7 days ago
Connaissez-vous la technique de « l'homme ivre », en kung-fu ?
Popularisée par Jackie Chan, la technique de l'homme ivre est l'une des plus spectaculaires et redoutables du kung-fu. Et l'une des plus difficiles à maîtriser.
Dans Karate kid : Legends (sortie le 13 août), Jackie Chan interprète un maître de kung-fu très sérieux. À l'opposé des comédies d'action qui ont fait sa gloire à la fin des seventies. L'acteur chinois, 71 ans aujourd'hui, y déployait des trésors d'acrobaties sur un canevas simple : un homme devient un combattant redoutable dès lors qu'il a un coup dans le nez. Le style de l'homme ivre, ou « Zui quan » (« poing ivre » en mandarin), trouvait là une formidable publicité. Et servait d'élément déclencheur pour un grand nombre des 35 000 licenciés français actuels de Wushu (arts martiaux chinois), répartis au sein de deux fédérations.
Les origines du « Zui quan » se perdent. La première mention de la technique date du XIVe siècle dans un roman d'aventures chinois. Impossible ensuite de tracer une filiation claire de maître à élèves. Le flou a généré une certaine confusion, laissant à penser que Jackie Chan en était l'inventeur. Grâce à l'acteur, le Zui quan est en tous cas devenu une référence de la pop culture, de la saga Matrix au jeu Street Fighter 6, dans lequel le personnage de Jamie, combattant taïwanais, a toujours une gourde d'alcool fort à disposition.
Saisie des parties génitales, coups portés aux yeux, étranglements...
D'un coup d'oeil, le style de l'homme ivre est reconnaissable : un combattant se présente en titubant, son apparente vulnérabilité faisant baisser la vigilance de son adversaire. Jean-François Rapelli, responsable national Zui quan au sein de la FFK Wushu, a créé des stages dédiés en France. Dans son enseignement, le maître termine par l'ivresse : « Les styles mimétiques sont au coeur du kung-fu. On commence par les mouvements les plus simples comme ceux inspirés par le tigre ou le dragon. À la fin, on aborde les deux derniers : le singe et l'homme ivre. »
Si le Zui quan arrive en fin de parcours, c'est parce qu'il est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Le style de l'homme saoul compte 15 taos (ou enchaînements), dont l'un, baptisé « La boxe des 8 immortels », dure à lui seul dix minutes. Il faut aussi savoir mimer le boitement ou le porté de jarres et utiliser des objets incongrus comme l'éventail ou le parapluie. Une gageure.
Derrière ses aspects ludiques, le Zui quan n'en reste pas moins redoutable : saisies des parties génitales, coups portés aux yeux, étranglements... Le tout avec rapidité et vélocité, rappelle Jean-François Rapelli : « À Taïwan, mon maître me disait : il faut être comme une porte qu'on ouvre. Il s'agit d'esquiver au dernier moment en étant très souple, très relâché. Puis, c'est un retour de manivelle, on se durcit et on frappe en utilisant la force de l'autre. Le principe est celui du tourbillon : on vient s'enrouler sur une attaque. Jackie Chan le fait très bien et ça lui permet d'arriver au corps à corps. »
« Il y a les blocages, les prises, les coups de pied qui surprennent... Certains pensent que c'est "bullshido", mais en réalité non. Les ciseaux et les balayettes sont beaux et dévastateurs. »
Eskindir Tesfay, ancien champion allemand de K-1 formé à la technique de « l'homme ivre »
Comme de nombreux aspirants, Lou a commencé par dévorer la trilogie hongkongaise Drunken Master avant d'apprendre les styles traditionnels du kung-fu, à l'âge de 15 ans. Mais c'est cinq ans plus tard qu'elle s'est attaqué au « poing ivre » : « J'ai aimé le côté mimétique et l'efficacité du style. Chaque geste sert à quelque chose. Comme il faut de la souplesse et de la raideur, il y a la possibilité de se défendre sans faire mal... Ou pas. »
Un sens de la comédie indispensable
Un point sur lequel s'accorde Eskindir Tesfay, ancien champion allemand de K-1 formé au Zui quan avec Jean-François Rapelli à Taïpei (Taïwan): « Il y a les blocages, les prises, les coups de pied qui surprennent alors que vous jouez la faiblesse. Certains pensent que c'est "bullshido" (mot-valise composé de bullshit et de bushido désignant un art martial inefficace), mais en réalité non. Les ciseaux et les balayettes sont beaux et dévastateurs. » Une approche que l'Allemand a mise à profit en tant qu'acteur dans des films comme Uncharted (2022) ou Hunger Games (2023), ou encore Kung-Fu Yoga (2017) avec... Jackie Chan.
L'aspect martial ne saurait faire oublier le vrai secret du poing ivre : le théâtre. Au-delà de la technique, le sens de la comédie est en effet indispensable pour conférer au style son plein rendement. Matthias Fortune a créé en 2024 la pièce Au nom du père, du fils et de Jackie Chan (en tournée cet automne et cet hiver). L'acteur y raconte son histoire personnelle, agrémentée de démonstrations convaincantes de kung-fu.
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« La boxe de l'homme ivre est particulièrement jubilatoire et imprévisible. Certains pratiquants excellent dans les gestes, mais n'ont pas forcément la dimension de « jeu », explique-t-il. L'effet de surprise tombe alors à plat. Une obligation dont Jean-François Rapelli a tiré une maxime : « En combat, il faut paraître faible quand on est fort et fort quand on est faible. Sur le même principe, le Zui quan montre qu'il faut paraître ivre quand on est sobre et sobre quand on est ivre. »