10-07-2025
« Bienvenue à La Boderie » : reportage dans le domaine de Guillaume Martin-Guyonnet en Normandie
La Boderie, le domaine géré par Guillaume Martin-Guyonnet au coeur de Normandie traversée ce jeudi par le peloton du Tour de France, est chargée d'histoires et d'héritage pour le coureur de Groupama-FDJ. Début mai, il nous en a ouvert les portes.
La vie normande est-elle une départementale sur laquelle chaque carrefour mène à un pommier ? Celle de Guillaume Martin-Guyonnet, paisible, y ressemble un peu quand il est chez lui. Un matin de mai, il avait donné rendez-vous avec Guy Lefèvre de La Boderie à Sainte-Honorine-la-Chardonne, sur le domaine qu'il continue à retaper doucement, sûrement, éperdument. Lefèvre de La Boderie est sans âge, son histoire se raconte pièce après pièce, souvenir après souvenir, dans un grand méli-mélo mêlant héritage, transmission et fierté familiale.
Le long de ces murs à qui il manque parfois des pierres, le long des chemins de graviers qui mènent à l'enclos des ânes et à celui des chèvres, sous les poutres qui ornent encore la grange désormais transformée en dojo, Guillaume Martin-Guyonnet (32 ans) respire. Il respire et s'évade. Le vélo n'est pas absent de cet univers, seulement secondaire. Jamais seul. Lefèvre de La Boderie est un humaniste du XVIe siècle, homme de lettres, secrétaire du Duc d'Alençon, le frère du roi Henri III. Il a vécu dans cette bâtisse, que le peloton apercevra peut-être au loin ce jeudi sur la route de la 6e étape entre Bayeux et Vire.
Martin-Guyonnet en a fait le personnage central de son dernier roman, Les gens qui rêvent, et il parle de lui en faisant visiter son havre de paix et de travail normand avec plus d'étoiles dans les yeux que s'il commentait un top 10 du classement général du Tour de France. À travers lui, il remonte le temps et l'histoire du lieu à nul autre pareil. « J'ai grandi avec lui, explique-t-il à propos de La Boderie, qui est aussi le nom de ce domaine de douze hectares. Toute mon enfance, dans cette maison, c'était de l'archéologie. Et on fait encore ça. Dans un endroit en contrebas de la maison, c'est cadastré comme un ancien cimetière. J'ai creusé avec ma mini-pelle, je n'ai pas encore trouvé la tombe mais je suis tombé sur des fondations. C'est passionnant quand tu as grandi sur place d'imaginer les gens qui y ont été des siècles avant... Certaines pierres ont été prises ici pour être mises là et tout cela se lit sur les murs. »
Martin-Guyonnet a repris le flambeau de ses parents en 2019 mais la transition avait commencé auparavant dans un endroit où ses parents étaient arrivés en 1994. Parfois, sa mère, qui travaille avec lui sur le domaine (4 gîtes, dont un pavillon japonais, un autre héritage familial), l'appelle après ses courses et l'entreprend sur la comptabilité, les papiers, la communication, les décisions à prendre. Un fil tissé du vélo aux cailloux normands dont Martin-Guyonnet a besoin. « Il fallait que ça ait un sens de faire ça. C'est là où j'ai grandi. C'est aussi le projet assez fou de mes parents et j'aurais été triste que ça s'arrête avec eux, qu'il n'y ait pas de continuité, d'héritage. Reprendre une ruine ailleurs, ça n'avait aucun sens », explique celui qui est ce jeudi matin 23e à 5'25'' de Tadej Pogacar au classement général du Tour de France.
Méticuleux sur son vélo, rigoureux, jusqu'au-boutiste, il l'est aussi au domaine. « Sur les choses avec moins d'enjeux, j'avais envie de mettre la main à la pâte, lance « GMG » en indiquant de la main un petit mur en pierre. C'est ma passion, je peux être assez obsédé par ça. Il y avait une tour du XVIe en ruine, ça a été ma grande obsession du confinement, je voulais la remonter, je ne pensais qu'à ça. Le soir, je pensais à mes pierres, le matin je me réveillais super tôt pour y aller. Pendant la coupure l'an dernier, je me souviens m'être réveillé à 5-6h du matin pour aller sur ma tour. Je sais que ça peut être complètement fou... »
L'ambassadeur officiel de la Suisse normande, cette région vallonnée empruntée ce jeudi par le Tour de France, bascule parfois sur la littérature après avoir montré une poutre au plafond ou évoqué une grande pièce qui servait il n'y a pas si longtemps pour une troupe de théâtre. Toute une littérature est en train de se créer autour de la Suisse normande, de Gaspard Koening (Humus), à Michel Houellebecq (Sérotonine) ou les récits d'Alice Zeniter, originaire de Flers, à 15 kilomètres de chez Guillaume Martin-Guyonnet. Pendant cette sixième étape, le village de Sainte-Honorine-la-Chardonne sera rebaptisé Saint-Guillaume-la-Chardonne et un fan-club du coureur de Groupama-FDJ sera déployé dans le champ d'un agriculteur voisin pour rendre hommage à l'enfant du village et de la région.
« Je ne suis pour ainsi dire jamais passé sur mes routes normandes sur le Tour, rappelle l'intéressé avant de filer donner à manger à deux chèvres et deux porcs le long d'un étang où vivotent quelques carpes. Dans cette région, le Tour était passé dans la bosse de la Rançonnière en 2002. Les gens sont contents que le Tour revienne chez eux et moi aussi. Il va vraiment passer sur la départementale qui est à moins de 500 mètres d'ici. Pour moi c'est particulier, c'est un moment fort de ma carrière clairement. On va passer devant mon école maternelle, puis mon collège, puis mon lycée. »
« Le Tour, c'est la course qui m'a amené au vélo. Venir en Normandie, c'est comme si je retombais dans mes rêves d'enfant, l'espace d'une journée. La route par laquelle je rentre tous les jours et l'autre côté par lequel je pars est là, pointe-t-il du doigt vers le fond du chemin empierré qui permet d'arriver à sa maison. Le coeur de la suisse normande, toutes les bosses pour les exercices à faire. Je les connais par coeur. Ici, c'est chez moi....»
À lire aussi
Les choix forts des équipes décryptés
Armirail, la perf de sa vie
Le coup de massue de Pogacar
Pogacar maîtrise de nouveau le temps