3 days ago
« C'est la vraie croisée des chemins »
Après l'été, Florence K fera la rencontre de ses premiers patients, dans la clinique de psychologie de l'UQAM, passage indispensable à l'obtention de son doctorat.
Le titre de cette série semble avoir été créé sur mesure pour la chanteuse, musicienne, chroniqueuse, animatrice à la radio, conférencière et bientôt psychologue. Après des années de transition en douceur, mêlant piano et études, le début de ses stages marquera une transition dans sa vie.
« Je te dirais que vraiment, cet été, pendant que tu fais cet article-là, c'est la vraie croisée des chemins », m'a-t-elle dit, assise sur son sofa, entourée des siens et de son minuscule caniche brun.
À 42 ans, Florence Khoriaty est passionnée par la psychologie humaine au point d'y consacrer neuf ans d'études et de vouloir en vivre. Elle donne déjà des conférences sur le sujet en plus de tenir une chronique à la radio. Mais le début de ses stages rendra son rêve plus concret que jamais. La musique, elle, se déplacera doucement… sans quitter son cœur.
L'artiste aimerait continuer à chanter pour le public de temps à autre. Pas pour payer les factures, juste pour vivre un moment agréable.
Quand je vais monter sur scène, j'aurai choisi les occasions. Ça va être dans des moments où je me sentirai bien. Ça va juste être du plaisir.
Florence K
Ses réflexions sur son avenir professionnel sont évidemment teintées par la profonde transformation de l'industrie de la musique. Les plateformes d'écoute en continu ont eu un effet dévastateur sur les revenus de ceux qui ne créent pas des mégasuccès. Et sur leurs façons de travailler.
Les artistes qui ne peuvent plus compter sur la vente d'albums doivent miser sur les tournées. « Mais c'est saturé ! Il y a plus d'artistes, mais pas plus de salles nécessairement, lâche-t-elle. J'ai tellement eu des désillusions dans la dernière année face à la façon dont l'industrie pouvait fonctionner… »
Elle se demande aussi : « Dans 10 ans, est-ce que je vais encore être en état de faire de la tournée ? En plus, je m'ennuie profondément de ma maison, de mes enfants, quand je pars. » C'est sans compter que les chanteurs doivent désormais alimenter les réseaux sociaux constamment pour garder le contact, une nouvelle tâche accaparante, exigeante.
J'en conclus que l'aspirante docteure est fort prévoyante. Elle éclate de rire quand je lui souligne cette démonstration de sagesse, notamment financière. Elle y voit plutôt la preuve de son anxiété ! Quoi qu'il en soit, les bancs d'école ne sont pas un fardeau qu'elle s'inflige en désespoir de cause. Florence a toujours aimé étudier. « C'est le fun de se coucher le soir et de sentir qu'on a appris. »
D'ailleurs, après le cégep, elle avait obtenu un bac en communication. « Je ne me voyais pas arrêter d'étudier après le cégep. C'était aussi pour avoir un plan B parce que ma mère, oui elle est connue aujourd'hui, mais j'ai vu mes parents rusher énormément les 10 ou 12 premières années de ma vie. J'ai vu comment ce n'était pas facile pour eux de gagner leur vie avec leur art. Je n'ai pas voulu vivre ça. »
Autrement dit, l'histoire se répète.
La motivation ne manque pas. Mais Florence le dit sans détour : concilier ses rôles d'étudiante, de mère et d'artiste est un numéro d'équilibriste épuisant. À lui seul, le doctorat lui demande de 30 à 60 heures par semaine. Par la force des choses, c'est devenu un projet « familial », me dit-elle, pendant que son amoureux vide le lave-vaisselle. Sans le soutien de sa tribu, elle n'y arriverait pas.
Voilà pourquoi elle s'est souvent exclamée, en rentrant à la maison : « On a eu A+ ! » Pour elle, il est évident que toute la maisonnée a contribué à sa note… ne serait-ce qu'en écoutant ses exposés de vulgarisation scientifique.
Florence insiste d'ailleurs sur le « sérieux » et la « rigueur » de la psychologie, tout en rappelant que le cerveau est un « organe ». « C'est la santé des gens. On ne peut pas se permettre de faire des trucs qui ne sont pas prouvés scientifiquement. La recherche est hyper importante. »
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE
L'artiste se passionne également pour la recherche et les statistiques.
Je n'exclus pas l'idée que je vais peut-être devenir professeure d'université ou chercheuse après, parce que j'aime beaucoup la recherche aussi.
Florence K
Contre toute attente, elle est tombée amoureuse des statistiques. « La journée où tu comprends que tes données, tes analyses racontent une histoire, c'est comme… la plus belle affaire au monde ! »
La passion de Florence est contagieuse lorsqu'elle parle de ses recherches, des théories sur le vieillissement, du pouvoir des émotions ou des facteurs de protection. Ça tombe bien : elle aime utiliser ses talents de communicatrice pour partager ses connaissances.
Jusqu'ici, elle a donné une centaine de conférences sur le thème de la psychologie. Elle tient aussi une chronique sur le sujet à l'émission de radio Dessine-moi un matin, animée par Franco Nuovo à Radio-Canada… chronique qu'elle agrémente d'une chanson au piano.
« On peut être bipassionnel ! »
La psychologie s'avère aussi une manière pour elle de redonner au suivant. « J'ai envie de travailler dans un métier de relation d'aide, j'ai envie de me mettre au service de mes futurs patients. »
Étant donné son vécu, son diagnostic de bipolarité de type II, sa dépression majeure, sa psychose, elle a la conviction qu'elle sera « vraiment capable d'empathie ». On le serait à moins.
D'ici la fin de ses études, elle poursuivra ses travaux de recherche en travaillant dans deux laboratoires de l'UQAM, le CREO (qui s'intéresse à la manière dont le cerveau produit des idées originales) et le GRACE (qui se penche notamment sur le développement de l'identité chez les artistes et les athlètes). Ces sujets, Florence les incarne et les étudie avec l'enthousiasme d'une personne qui a trouvé sa voie.
Elle rédigera aussi sa thèse qui porte sur un sujet très peu étudié : l'influence de l'humeur et de la santé mentale sur le niveau de créativité des artistes. Ses travaux lui permettront, dit-elle, de démolir le mythe selon lequel les artistes torturés sont plus talentueux. Avec sa recherche scientifique, à laquelle 200 artistes de la scène du Québec ont participé, Florence promet de nous apprendre beaucoup de choses avec « ses gros chiffres ». Elle lancera aussi une seconde étude, pancanadienne celle-là, avec 300 participants qui passeront des tests de créativité au fil du temps tout en décrivant leur humeur.
Les artistes qui deviennent des scientifiques étant plutôt rares, sa transition amène quelques questions inédites. Les psychologues se doivent d'être « le plus neutres possible », comme des feuilles blanches pour leurs patients. Or, la vie personnelle de Florence K est abondamment documentée en ligne. Y aura-t-il un impact ? Que faire si des admirateurs se présentent à la clinique, si des patients sont admiratifs ?
Ces questions inédites ont suscité des discussions avec ses professeurs. Mais comment savoir ce qui va arriver ? Il n'y a pas de précédent. Alors Florence devra devenir psychologue pour avoir des réponses.
Chaque jour, ce rêve se rapproche. Après avoir donné à son public des moments de bonheur avec sa voix magnifique, Florence K s'apprête à devenir une oreille attentive. Encore une façon, pour elle, de se mettre au service des autres. De faire du bien.