05-08-2025
Ni vraiment rosé, ni vraiment rouge : pourquoi ce vin léger emblématique du sud de la France a tout pour séduire
Longtemps boudé par les palais français au profit de rosés plus pâles, le tavel, célèbre vin gardois, opère un retour en grâce.
«Can't I order a light red, please ?» (Puis-je avoir un verre de vin rouge léger, s'il vous plaît ?). Cette requête, formulée par une cliente américaine attablée en terrasse du Clown Bar, restaurant assez porté sur la cause bachique du 11e arrondissement parisien, ne surprend plus le sommelier officiant sur les lieux. Il s'exécute sans broncher, versant délicatement un vin que les connaisseurs identifient aussitôt grâce à la salamandre sur son logo : L'Anglore. Incarnation de l'excellence de l'appellation Tavel depuis plus de vingt ans, le domaine de la famille Pfifferling est une locomotive. Il entraîne dans son sillage une nouvelle génération de vignerons, désireuse de redonner ses lettres de noblesse à ce cru méconnu en France.
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Des vignes complantées, une couleur soutenue, des tanins digestes et une bouche fraîche : nul doute, vous dégustez un tavel. Ce cru inclassable de la vallée du Rhône méridionale possède un atout majeur pour répondre aux attentes des consommateurs en quête d'authenticité. Alors que le secteur de la restauration, confronté à une baisse du pouvoir d'achat et aux difficultés de réservation, mise sur le tourisme, la clientèle américaine représente une manne inépuisable. Selon le Comité régional du tourisme, pas moins de 2,5 millions d'Américains ont arpenté les rues de la capitale en 2022, générant plus de 533 millions d'euros de recettes pour la même année. Curieux et ouverts d'esprit, ces visiteurs n'hésitent pas un instant à suivre les conseils éclairés d'un sommelier.
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Rosé foncé ou rouge léger ? Le dilemme de Tavel
Le slogan «1er rosé de France», fièrement affiché sur le toit de la cave coopérative à l'entrée du village de Tavel, est aujourd'hui au cœur d'un débat houleux. Le tavel est-il vraiment un rosé ? Tandis que les Côtes de Provence s'appuient sur des ambassadeurs de choix comme Brad Pitt et Angelina Jolie, Tavel ne peut jouer dans la même catégorie médiatique. Pour Florian André du château de Manissy et Thibault Pfifferling de L'Anglore, la réponse est claire : «Le tavel est un clairet, comme on en produit à Bordeaux . Un vin rouge de macération tendre et fruité.» Cette distinction est cruciale pour repositionner ce vin unique.
Fraîchement élu en avril, Julien Courdesse, le nouveau président de l'appellation, est conscient de la tâche colossale qui l'attend. Il lui faut réconcilier les «gros faiseurs» qui vendent en grande distribution et les vignerons soucieux de la qualité. L'inquiétude est palpable. Jean-Baptiste Lafond a même entendu, lors d'une récente réunion syndicale, certains vignerons envisager de «réduire la couleur du tavel avec du charbon actif…» Une démarche qui en dit long sur les tensions existantes au sein de l'appellation. Gaël Petit, qui produit aujourd'hui l'un des vins les plus fins de Tavel, abonde dans ce sens : «Au cours de la décennie 90, Tavel a oublié comment faire du vin, l'œnologie a pris le pas sur la viticulture», déplore-t-il.
«Ne plus être vus comme des ovnis»
Florian André, vigneron, se veut cependant plus rassurant. «Grâce à nos échanges avec Éric, Thibault, Alexandre (domaine Alexandre Hote) et le travail accompli dans nos vignes, nous souhaitons inverser la tendance et ne plus être vus comme des ovnis. La balle est dans le camp des vignerons tavelois.» Le tavel est avant tout un vin de gastronomie, capable de s'accorder avec un repas entier, soit un argument de poids pour les puristes.
Pour reconquérir le palais des Français, souvent habitués aux rosés translucides, il faut se plonger dans l'histoire. Au début du siècle dernier, Paul Ramain, docteur et scientifique plus connu pour ses travaux dans le cinéma, nourrissait une passion dévorante pour le vin et la gastronomie. Dans son livre Les Grands vins de France publié en 1931, il décrit avec précision les caractéristiques des vins de Tavel. Extraits choisis : «Les vins de Tavel sont des vins lumineux distingués, ce sont d'excellents vins de rôtis, délicats à l'estomac.» Il poursuit : «Vins nerveux d'une belle couleur hématurique, le tavel est un rosé foncé généreux et limpide.»
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«N'est-ce pas formidable ?», interroge Éric Pfifferling, le sourire en coin. L'homme qui a fait le choix audacieux de quitter la cave coopérative au début des années 2000 pour créer son propre domaine s'inscrit dans une démarche d'artisan consciencieux. Avec le temps, il est parvenu à fédérer autour de cette vision des vignerons tels que Gaël Petit, Florian André, les frères Lafond et Ambre Delorme. Ensemble, ils œuvrent à redonner au cru toute sa noblesse et sa place parmi les grands vins de France, espérant que les palais français suivront bientôt l'exemple américain. Et qu'eux aussi, en terrasse, commanderont bientôt un «light red» du nom de Tavel.