07-07-2025
Grisant périple de l'Autriche à l'Italie
Après des Carmina Burana très courus vendredi, le week-end d'ouverture du Festival de Lanaudière s'est poursuivi samedi et dimanche avec deux propositions (la Huitième de Bruckner et Le couronnement de Poppée de Monteverdi) aussi alléchantes que diamétralement contrastées. Deux concerts à mettre au tableau d'honneur du festival malgré un public timide.
Quand on pense Bruckner, on pense d'abord aux symphonies nos 4, 5 ou 7. La Symphonie no 8 en do mineur n'est pas de celles qui se retrouvent le plus sur les lutrins des chefs et des musiciens.
L'Orchestre symphonique de Montréal et son chef Rafael Payare, qui ont exécuté la relativement rare Symphonie no 7 de Mahler l'an dernier au Festival, n'ont pas hésité à programmer la plus longue des symphonies de Bruckner durant la fin de semaine d'ouverture du présent millésime.
PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE
Le chef Rafael Payare dirigeant l'Orchestre symphonique de Montréal
Contrairement à vendredi, où les Carmina Burana ont rameuté les foules, le parterre de l'amphithéâtre Fernand-Lindsay était cette fois nettement plus dégarni. Peut-être que l'ajout d'un concerto en première partie (la symphonie ne dure « que » 80 minutes) avec un soliste connu aurait activé davantage les tourniquets du site.
Mais les mélomanes présents ont fait preuve d'une écoute d'une grande concentration, obéissant au doigt et à l'œil à la judicieuse directive du directeur artistique Renaud Loranger de ne pas applaudir entre les mouvements.
Bruckner, c'est notoire, a beaucoup remanié ses symphonies, ce qui laisse souvent deux ou trois éditions pour chaque partition. Dans ce cas-ci, le compositeur a retravaillé à deux reprises la version originale de 1887. Même si le programme ne révèle pas le choix de l'OSM, l'utilisation des tubas wagnériens laisse à penser qu'il est près de la première écriture du compositeur autrichien.
Répétée pour ce seul concert, en parallèle avec Carmina Burana, la partition aurait mérité un soin supplémentaire pour renforcer certaines « petites coutures », comme ces entrées un poil en retard ou ces enchaînements parfois incertains. Mais l'exécution était dans l'ensemble d'une tenue respectable.
À environ 81 minutes, la Huitième de Payare est à peu près dans la moyenne en matière de minutage, et donc d'approche, loin des étalements de Celibidache, mais aussi du geste plus cursif de Furtwängler, Barbirolli ou du jeune Haitink.
L'Allegro moderato initial va plus vers le « moderato » que l'« allegro », mais cela permet des accelerandos efficaces et un thème secondaire très chantant. Le Scherzo lève davantage de terre, aidé en cela par l'allègement des temps faibles imprimé par le chef.
PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE
Des dizaines de personnes s'étaient donné rendez-vous pour entendre l'OSM et son chef samedi.
L'Adagio est un grand moment de musique, les indications comme « ausdrucksvoll » (expressif) étant presque superflues au Vénézuélien, qui n'a pas besoin de cela pour susciter l'émotion, et ce, malgré le chœur de corneilles qui s'est ébaudi vers la fin, suscitant les rires de l'assistance.
Le long finale, bien solennel, conclut dignement la soirée, au grand plaisir du public, qui a vivement exprimé son appréciation… au moment adéquat.
La foule était à peu près aussi parsemée dimanche après-midi pour ce qui s'annonçait pourtant comme un des sommets du festival. Oui, il a plu fort à certains moments (seuls quelques valeureux en poncho ont assisté au spectacle sur la pelouse), mais même sous le toit, le bleu des sièges vides ressortait partout.
Les absents ont comme souvent eu grand tort. Après son Orfeo de 2023, Leonardo García Alarcón et ses troupes ont continué leur exploration de la grande trilogie opératique de Monteverdi avec Le couronnement de Poppée, son chant du cygne lyrique redécouvert en 1888.
L'accompagnait sur scène sa Cappella Mediterranea, constituée pour l'occasion d'une dizaine de musiciens, dont la co-violon solo des Violons du Roy Pascale Giguère, appelée en renfort en l'absence d'un collègue indisposé, mais aussi deux flûtes à bec, un cornet à bouquin et un riche continuo.
Le vivier vocal de la Cappella y était aussi. Celui-ci s'épanouit sur toute la scène, et même au parterre, dans une sorte de mise en espace agrémentée de quelques costumes évocateurs. On admire le sens du jeu, visiblement travaillé en profondeur. Pas un chanteur n'est hors de son personnage. Malgré la complexité du texte musical, la rythmique se fonde toujours dans un vrai parlé-chanté. On n'entend pas des noires ou des blanches, mais un texte éloquemment transmis au public.
Parmi les rôles principaux, on retient évidemment le Nerone de Nicolò Balducci, un contre-ténor léger, mais puissant au charisme indéniable. Face à lui, la soprano Sophie Junker (Poppea), elle aussi indisposée, est loin de se déshonorer, malgré une projection moyenne.
La soprano Mariana Flores est toujours aussi raffinée, nous gratifiant d'une Ottavia aux mille coloris vocaux. Même chose avec l'Ottone de Christopher Lowrey, un contre-ténor plus sombre que Balducci.
La soprano Lucía Martín Cartón (Fortuna et Drusilla) et la mezzo-soprano Juliette Mey (Amore et Valletto) se démarquent particulièrement parmi les rôles mineurs. La seconde avait été l'une des plus belles découvertes de la Fairy Queen de William Christie sur la même scène l'été dernier.
Dommage, enfin, que le ténor Samuel Boden n'ait pas encore ses rôles (Arnalta et autres) dans la voix et dans la tête. Il est le seul de la troupe à avoir recours à la partition.
Assis à l'orgue positif, García Alarcón soigne chaque recoin de la partition tantôt avec une vivacité contagieuse, tantôt avec la plus grande des tendresses.
Deux petits irritants en terminant : l'amplification exagérée des deux théorbistes/guitaristes, et les retours de son en forme d'écho venant de l'arrière du parterre. Rien, toutefois, pour gâcher ce véritable régal.
Le Festival de Lanaudière se poursuit jusqu'au 3 août.
Les frais d'hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Lanaudière, qui n'a exercé aucun droit de regard sur le contenu de cet article.
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