10-07-2025
Parcourir les vignes en vélo pour mieux les comprendre
Benoit Courcelles, Mélissa Stoia et leurs trois filles Sasha, Maxine et Frédérique, respectivement âgées de 13, 10 et 6 ans
Deux chercheurs québécois ont fait 2300 km à vélo en Europe l'année dernière et viennent de reprendre la route, ici au Québec, en famille. Le but : aider les vignerons à s'adapter aux changements climatiques.
Mélissa Stoia est géographe de formation. Elle fait du développement économique et est experte en économie circulaire. Son mari Benoit Courcelles est ingénieur et enseigne à Polytechnique Montréal. Il est spécialiste des sols.
Ensemble, ils ont créé l'expédition 20 parallèles qui vise à comprendre les défis des changements climatiques dans les vignobles et favoriser un transfert de connaissances entre les entrepreneurs de ce domaine, d'ici et d'ailleurs.
Avec leurs trois filles, ils ont visité des vignobles au Maroc, en Espagne et en France en 2024 – ce qui a demandé 190 heures de déplacement à vélo – afin de voir comment des entrepreneurs agricoles s'adaptaient aux changements climatiques. L'expédition a aussi permis de tester un outil développé à Polytechnique Montréal qui veut lutter contre l'érosion des sols dans les vignes.
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE
Quelques jours avant le grand départ, la famille se préparait pour un voyage qui couvrira une distance évaluée entre 800 km et 900 km.
Au Québec, la viticulture est un secteur économique jeune et en développement.
« La filière est en pleine explosion, en plein essor », dit Mélissa Stoia qui précise que depuis 1980, avec l'établissement du premier vignoble à Dunham, on est passé de 1 permis de fabrication de vin à autour de 160 aujourd'hui.
« Ça n'est pas anodin de dire qu'il y a des vignobles au Lac-Saint-Jean maintenant. D'un point de vue géographique, c'est un non-sens complet, poursuit-elle. D'un point de vue agricole, ça peut sembler aussi un non-sens. Mais en creusant, on s'est rendu compte – et c'est là où le voyage prend tout son sens – que les changements climatiques apportent des opportunités d'affaires. »
Face aux changements climatiques, les vignerons sont tous égaux. Leurs pratiques agricoles, elles, changent.
« On voulait aller voir des gens qui ont testé des solutions », précise Benoit Courcelles, qui en a lui-même une dans ses bagages. Littéralement.
Transfert de connaissances
Dans son expédition sur deux roues (en fait, dix, au total…), la famille apporte un petit laboratoire portatif qui tient dans une glacière.
Mélissa Stoia, Benoit Courcelles et leurs filles ont quitté Montréal fin juin vers Alma, en voiture, pour ensuite faire quelques kilomètres à vélo vers le parc national de la Pointe-Taillon, véritable point de départ.
« Notre première grosse étape part de là », explique Benoit Courcelles.
Notre périple à vélo nous mènera ensuite jusqu'à Montréal, sur une période d'environ six semaines et une distance de plus ou moins 900 km.
Benoit Courcelles, ingénieur et professeur à Polytechnique Montréal
À l'origine, ce sont les trois vignobles du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui les ont attirés dans ce coin de la province.
« On veut voir ce qui se passe là-bas, dit Mélissa Stoia. Ce sont des vignobles qui sont plus jeunes que ceux des Cantons-de-l'Est. »
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE
La famille voyage léger – ne pas oublier qu'il y a du matériel scientifique dans cette montagne de bagages.
Dans un contexte où il y a plus de pluie, les chercheurs veulent mieux comprendre le phénomène d'érosion particulièrement présent en viticulture. Ils vont prendre des échantillons de terre durant leur visite, comme ils l'ont fait lors de leur expédition européenne, pour faire une analyse de sol avec un traitement contre l'érosion à l'aide de bactéries indigènes. Peu d'essais de ce genre sont faits sur le terrain et les vignerons ont soif d'information, disent-ils.
Pour cette raison, au cœur de leur projet, il y a le transfert de connaissances entre des gens qui en ont beaucoup. La famille ne remplace pas un service de conseils agronomiques commercial, elle apporte des pistes de solution qui viennent de l'industrie, des pairs, ainsi que des données scientifiques qui, elles, viennent du sol.
« Ils manquent d'écoute, lance la géographe. C'est typique des entrepreneurs. C'est dur d'être entrepreneur, ce sont des métiers solitaires. »
Ces « 20 parallèles » favorisent cet échange puisque ce que vivent des entrepreneurs agricoles plus au sud aujourd'hui risque d'arriver à leurs collègues plus au nord éventuellement.
« Ces gens accumulent une quantité de données incroyable et de l'expérience terrain », dit Mélissa.
Le duo veut servir de courroie de transmission. Entre les entreprises d'ici et d'ailleurs. La chercheuse a senti une grande ouverture des viticulteurs face à la nature scientifique de leur projet. Selon elle, dans une industrie naissante comme la vigne au Québec, tout ce qui concerne le transfert de connaissances est favorable. Ça pourrait éviter des erreurs… évitables.
C'est d'ailleurs l'une des conclusions de la première mouture de l'expédition : les vignerons du Maroc, par exemple, voulaient éviter que leurs collègues espagnols fassent les mêmes erreurs qu'eux, comme de ne pas planter suffisamment de végétation dans un climat aride, ce qui crée de véritables déserts. « Les viticulteurs soulignaient même qu'ils souhaitaient aller vers la permaculture pour optimiser la ressource en eau », précise Benoit Courcelles.
Une jeune industrie comme la vigne québécoise est aussi encore dans l'acquisition de connaissances. On se félicite de faire de meilleurs rouges, avec plus de chaleur qui favorise le mûrissement des raisins. « Mais si, d'un autre côté, l'érosion de nos sols et les précipitations trop abondantes font flétrir le fruit sur le pied, on n'est pas plus avancé, calcule Mélissa Stoia. On veut vraiment éveiller les consciences qu'il y a une vraie opportunité pour cette filière, mais il faut la structurer comme il faut. »