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Festival du film: Comment la Suisse romande fait son cinéma à Locarno
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Sur le pavé comme sur le tapis rouge, le rendez-vous tessinois devient durant dix jours un bastion romand où se mêlent politique, art et économie. Publié aujourd'hui à 09h10
Patronne du DFI et de la politique culturelle, la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider apparaît vendredi 8 août sur la Piazza Grande aux côtés de l'actrice Emma Thompson.
Mattia Martegani
Une conseillère fédérale sous les arcades grignote des mignardises. À quelques dizaines de mètres en contrebas, la foule sur le pavé dévore des glaces à l'italienne. Tout autour: du cinéma. Des films, des conférences, des ateliers. Des images et du son. Et en point d'orgue, l'arène minérale de la Piazza Grande et sa vedette internationale du soir, que le public aime admirer sur l'écran géant et que la conseillère fédérale ne rechigne pas à rejoindre sur la photo si l'occasion se présente.
Le Festival de Locarno est cette somme étonnante de grands écarts qui perdure depuis 79 ans, un record en soi. Strass et sérieux, escarpins et tongs, haute politique et lobbyisme soft, proposition artistique pointue, mais public populaire et familial, rassemblé à nouveau depuis le 6 août sur les rives du lac Majeur – plus de 150'000 personnes ont assisté aux projections l'an passé. On s'ébaudit de «la magie de Locarno» comme on s'émerveille du bon fonctionnement du système fédéraliste. Et à bien des égards, le festival tessinois, né en 1946 dans son canton le plus minoritaire, représente pour la Confédération un miroir à ciel ouvert, un séminaire estival de good governance où les étages de l'administration fédérale se mêlent à la société civile dans les mêmes tissus légers. Locarno sur Genève
Se balader dans Locarno, c'est zigzaguer entre les apéritifs officiels et les apéros officieux – le stand Campari, au rouge invraisemblablement vintage, accueille les deux. Et on y parle souvent le français, indice parmi cent autres de la forte présence romande. Vendredi 8 août, la tête de l'État genevois y était ainsi réunie dans le reflet grenat des bouteilles au mur, pour annoncer le lancement de la Geneva Film Commission.
Conseillère d'État chargée de l'Économie et de l'Emploi, Delphine Bachmann était entourée de Thierry Apothéloz, président du Conseil d'État, et de Joëlle Bertossa, chargée de la Culture à la Ville de Genève. Une délégation à la hauteur des enjeux espérés derrière cette initiative qui, à l'instar du Tessin et du Valais, veut développer la manne financière des tournages sur ses territoires: un franc investi deviendrait ainsi 4 francs de retombées économiques (lire ci-dessous). En 2022, la Valais Film Commission avait convié presse et professionnels dans ce même bar à cocktails pour annoncer sa naissance.
Au stand Campari mais à l'eau: de g. à dr.: Joëlle Bertossa, Thierry Apothéloz et Delphine Bachmann.
T. Albrecht
«Locarno est le lieu où la politique suisse du cinéma et de l'audiovisuel se fait. On peut vraiment y marquer des points», convient Tristan Albrecht, parmi les personnes à l'origine de cette première romande. «Et dans mon domaine, celui des commissions, les voix francophones – et italophones – y sont particulièrement entendues et écoutées.» Preuve vivante de ce qu'il avance, le Valaisan a été investi en début d'année coprésident de la Switzerland Film Commission, chargé de promouvoir les lieux de tournages helvétiques à l'étranger. Politique en pratique
Sur les hauteurs, dans la cour de la Magistrale, l'entrée est plus stricte mais l'ambiance pas moins décontractée. Chaque année, le GARP (Groupe Auteurs Réalisateurs Producteurs) organise un dîner favorisant l'échange entre le monde politique et les professionnels de l'audiovisuel. Deux règles d'airain: pas de chaussettes dans les baskets et du discours off. «C'est rare que les journalistes soient invités», s'étonne un convive. Il n'y a aucun secret d'État au menu, mais les discussions informelles des agapes s'accommodent mal de trop d'oreilles indiscrètes.
Quand Lionel Baier détaille le poids économique du cinéma, Christophe Darbellay écoute.
Luca Chiandoni
«C'est vraiment un moment important pour rencontrer «en vrai» des hommes et des femmes politiques, s'enthousiasme le cinéaste Lionel Baier. Soudain, ils sont là, à l'écoute, et on peut faire acte de pédagogie incitative qui nous servira lors des votations. Et les Romands sont en force! Nous sommes en tout cas proportionnellement plus actifs, voire moteurs, que notre représentation démographique. Je dirai 50-50 avec les Alémaniques. Ça peut parfois les agacer.»
Le lendemain, à l'initiative de l'OFC, le Lausannois était invité en tant que producteur pour expliquer aux représentants des milieux économiques les heureux investissements en germe dans l'industrie audiovisuelle. Sur la même estrade, citant l'exemple de son canton: le patron de l'économie valaisanne, Christophe Darbellay! Casting de luxe.
Et effets win-win , comme on dit. «Pour les politiciens qui doivent prendre des décisions en commission, avoir dans leurs téléphones les numéros de professionnels de la branche rencontrés à Locarno est une source d'information précieuse», souligne un fonctionnaire fédéral. La lex Netflix, votée en 2022 et dont les bons résultats ont été opportunément publiés vendredi par l'OFC, a bénéficié de ce réseautage.
La Piazza Grande et ses 8000 sièges, l'un des plus grands cinémas du monde.
Locarno Film Festival / Ti-Press
Et les films, dans tout ça? Là encore, traditionnellement francophile, l'offre artistique du festival met à l'honneur nombre de courts et longs métrages romands. Certains cinéastes, dont Baier, y sont «nés» auprès du public et des médias, d'autres se sont cassé le nez sur le tremplin gigantesque, mais parfois cruel, des 8000 places de la Piazza Grande et son écran géant. Celui-ci recevra lundi 11 août les deux premiers épisodes de «The Deal» , la série de Jean-Stéphane Bron, lui aussi habitué des ors de Locarno – et des polémiques dès lors que Blocher en était le sujet. Dans le concours International, «Le lac», du Vaudois Fabrice Aragno, est scruté de près. Une louche supplémentaire de Léman dans le lac Majeur? Les cantons veulent faire du cinéma
Au générique des sujets les plus brûlants, l'initiative pour une redevance à 200 francs faisait évidemment causer à Locarno. Mais officiellement, et aussi parce qu'il vaut mieux pour le moral parler de gain possible que de déficit probable, les discussions ont largement tourné autour des investissements heureux de l'économie dans le secteur audiovisuel.
Car c'est un fait, et visiblement un ratio de 1 sur 4: l'argent investi dans un tournage rapporte à la collectivité qui l'abrite. Canton et Ville de Genève ont ainsi lancé la Geneva Film Commission pour développer le pôle de compétences local et attirer des tournages suisses et étrangers, quand bien même la moitié des productions audiovisuelles romandes s'y déroulent déjà. Un Film Office sera chargé de la promotion et de l'accompagnement, un système de cash rebate remboursera jusqu'à 30% des dépenses éligibles effectuées sur le territoire cantonal, à hauteur maximale de 500'000 francs.
«On a trop souvent tendance à associer culture avec subvention en oubliant les recettes qu'elle génère», regrette la conseillère d'État Delphine Bachmann, chargée de l'Économie, qui a finalisé ce projet vieux de dix ans. «Nous sommes persuadés qu'une politique incitative peut avoir de fortes retombées économiques indirectes et en termes d'emplois.» Ce projet, indépendant des subventions culturelles, espère «lever» 1 million de francs de la part des collectivités publiques et autant du privé.
Locarno, jusqu'au di 17 août.
Locarno en interviews
François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures. Plus d'infos
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