4 days ago
Rozon fait l'étrange procès de son procès
Gilbert Rozon, au palais de justice de Montréal, répondant aux questions des journalistes, mercredi
Accusé par neuf femmes d'agression sexuelle, Gilbert Rozon s'est présenté en véritable victime au palais de justice, cette semaine. En marge de son contre-interrogatoire, il a fait le procès de son propre procès devant les journalistes attroupés.
À entendre le fondateur de Juste pour rire, le système de justice permet la « légalisation de l'extorsion ». L'expérience d'une poursuite est tellement violente qu'il estime préférable de régler à l'amiable, même quand on n'est pas coupable.
Demain matin, si un ami avec toutes les preuves de son innocence l'appelait pour lui demander conseil, il lui répondrait : « Non, non, fais un chèque ! Ne va pas à la cour, tu vas tout perdre ! »
Notre système de justice est-il à ce point inhumain, inadéquat ?
Étrangement, c'était le discours qu'on entendait de la part des victimes de violence sexuelle lorsque le mouvement #metoo est né. Rebutées par les démarches judiciaires, plusieurs victimes avaient alors dénoncé leur agresseur directement sur les médias sociaux.
Cette vague a poussé le gouvernement du Québec à revoir les règles entourant les procès de violence faite aux femmes. De très belles avancées ont été accomplies pour mieux accompagner les victimes. Le Québec a été à l'avant-garde. Nos élus ont travaillé de façon transpartisane. On peut être fier du chemin parcouru.
La création d'un tribunal spécialisé a notamment permis d'offrir un environnement plus adapté pour les cas de violence sexuelle et conjugale. Aujourd'hui, on offre davantage d'information judiciaire et d'accompagnement psychosocial pour aider les victimes à passer à travers cette épreuve.
De plus, le nouvel article 2858.1 du Code civil a mis des bâtons dans les roues des avocats qui tentaient de détruire la crédibilité d'une victime en lui posant des questions qui entretiennent des mythes et des préjugés, des questions qui insinuent sournoisement qu'elle n'est pas la « victime parfaite ».
Pourquoi aviez-vous une jupe courte ? Pourquoi ne pas avoir porté plainte immédiatement après l'agression ? Pourquoi avoir continué de voir l'agresseur par la suite ?
Ce nouvel article ne fait que codifier ce qui était déjà reconnu dans la jurisprudence. Et l'avocat peut encore poser ce genre de questions, mais seulement s'il parvient à convaincre le juge de leur pertinence. Le fardeau est sur ses épaules.
Néanmoins, Gilbert Rozon conteste ce nouvel article qui est entré en vigueur quelques jours avant le début de son procès.
Il conteste aussi l'abolition du délai de prescription civile qui permet à une victime d'agression sexuelle de poursuivre son agresseur, peu importe le temps écoulé depuis les faits. Auparavant, il y avait une limite de 30 ans.
Cette modification – réclamée par le Barreau du Québec et le Protecteur du citoyen et adoptée avec l'appui des quatre partis politiques représentés à l'Assemblée nationale – est pourtant un grand pas en avant. On sait que les victimes mettent souvent des décennies à déposer une plainte.
Il est important de souligner que toutes ces améliorations apportées dans la foulée du mouvement #metoo n'ont pas déséquilibré la balance de la justice. Elles ont mieux huilé ses rouages. C'est tout.
Le fardeau de la preuve reste le même. Et un procès restera toujours un passage difficile pour les victimes… mais aussi pour ceux qui sont accusés à tort. Leur défense entraîne des frais, égratigne leur réputation.
Gilbert Rozon n'est pas le seul à s'en plaindre. Mais justement, le tribunal lui permettra de laver sa réputation, s'il est acquitté. C'est exactement à cela que sert la justice. Et peut-être encore plus la justice civile…
Au civil, le juge tranche en faveur de la version qui est la plus probable, celle qui lui semble la plus proche de la vérité.
C'est différent du criminel, où le fardeau de la preuve est plus lourd, parce qu'on ne veut pas courir le risque d'envoyer en prison une personne non coupable. Le juge doit être convaincu « hors de tout doute raisonnable » que l'accusé a bel et bien commis le crime dont on l'accuse.
C'est ce qui fait en sorte que Gilbert Rozon a été acquitté en 2020 au criminel, même si la juge a pris soin de dire qu'elle ne croyait pas sa version.
Qu'en sera-t-il cette fois-ci ? Au tribunal de trancher.
Mais en attendant leur jugement, les personnes injustement poursuivies ne sont pas à court d'options.
Il existe des dispositions qui permettent de rejeter à un stade préliminaire les poursuites abusives ou mal fondées, ou encore de rembourser le défendeur pour les frais encourus.
Le défendeur peut aussi déposer une poursuite en diffamation qui peut être étudiée dans le même procès, dans le cadre d'une demande reconventionnelle.
Or, Gilbert Rozon n'a utilisé aucun de ces outils, même s'il se présente comme une victime, « comme un paria » forcé de se défendre seul contre un groupe de femmes qui ont été « embrigadées » pour lui réclamer 14 millions.
Gilbert Rozon a eu l'occasion d'exprimer son point de vue en cour. Faire le procès de son procès ne l'aidera pas à obtenir gain de cause.
Quant au système de justice, il n'est certainement pas parfait. Mais il faut reconnaître qu'il s'est amélioré dans la foulée du mouvement #metoo.