrale de Zurich, en 2014.
Sabine Bobst
Avec les revenus générés, il s'est offert une belle maison et plusieurs voitures. Il aimait vivre à cent à l'heure, notamment à travers sa passion pour le rallye. Son patron de l'époque, le propriétaire des kiosques de l'aéroport, appréciait l'ambition du jeune Jurassien. À 25 ans, Jean-Luc Boegli a pu reprendre l'entreprise de souvenirs, grâce à un crédit bancaire et à un prêt de son prédécesseur, qu'il a remboursé par versements annuels allant jusqu'à 150'000 francs. Un prêt qui, dit-il, a fini par causer sa perte.
Tout fonctionnait parfaitement pour lui. Il avait bâti une entreprise de plus de 65 collaborateurs, fondé une famille avec trois enfants. Il était perçu comme un modèle de self-made-man, possédait une belle maison et était invité aux événements économiques. «J'étais quelqu'un», dit-il fièrement.
Il a fini de rembourser ses dettes bancaires en 2018. Puis la pandémie a frappé, et son entreprise, dépendante du tourisme, s'est effondrée comme un château de cartes.
La banque ne voulait plus entendre parler de Jean-Luc Boegli
Lors du premier semi-confinement, en mars 2020, alors que plus personne ne voyageait, le chiffre d'affaires de l'entrepreneur s'est effondré. Il a certes perçu les premières aides de l'État, mais elles étaient plafonnées à 500'000 francs, alors que son entreprise réalisait 12 millions de chiffre d'affaires. Le coup de grâce est survenu lorsqu'il a rouvert, à la fin du confinement en mai, ses trois boutiques à l'aéroport ainsi que celles des gares de Zurich et de Genève. Les touristes ne sont pas revenus. «On a littéralement brûlé de l'argent», résume-t-il. Les loyers exorbitants et les salaires sont vite devenus des gouffres financiers.
Il a alors désespérément tenté d'obtenir des crédits de transition, mais sa banque de longue date n'a pas réagi, dit Jean-Luc Boegli. Même une lettre adressée au Conseil d'État zurichois est restée sans réponse. «Personne ne m'a aidé, le fait que ma branche n'ait pas de lobby m'a été fatal.» Pour ne rien arranger, son créancier, qui connaissait la situation de son entreprise, a demandé le remboursement anticipé du solde de son prêt.
Le 2 décembre 2020, il déposait le bilan. Trop tôt peut-être. Peu après, la Confédération et les cantons annonçaient de nouvelles aides. «Mais je n'étais déjà plus que l'ombre de moi-même», explique-t-il.
Rupture et retour aux sources
Peu de temps après, sa femme l'a quitté. «L'incertitude, les hésitations, l'improvisation constante étaient pesantes et elle a fini par partir», confie-t-il. De nombreuses personnes se sont également détournées de lui. «Sans argent, tu n'es personne à Zurich», dit-il, pensif, en servant un verre de cidre importé de Bretagne. Sans sa foi solide, il affirme qu'il n'aurait pas survécu à cette période sombre. Il n'a reçu aucune indemnité de chômage. Comme il était employé de sa propre SA, il n'y avait pas droit, bien qu'il ait payé des cotisations de chômage pendant des années.
L'année suivant son naufrage, il a vendu sa maison près de Zurich, a passé son brevet d'aubergiste et a déménagé dans le Jura avec ses enfants. Ses parents y vivent également, et le coût de la vie est plus faible. Il peut aussi s'adonner à sa passion, la pêche à la mouche.
Avec sa crêperie à Moutier, Jean-Luc Boegli a plus de liberté qu'avant.
Raphael Moser
Jean-Luc Boegli voulait reconstruire une activité indépendante des cycles touristiques et des charges fixes. Les crêpes lui ont semblé représenter un créneau porteur. Si elles sont connues en Suisse romande, elles restent encore marginales en Suisse alémanique. La crêperie de Moutier fait aujourd'hui partie de sa nouvelle entreprise, mais l'essentiel de l'activité repose sur la vente en ligne et la location d'équipements pour la préparation de crêpes. Avec ses quatre collaborateurs, il assure également des services de traiteur pour des entreprises et des festivals dans toute la Suisse. Il lui arrive même de se mettre lui-même au fourneau.
Aujourd'hui, il affirme qu'il va mieux qu'avant. À l'époque, il gagnait bien sa vie, mais il vivait constamment sous pression. Et si une nouvelle pandémie devait survenir? Sa crêperie survivrait grâce à des frais fixes peu élevés, estime l'entrepreneur. Il en serait de même pour son activité de vente de meubles vintage, qu'il gère en parallèle.
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Claudia Gnehm ist Wirtschaftsredaktorin mit Fokus auf die Finanzbranche und internationalen Handel. Plus d'infos
@claudiagnehmzh
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