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Pourquoi l'affaire des nains à l'anniversaire de Lamine Yamal scandalise en France
Alors que Lamine Yamal a suscité la polémique en embauchant des personnes de petite taille lors de sa soirée d'anniversaire, samedi, il y a 30 ans en France, un spectacle de lancer de nains a nourri des débats juridiques très intenses qui ont débouché sur la naissance du principe de dignité humaine.
Des personnes atteintes de nanisme pour animer sa fête d'anniversaire, un communiqué d'une association pour dénoncer l'embauche de ces artistes portant atteinte à la « dignité des personnes en situation de handicap », le ministère des droits sociaux espagnols qui embraye en annonçant avoir saisi le parquet d'une enquête pour vérifier qu'aucun acte délictuel n'avait été commis, et un des nains embauchés qui réagit, affirmant avoir quand même le droit de travailler pour qui et là où il en a envie... Lamine Yamal, le prodige du FC Barcelone, est au coeur d'une intense controverse, qui n'est pas sans rappeler une des jurisprudences administratives les plus connues des juristes et étudiants en droit français : l'arrêt Morsang-sur-Orge, rendu par le Conseil d'État en 1995.
Il y a 30 ans, Manuel Wackenheim, alias Mister Skyman, le nain volant, participe dans des établissements de nuit à des animations qui consistent à le lancer le plus loin possible, dans sa tenue de footballeur américain. Une scène visible dans le célèbre Loup de Wall Street de Martin Scorsese. À l'époque, une polémique naît entre ceux qui s'amusent de cette pratique, et les autres qui la jugent choquante. Sur le plateau de Patrick Sabatier, Wackhenheim se dispute avec Mimie Mathy, le premier estimant avoir le droit de gagner sa vie comme il l'entend, la seconde lui lançant : « Je me regarde en face, moi (...) On ne me lance pas comme un paquet de lessive, moi. »
Michèle Barzach, ministre de Jacques Chirac, réclame alors l'interdiction du spectacle, suivie par plusieurs politiques. Les communes de France, poussées par le ministère de l'Intérieur, embrayent. Les journalistes multiplient les sujets. « A-t-on vraiment le choix de refuser un contrat de 20 000 francs lorsque l'on vivait avant avec 2 900 francs d'allocations mensuelles pour handicapés ? », entend-on à la radio, dans un extrait rediffusé dans un podcast du Point. Équilibre social, moralité générale : « Ce type de spectacle apparaît au ministre constituer une atteinte totalement intolérable à la dignité humaine », répond le ministère de l'Intérieur.
Un passage devant le Conseil d'Etat
Wackenheim, lui, persiste, expliquant que le monde du spectacle est un des rares débouchés pour les nains : « Je me verrais mal en usine », clame-t-il. L'affaire prend un tournant judiciaire quand en 1992, le tribunal administratif annule l'arrêté d'interdiction du spectacle de Mister Skyman pris par le maire de Morsang-sur-Orge, dans l'Essonne. L'affaire arrive devant le Conseil d'État. En 1995, la dignité humaine est érigée en pilier de notre droit et constitue une composante de l'ordre public, estiment les magistrats. Conséquence : un spectacle jugé dégradant peut-être interdit, quand bien même il aurait lieu dans un lieu privé et quand bien même il ne nuirait à personne en particulier.
Cette jurisprudence, controversée car particulièrement attentatoire aux libertés individuelles, sera utilisée vingt ans plus tard par Manuel Valls dans un cas n'ayant rien à voir, pour faire interdire les spectacles de Dieudonné, « récidiviste de la haine », selon les mots du ministre. Alors, évidemment, rien n'interdit aujourd'hui en France aux personnes de petite taille de travailler dans l'industrie du spectacle, du cinéma et du divertissement. Seules des pratiques dégradantes et choquantes pourraient être interdites.
Dans le cas de Lamine Yamal, en Espagne, rien n'a filtré du contenu des animations ayant eu lieu pendant la fête d'anniversaire du footballeur, les téléphones portables n'ayant pas été autorisés. Dans un communiqué, une des personnes de petite taille ayant participé à la soirée a vivement réagi contre des décisions « paternalistes », assurant avoir été traité avec respect par les hôtes.