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Carte blanche à Olivier Niquet
Carte blanche à Olivier Niquet

La Presse

time2 days ago

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Carte blanche à Olivier Niquet

On appelle hypernormalisation le fait que pendant que tout s'écroule, nous continuons à vivre notre vie comme si de rien n'était. Olivier Niquet raconte ici comment ce phénomène se manifeste dans sa propre vie, où il baigne parfois dans l'actualité, parfois dans la piscine. Olivier Niquet Collaboration spéciale Entre septembre et juin, je passe ma vie sur l'internet ou à l'aréna. Souvent les deux en même temps. Il ne me reste plus beaucoup de temps pour chiller, comme disaient les jeunes de 2018. Le reste de l'année, je reprends le cours hypernormal des choses. Baignant dans l'actualité 24 heures sur 24 à cause de mon travail, c'est toujours un moment étrange que de revenir à la réalité d'une personne baignant tout au plus dans sa piscine. Je ne baigne pas que dans l'actualité, je baigne aussi dans ma baignoire. C'est l'un des endroits que je préfère chez moi. Le sweet spot au confluent de la solitude et de l'hygiène corporelle. La porte verrouillée, je peux me prélasser dans toute ma vulnérabilité. Du moins, jusqu'à ce que quelqu'un varge dans la porte parce qu'il a besoin de se brosser les dents. Cet été, je suis même allé relaxer au spa. Le spa, c'est comme ma baignoire, mais en plus grand, avec plus d'agréments autour, et dans un cadre naturel enchanteur. En tout cas, c'est ce qui est écrit dans la brochure. Le problème, c'est qu'il y a d'autres gens, au spa. Je suis capable de vivre avec leur mycose des ongles et leurs poils de dos, mais j'ai un peu plus de misère avec leur diarrhée verbale. Les gens parlent tellement que le spa doit payer quelqu'un qui à temps plein s'occupe de dire « chut » aux clients. Il y a donc le bruit de l'eau qui coule, le chant des oiseaux et le chuintement de l'employé qui dit aux trempeurs de se la fermer. J'aime le spa, mais à moitié. Ces émotions mixtes m'ont donné l'envie de m'acheter un chalet à l'abri de l'incontinence verbale. Je ne sais pas si vous avez regardé le prix des propriétés dernièrement ? Disons que trouver un chalet près d'un plan d'eau isolé à un coût raisonnable est aussi difficile que de trouver un avocat mûr à l'épicerie un jour de guacamole. Ce n'est pas de sitôt que je vais passer mes fins de semaine dans un hamac près du lac à faire défiler éternellement sur mon téléphone les nouvelles sur les cyanobactéries et la déforestation. Je me suis donc contenté d'une chaise hamac sur mon perron, rapidement devenu mon deuxième endroit préféré (après ma baignoire, si vous suivez bien). Vous savez, ces chaises de camping qui se plient de façon rectiligne dans une petite housse et dans lesquelles on retrouve toutes sortes de vestiges lorsqu'on les déplie au retour des beaux jours ? Il s'en fait de toutes les sortes aujourd'hui. Le modèle fauteuil rembourré, le modèle avec support à iPad et le modèle avec pouf. Eh bien, ils en ont aussi fait un modèle hamac. Meilleur achat de l'année. C'est là que j'ai passé l'été à regarder sur Instagram les images du monde en filtre de smog et en écoutant le bruit de l'eau qui coule dans le filtreur de ma piscine. Bref, j'ai fait du outdooring, ce qu'on appelle en français, selon le Grand dictionnaire terminologique, la « tendance jardin » (en France, ils traduisent plutôt outdooring par… outdooring). L'hiver, je pratique l'indooring. Je passe mes journées à l'intérieur à me réchauffer devant le feu de foyer qui frétille dans ma télé 50 pouces. Quant au chant des oiseaux, finalement, ça ne me plaît pas tant que ça. Il y a un nid près de la fenêtre de ma chambre et pendant ce qui m'a paru une éternité, les estifis de merles d'Amérique m'ont réveillé à 4 h du matin avec leurs piaillements de détresse. Je ne sais pas ce que faisait leur mère. Sans doute était-elle subjuguée par sa charge mentale. Peut-être que son chum était trop fatigué de sa grosse journée à cueillir des vers de terre pour s'occuper des oisillons. J'ai donc dû me résoudre à fermer les fenêtres et à partir la clim, histoire de mieux dormir. Ayant créé cet espace de villégiature dans mon for intérieur, je suis allé fermer les onglets de magnifiques chalets dans mon navigateur, ce qui ne m'a laissé que devant d'autres onglets d'articles à ne pas manquer sur l'effondrement de toute. On appelle hypernormalisation ce phénomène qui fait que pendant que tout s'écroule, nous continuons à vivre notre vie comme si de rien n'était. On se fait croire que tout est beau parce qu'on n'arrive pas à imaginer d'autres options. On regarde l'actualité comme une fiction. Ce n'est pas le fruit d'un sentiment de culpabilité, mais d'impuissance. Il n'y a rien qui marche au gouvernement et en politique, les démocraties illibérales prennent le dessus partout, et il y a même eu du drama au Festival de la gourgane cet été. Pas le choix de consciemment suspendre notre incrédulité si on veut être heureux. On a l'impression qu'il y a quelque chose qui cloche dans le scénario, mais notre petite vie continue comme dans du beurre. C'est bon, du beurre. J'en mettrais dans ma baignoire si ça coûtait moins cher. Mais faut pas en abuser. Le confort nous rend indifférents aux tumultes globaux et c'est bien correct. J'ai passé un été à faire l'imbécile heureux et j'ai adoré. Mais on peut très bien pratiquer la tendance jardin en restant alerte. Juste s'informer au minimum pour bien choisir ceux qui prendront les décisions à notre place pendant que nous sommes dans notre chaise hamac. Si on est rendus à voir le monde comme une fiction, rappelons-nous que cette fiction est en fait un « livre dont vous êtes le héros ». Qui est Olivier Niquet ? Olivier Niquet a une formation en urbanisme. Chroniqueur radio, que l'on peut notamment entendre à l'émission La journée (est encore jeune) sur ICI Première, il a publié deux livres : Le club des mal cités et Les rois du silence : ce qu'on peut apprendre des introvertis pour être un peu moins débiles et (peut-être) sauver le monde. Il est aussi scénariste et conférencier, en plus d'alimenter les sites et Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue

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