31-07-2025
« C'est une distance qui lui faisait peur » : comment Yohann Ndoye-Brouard a vaincu sa crainte du 200 m dos jusqu'à s'emparer du record de France
Après sa médaille de bronze sur 100 m dos, Yohann Ndoye-Brouard va tenter de récidiver vendredi sur 200 m dos aux Mondiaux de Singapour. Jeudi, en demi-finales, il a pulvérisé le record de France (1'54''47) d'une distance qu'il ne craint plus.
Dans ses petits cahiers de CM1, Yohann Ndoye-Brouard notait tous les temps, les siens et ceux des autres. Aujourd'hui, il continue sur son Ipad et a déjà inscrit un nouveau record de France du 200 m dos en 1'54''47, jeudi lors des demi-finales aux Mondiaux de Singapour. Il ne rêve pas, c'est le sien sur une distance qu'il a appris à apprivoiser dans un jeu permanent de « je t'aime moi non plus ». En septembre, le champion d'Europe 2022 avait décidé de la mettre de côté. Au revoir le 200 m dos.
Il a consacré son automne à ses études de kiné, s'est entraîné quand il pouvait mais il a ferraillé avec son compatriote Mewen Tomac, 4e des JO 2024 sur cette épreuve. Il était encore loin d'imaginer la suite. Cinq mois plus tard, il a décidé de refaire un 200 m dos au meeting du Luxembourg. Le temps peut paraître modeste (1'58''92) mais le cerveau du « Yoyopédia » de la natation a turbiné. Début février, sans beaucoup d'entraînement, ce n'était pas si mal.
« Quand on nage vite, on a moins mal » : Ndoye-Brouard, après avoir explosé le record de France
« C'est une distance qui lui faisait peur dans la gestion, dans la douleur, raconte son entraîneur Mathieu Neuillet. Après le Luxembourg, il a commencé à le construire autrement en s'appuyant sur les coulées, en ayant des intentions stratégiques qui lui permettaient de bien gérer sa course pour produire son effort et en s'appuyant sur ses qualités de fin de course. À partir de là, il a aimé la nouvelle organisation, on l'a répétée. »
De nageur de hold-up au talent insolent à l'athlète construit pour chercher des médailles
À chaque compétition, il s'est aligné sur l'épreuve. Petit à petit, le nageur de 24 ans a pris ses marques pour finir par passer de deux ou trois ondulations à huit lors de sa demi-finale mondiale, jeudi, avec 53 m sous l'eau et un rythme constant avant de mettre les jambes lors du dernier 50 m.
Avec un gros travail sur les coulées, un physique plus affûté (98 kg) et une confiance grandissante, il a compris qu'il n'était plus un nageur de hold-up au talent insolent mais un athlète construit pour aller chercher des médailles. À Singapour, il a commencé mardi par le bronze sur 100 m dos (51''92) à trois dixième de seconde du vainqueur (le Sud-Africain Pieter Coetze, 51''65) et il a confirmé jeudi sur 200 m dos avec le record de France pulvérisé (l'ancien était détenu par... Tomac en 1'55''38 aux JO 2024).
Au-delà du temps, il est apparu différent. À son arrivée en zone d'interview, le Haut-Savoyard n'était pas cassé en deux à reprendre son souffle et ne laissait transparaître aucune euphorie. Il était à sa place. « Je nage relâché, j'ai déjà eu cette médaille, c'est que du plus, a-t-il commenté. Je suis relâché mais j'ai aussi envie de bien faire les choses sur ce 200. Avec le relais, il y a encore plein de trucs à aller chercher, il faut rester concentré. J'essaie de prendre les choses une par une, passer des tours. »
« Ce n'est pas en étant plus posé et concentré juste avant la compétition que les choses se font, ça fait plusieurs mois qu'il est comme ça »
Denis Auguin, directeur technique national de la Fédération française de natation
On le sent serein. Après sa première médaille mondiale, il ne s'est pas dispersé, il est allé nager dans la petite piscine de son hôtel, a discuté avec son camarade de chambre Rafael Fente-Damers, autre grand geek de natation, et s'est préparé tranquillement. Petit à petit, il appréhende différemment le spectre de son talent. Lui qui aimait dire « même si tu ne tailles pas le diamant brut, il sera toujours plus précieux qu'un caillou taillé le plus magnifiquement possible » a compris qu'un beau rubis nécessite du travail de polissage. Cet hiver, il a répété ses gammes et à Singapour, il récolte les fruits. « Ce n'est pas en étant plus posé et concentré juste avant la compétition que les choses se font, ça fait plusieurs mois qu'il est comme ça, précise le directeur technique national de la Fédération française de natation Denis Auguin. Il a fait une très bonne saison. C'est un garçon d'un immense talent. »
Le grand costaud au coeur tendre dans l'ombre de Maxime Grousset à l'Insep s'est émancipé, il a pris son appartement avec sa compagne, son projet en main et ne se contente plus du minimum. Il n'a plus peur ni du 200 m dos, ni de ses adversaires. Jeudi soir, en sortant de sa course, il a dit à son coach : « On l'a tellement fait à l'entraînement, je n'ai plus peur. Ça ne m'a pas coûté beaucoup, je pense qu'il m'en reste. »
Il connaît en détail le défi immense qui l'attend ce vendredi en finale : « Il y a du monde, des gros clients, je sais que le Grec (Apostolos Siskos) peut aller plus vite, Hubert (Kos, le Hongrois) et Roman (Mityukov, le Suisse). Je suis content parce que j'aime bien être au milieu (ligne 5) sur le 200 pour voir ce qui se passe dans la course. » De quoi remplir ses notes.