07-07-2025
Santé Canada a restreint l'accès à la psilocybine
Santé Canada autorise de moins en moins l'utilisation de psilocybine pour traiter la dépression résistante, selon des données inédites publiées par quatre chercheurs québécois dans la prestigieuse revue scientifique Nature Mental Health.
D'après ces statistiques, les Canadiens prisonniers de la dépression ont vu s'effondrer leurs chances d'accéder à ce traitement expérimental entre 2022 et 2024. Le taux de refus a alors doublé, passant de 21 % à 43 %.
Consommer des champignons hallucinogènes est illégal au Canada. Mais puisque la psilocybine qu'ils recèlent a permis de soulager certains troubles mentaux sévères lors d'études, Santé Canada permet parfois aux personnes très souffrantes d'y accéder en dernier recours, quand les autres méthodes ont échoué. Un médecin ou un infirmier praticien doit minutieusement motiver chaque demande. Et le patient doit être accompagné par un psychothérapeute avant, pendant et après la prise.
Vu ces garde-fous, les quatre auteurs de l'article publié dans Nature Mental Health s'expliquent mal l'explosion des refus et remettent en cause un processus « opaque ».
Consultez l'étude parue dans Nature Mental Health (en anglais)
« Des médecins essuient des refus, alors que leurs demandes antérieures identiques avaient été acceptées. Personne ne comprend pourquoi », rapporte en entrevue l'un des auteurs, le Dr Nicolas Garel, du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM).
Le psychiatre – qui a traité quatre patients avec de la psilocybine – ne croit pas qu'un afflux de requêtes moins solides explique la baisse. Car en 2024, le nombre des refus a augmenté beaucoup plus que celui des demandes.
Est-ce que de nouvelles données le justifient ? Absolument pas ! Les résultats des dernières études sont peut-être moins spectaculaires, mais demeurent positifs, comme souvent en médecine.
Le Dr Nicolas Garel, psychiatre au CHUM
Malgré tout, répondre aux questions du ministère fédéral et obtenir sa réponse nécessite désormais plusieurs semaines, parfois des mois, s'inquiète le Dr Garel.
Appliquer un règlement de façon imprévisible et laborieuse risque de dissuader les cliniciens de déposer des demandes, ce qui priverait des patients en détresse d'un remède prometteur, dit-il.
Détresse de fin de vie
Paradoxalement, la grande majorité des participants aux essais cliniques souffraient de dépression, alors que c'est justement dans ce contexte que les refus se sont mis à pleuvoir.
Les Canadiens en fin de vie – qui espèrent apaiser leur angoisse avec la psilocybine – semblent moins touchés par le resserrement des critères. La grande majorité de leurs requêtes demeurent couronnées de succès, soit 81 % en 2024 contre 92 % en 2022.
Si Santé Canada est plus à l'aise avec le côté expérimental de la psilocybine dans un contexte palliatif que pour la dépression, il faudrait le savoir sur le terrain.
Le Dr Nicolas Garel, psychiatre au CHUM
Chose certaine, la psilocybine ne pourra être prescrite librement avant plusieurs années. Car les soignants manquent de temps, de locaux adaptés et de repères pour offrir un traitement aussi complexe. L'absence de formation standardisée et de consensus sur les meilleures pratiques les expose par ailleurs à des poursuites si un patient subit des effets indésirables.
Malgré ces obstacles, le Dr Garel reste optimiste : « D'après moi, ces traitements ne disparaîtront pas. Des centaines de millions ont été investis et des études arrivent partout, en Europe, au Canada et aux États-Unis. »
Poursuites
L'imprévisibilité de Santé Canada et le flou entourant ses critères viennent aussi d'être critiqués par la Cour d'appel fédérale.
En 2020, le Ministère autorisait 19 thérapeutes à tester les effets de la psilocybine dans le cadre d'une formation de l'organisme TheraPsil. Mais deux ans plus tard, il refusait 73 demandes identiques, n'étant plus convaincu qu'il faut avoir consommé de la psilocybine pour « guider en sécurité les patients à travers les séances de traitement », alors qu'il l'était auparavant.
Puisque la science n'est pas « statique », rien n'interdit à l'actuelle ministre de la Santé, Marjorie Michel, de changer d'avis, mais le Ministère doit alors expliquer sur quoi il se base, ce qu'il n'a pas fait, a tranché la cour le 18 juin. Elle lui a donc ordonné de réétudier chaque dossier afin de rendre de nouvelles décisions dûment motivées.
Même si rien n'est joué, TheraPsil se réjouit d'avoir gagné sa cause. « Avoir déjà ressenti les vagues émotionnelles provoquées par la psilocybine permet aux thérapeutes de comprendre ce que vit le patient pendant la séance. Ça approfondit leur lien de confiance », expose le porte-parole de l'organisme, John Gilchrist.
Il estime que Santé Canada met les patients et les thérapeutes en danger, puisque plusieurs se rabattent sur le marché noir.
Ce n'est pas la première fois que Santé Canada est forcé de réétudier un dossier. En 2024, la Cour fédérale lui reprochait de ne pas avoir traité avec sérieux et compassion la demande de Jody Lance, un Albertain qui souffrait de céphalées d'une violence insoutenable que seules des microdoses de psilocybine soulageaient. Il envisageait donc le suicide ou l'aide médicale à mourir. Le Ministère a finalement fait volte-face.
« Que la mort soit plus accessible qu'un traitement est insensé ! s'exclame M. Gilchrist. La Cour a reconnu que Santé Canada devait baser ses décisions sur des données probantes. S'il ne change pas d'avis, nous retournerons au tribunal. »
Le Ministère nous a écrit qu'il examine la décision judiciaire sur les thérapeutes « afin de déterminer les prochaines étapes ».
Les demandes des patients sont, de leur côté, devenues plus complexes, ce qui « peut influencer les résultats globaux », ajoute-t-il, en précisant que ses statistiques englobent dans une seule catégorie toutes les demandes refusées, retirées ou incomplètes.