7 days ago
Voyager en pleine flambée de rougeole
Un travailleur de la santé préparant une injection de vaccin contre la rougeole
Alors qu'on la croyait éradiquée, la rougeole sévit soudain de l'Ontario jusqu'à la Colombie-Britannique, en passant par l'Alberta, où elle se propage à une vitesse quasi inégalée dans le monde. Cet été, près de 4000 Canadiens sont infectés. Comment voyager sans être contaminé ni ramener un virus aussi contagieux dans ses bagages ?
En quoi cette épidémie de rougeole est-elle hors normes au Canada ?
Depuis qu'elle s'est invitée en cachette dans un mariage organisé au Nouveau-Brunswick, l'automne dernier, la rougeole a contaminé près de 4000 Canadiens, principalement en Ontario (59 % des cas), en Alberta (32 %) ainsi qu'au Manitoba et en Colombie-Britannique (environ 3 % chacun).
Depuis l'élimination de cette maladie au pays, il y a 27 ans, aucune flambée n'avait atteint pareille proportion. La précédente, survenue en 2011, avait frappé cinq fois moins de gens en deux fois plus de mois.
Comment expliquer cette explosion ?
Dans certaines zones, trop peu de gens sont vaccinés considérant que la rougeole est environ neuf fois plus contagieuse que la grippe. Une personne infectée peut contaminer de purs inconnus – sans même les croiser ! Elle rendra malades 90 % de ses proches non vaccinés.
« Le virus reste dans l'air deux heures après le départ d'une personne infectée », explique le Dr Paul Le Guerrier, de la Direction de santé publique de Montréal (DSP de Montréal). Toute personne non vaccinée qui entre, même à retardement, dans la même pièce ou le même véhicule – commerce, restaurant, salle de cinéma, autobus, etc. – s'expose.
« La propagation est beaucoup moins grande sur un terrain de camping que dans une salle fermée, précise le médecin. Mais on peut quand même attraper la rougeole si on parle face à face avec une personne infectée. »
Proportion d'enfants montréalais vaccinés contre la rougeole
12 mois-4 ans : 60 % à 67 %
5-11 ans : 75 à 85 %
Source : Le Dr Paul Le Guerrier, DSP de Montréal
Pourquoi s'en inquiéter autant ?
Cet été, la rougeole a tué un nourrisson ontarien, né prématurément après avoir été infecté dans l'utérus, et deux bébés américains. « Quelle autre maladie infantile peut tuer une personne sur mille ! », s'exclame le Dr Brian Ward, spécialiste des maladies infectieuses à l'Université McGill. Ce virus peut par ailleurs provoquer des pneumonies, des inflammations du cerveau, la cécité, la surdité, des fausses couches, etc.
D'après les statistiques gouvernementales, 8 % des Canadiens infectés ont dû être hospitalisés cet été, contre 13 % des Américains. « Mais chez les adultes, le taux d'hospitalisation peut atteindre 15 à 30 %, et il a déjà atteint 100 % chez les jeunes enfants en Saskatchewan », indique le Dr Ward. De plus, ajoute-t-il, la rougeole peut éliminer la majorité des anticorps existants. Ses victimes se retrouvent vulnérables à toutes sortes d'autres infections, dont elles étaient auparavant protégées, pendant des semaines ou des mois.
Pourquoi certaines régions ou communautés sont-elles plus frappées que d'autres ?
Dans certaines zones, y compris au Québec, le pourcentage de personnes vaccinées n'atteint pas le seuil requis pour prévenir les grosses explosions, soit 80 %. De nombreux facteurs l'expliquent, expose le Dr Le Guerrier. Lassitude envers la vaccination après la pandémie, campagnes de peur sur l'internet, caractère abstrait de la rougeole pour les jeunes générations qui n'avaient encore jamais vu ses ravages.
Pendant la pandémie, des parents ont raté des doses, car ils ne voulaient pas sortir avec un bébé vulnérable et c'est difficile de faire du rattrapage quand on manque de médecins.
Dr Brian Ward, spécialiste des maladies infectieuses à l'Université McGill
Répartition des cas canadiens de rougeole par groupe d'âge *
moins de 1 an : 6 % des cas (239)
1-4 ans : 20 % des cas (748)
5-17 ans : 45 % des cas (1722)
18-54 ans : 28 % des cas (1066)
55 ans et plus : 1 % des cas (34)
* Parmi les 3822 cas confirmés et probables
Source : Santé Canada
Que doivent faire les voyageurs ?
Les personnes vaccinées n'ont probablement pas besoin d'éviter les zones de contagion, puisque seulement 7 % des Canadiens contaminés cette année avaient déjà reçu une ou deux doses de vaccin. Pour les médecins, les non-vaccinés qui se rendent dans des régions où la rougeole circule activement courent toutefois de grands risques. C'est particulièrement vrai pour les enfants, les femmes enceintes ou les personnes dont les défenses immunitaires sont réduites par la chimiothérapie ou d'autres médicaments. Dans ces deux derniers cas, recevoir le vaccin serait inutile ou contre-indiqué, mais pas dans celui des enfants, affirme le Dr Le Guerrier.
Au Québec, la première dose est typiquement administrée à l'âge de 1 an, car son efficacité augmente à cet âge. Un bébé peut toutefois recevoir une dose précoce à partir de 6 mois quand un voyage le justifie, ce qui le protégera à 60 %, précise le médecin de famille. « Mais il faut recevoir cette dose au moins deux semaines avant le départ pour que les anticorps se développent. » Porter un masque et se laver les mains ne peut pas nuire, mais risque de ne pas suffire.
Quels sont les risques qu'un vacancier ramène le virus au Québec ?
Ils sont réels. D'après Santé Canada, 89 % des 3822 contaminations survenues cette année découlent d'une unique source d'exposition, dans les Maritimes, contre 2 % d'une source à l'étranger (les autres cas demeurent inexpliqués). Tout Canadien non vacciné ou sous-vacciné qui rentre d'une région endémique peut donc transmettre la rougeole dans sa communauté, au camp de vacances, lors d'un festival, aux urgences, etc.
À savoir : l'écoulement nasal et la congestion peuvent commencer jusqu'à deux semaines après l'exposition au virus. Ces symptômes apparaissent quatre à cinq jours avant l'éruption cutanée caractéristique de la rougeole.
Il faut s'isoler dès l'apparition des premiers symptômes, et alerter un professionnel de la santé dès qu'une éruption survient, pour que la Santé publique puisse retracer vos contacts. Porter un masque et se laver les mains ne suffit pas.
Dans le passé et en décembre dernier, au lieu de respecter les consignes, des Québécois non vaccinés sont allés magasiner au Carrefour Laval après avoir été exposés à la rougeole, ce qui avait provoqué de petites éclosions.